Ra no Kuni n’était vraiment pas une île que la rouge appréciait. Elle aurait pu pourtant, l’endroit était exotique, proposait une cuisine intéressante, avait ses lieux de calme et, dans l’ensemble, aurait pu faire une bonne destination de lune de miel. Malheureusement, l’île souffrait de deux cruels défauts. Le premier, c’était d’appartenir au Gouvernement Mondial bien sûr. Même si c’était le cas de très, très nombreuses îles, la veuve ne pouvait s’empêcher de froncer les sourcils chaque fois qu’elle posait le pied sur une île de l’ennemi, comme un vilain écho que le meurtrier de son époux continuait de faire sa vie. Le second, c’était la surabondance de signes constantinistes ici. L’île, sans en être recouverte, les arborait consciencieusement et avec une sorte d’étrange fierté, comme s’il s’agissait d’une religion d’état qu’il était impossible de contourner. Quelque chose qui dégoûtait la saboteuse, lui rappelant bien trop sa mère à son goût. Non, définitivement, les défauts de l’île, bien que peu nombreux, étaient bien trop importants pour ne pas outrepasser ses nombreux charmes.

Et pour autant, il fallait bien que la rouge prenne sur elle. La première tentative d’infiltration révolutionnaire sur l’île avait échoué récemment, un hilarant fiasco de ce qu’elle avait cru comprendre, des branches de la révolution incapables de communiquer et coopérer comme un poulpe dont chaque tentacule n’en aurait fait qu’à sa tête, allant jusqu’à s’affronter entre elle. Pas étonnant que la révolution n’arrive à rien dans ces circonstances. S’ils refusaient de s’allier, ils leur faudrait au moins plusieurs piliers centraux autour desquels les mouvements pourraient s’articuler, faute de quoi leurs actions ne mèneraient à rien. Ce qui, ironiquement, n’était pas tellement le souci de la jeune femme en soi. Elle se savait un genre à part chez les révolutionnaires, mûe par un désir de vengeance plus que par un idéal de justice. Une arme puissante, mais pas une que les révolutionnaires manipuleraient avec plaisir.

En tous les cas, si elle était venue sur cette île, c’était pour trouver “les restes”. Les potentiels révolutionnaires restés sur l’île en infiltration, ceux qu’elle pourrait contacter pour remonter le filon vers un vrai mouvement. Et à défaut de les trouver eux, il n’y avait guère de mal à se faire des contacts chez les pirates locaux, à commencer par… Krisna? Elle avait un doute, mais était presque certaine qu’il se nommait bien ainsi, un pirate de Ra aux vues anti-gouvernementales qui lui plaisaient bien. On avait rarement un meilleur allié que la personne qui tient à éjecter un ennemi commun, jusqu’à ce que cet ennemi commun disparaisse du moins. Preuve en était, elle aurait même travaillé avec le Gouvernement Mondial si celui-ci lui promettait la tête de Ghetis Archer en échange.

Quand elle avait demandé à rencontrer la population “peu savoureuse” des environs, prudemment, on lui avait rapidement indiqué un bar, Le Rat de Ra, indiquant poliment, mais fermement et sans aucune subtilité que celui-ci hébergeait toute la vermine locale, et que peu importe ce qui lui arrivait, ils ne seraient pas à blâmer. On lui avait également, avec cette mise en garde, très aimablement indiqué la direction du repaire de traîne-patins, qu’elle ne tarda pas à prendre. Effectivement, le bar ne prétendait pas faire dans l’originalité, et n’aurait pas dépareillé sur une île tenue par des pirates. Vitres sales, bâtiment presque délabré, la seule chose qui semblait neuve depuis l’extérieur était l’enseigne, un rat sortant d’une chope. Il devait probablement y avoir une histoire derrière cette effigie, mais la rouge ne la connaissait pas.

Entrant sans prêter attention aux regards et aux remarques salaces, la jeune femme s’approcha du comptoir, jetant une bourse de pièces sur le bois avant de regarder le propriétaire dans les yeux.

“ Je veux tout ce que vous savez du dernier passage de la révolution sur l’île. Les factions impliquées, les membres présents, les révolutionnaires encore présent. Et comment je peux contacter Krisna tant que j’y suis. Et je n’ai pas de temps à perdre, alors au plus vite, merci.”

Les regards fixés sur la jeune femme en chemisier blanc s’était durci. On aimait visiblement pas les fouineurs dans le coin, et tant que son affiliation restait incertaine, la plupart des résidents se méfierait d’elle… Même après d’ailleurs. Restait à espérer que quelque chose fasse diversion en entrant, sinon, elle risquait bien de devoir se défendre à tous les coins de rues pour les jours à venir.