Un frisson la traversa, des épaules jusqu'aux hanches. La goutte qui lui dégoulinait sur le menton était vraiment gelée. Qui avait eut l'idée de lui servir une bière aussi froide ? Elle s'en était brûlée la gorge. Son regard parcourut le pont du regard. Elle s'était embarquée sur un navire marchand quelques semaines plus tôt, après la discussion avec son capitaine dans laquelle elle avait pris la décision de quitter momentanément l'équipage. Elle savait bien que Mitsu s'en sortirait sans elle. Elle était plus un danger potentiel qu'autre chose avec ce fruit du démon. Elle la savait nécessaire, mais sa propre décision lui restait tout de même en travers de la gorge. Le navire marchand était apparemment dirigé par un connaisseur qui n'avait pas froid aux yeux. Il parcourait Grand Line au gré des vents, revendant des marchandises des Seas et des îles précédemment visitées.

Elle but encore une gorgée de bière, frissonnant malgré elle. Il faisait déjà nuit, cela sentait l'hiver. Quelques jours plus tôt, ils avaient quitté l'île de Whiskey Peak, une île assez sordide à vrai dire. Elle était régie par des chasseurs de pirates renommés. Hana n'était jamais passé par là, bien qu'ayant parcouru la première partie de Grand Line avant sa rencontre avec Mitsu, elle n'en avait que de vagues souvenirs. Elle n'avait jamais eût de problèmes avec les chasseurs de pirates, n'en aurait jamais aucun en restant ainsi dans l'ombre et la jeune femme connaissait l'ombre pour y avoir passé toute sa vie. Elle balança la choppe dans un tonneau, sauta sur ses jambes et s'étira. Une île apparaissait à l'horizon.

Ce qui tombait bien car la jeune femme sentait une envie pressante poindre. Une trentaine de minutes plus tard, lorsqu'ils eurent enfin atteints l'île, elle fut la première à sauter à terre. Impossible de le faire avec tous ses hommes aux alentours. Elle resserra son bandana rouge autour de son cou et accéléra le pas. La jeune femme s'enfonça dans la forêt, cherchant un coin tranquille où elle pourrait se poser en paix, sans être dérangée par le troupeau de matelots qui se dégourdissait les jambes dans l'herbe.

Elle arriva sur une clairière plutôt spacieuse. Elle soupira de soulagement, enfin ! Et un homme déboula de nulle part.
Qui que ce soit, qu'il l'empêcha de faire ses besoins tranquille la mettait hors d'elle. La jeune femme leva lentement les mains pour les poser sur les gardes des dagues dissimulées dans son dos. Elle fléchit les jambes, prête à bondir d'un côté ou d'un autre. Jamais dans sa vie elle n'avait rencontré un individu aussi étrange. Et en plus il parlait de façon moyen-âgeuse, comme sorti d'un roman des temps anciens, par énigmes, comme un mystère lui-même. Elle s'attarda un peu plus sur l'étrange individu avant de passer à l'attaque. Dans la nuit noire, sa peau blanche ressortait plus que de commune mesure et... La jeune femme sentit des frissons lui courir sur la colonne vertébrale. Des yeux rouges. Elle se figea. Des yeux aussi rouges que le sang d'un nouveau né. Il se passa plusieurs secondes pendant lesquelles elle ressentit une émotion sans pareille, mêlée de terreur, de méfiance et d'angoisses, les angoisses de l'homme qui lui faisait face. Elle n'avait jamais vu un tel regard et c'était lui qui faisait de cet homme un être exceptionnel. Un regard qui venait de passer du rouge à l'or. La respiration de la jeune femme accéléra doucement alors qu'elle tentait de la calmer. Elle ne l'avait pas non plus senti arriver, ce qui était rare pour une ancienne mercenaire. La jeune femme se demanda un instant si elle n'avait pas un peu perdu la main, mais elle ne s'égara pas plus loin dans ses pensées. Elle était menacée. Elle le sentait. Toute la clairière dégageait une aura meurtrière depuis l'arrivée du jeune homme. Depuis son arrivée ? Vraiment ?

Le regard de la jeune femme parcouru le fût des arbres. Il y avait quelque chose de malsain dans cette forêt, sur cette île... sur le navire même. Un nouveau frisson grimpa le long du dos de la mercenaire. Pire que ça. Une chose de contre-nature, une chose horrible. Elle était en danger. Et elle ignorait d'où ça viendrait. L'homme devant elle la fixait toujours, comme s'il attendait une réponse. Hana en fut presque surprise, ses yeux avaient tellement l'air de lire en elle, elle aurait crû qu'il aurait décelé une trace de réponse de lui-même. Mais il n'y avait pas de réponse à avoir. La jeune femme ignorait que penser, que croire. Par habitudes, elle préférait se fier à elle-même, voir, savoir de ses propres yeux. Comment déléguer sa sécurité à un inconnu albinos qui débarquait dans une clairière d'une forêt sur une île préhistorique de Grand Line ? Cette partie de l'océan était remplie d'incohérences. Hana en faisait maintenant l'expérience.

Se fier à elle-même. Sa respiration se calma lentement alors qu'elle reprenait ses capacités de tueuse.
Elle fronça le nez avec une expression dégoûtée.

« C'est toi qui sent la mort, l'ami. »

Il avait beau être magnifique dans cette nuit noire. Ses yeux sanglants dérangeant, son teint pâle, ses cheveux blanc, cette lumière dont il resplendissait malgré lui, il restait l'individu le plus controversé qu'elle n'avait jamais vu de sa vie entière.

D'un seul coup, son envie pressante lui revint. Elle soupira et se redressa, lasse de toute cette agitation. Si elle devait mourir, qu'on la laissa uriner avant ! Elle passa ses mains sur sa ceinture.

« Si vous permettez, j'aimerais bien pisser. »

Non seulement il ne bougeait pas, mais en plus il voulait qu'elle le suive ? La vie était vraiment nase ! Apparemment il se ravisa, car il s'assit sur un rocher, puis après qu'elle eut attendu quelques minutes il eût la bonne grâce de faire un tour un peu plus loin autour de la clairière. La jeune femme soupira. Elle défit la boucle de sa ceinture et s'accroupit de la manière la moins classe du monde pour faire ses besoins naturels. Elle n'avait cependant pas quitté le fût des arbres des yeux. Quelque chose clochait. Elle n'arrivait pas à dire quoi, mais l'homme aux cheveux blancs avait peur de quelque chose. Peur pour elle. Fort peu habituée à ce genre de comportement, elle se sentait légèrement déstabilisée. Il l'avait d'ailleurs souligné avec tant de détachement qu'il y avait de quoi avoir de sérieux doutes. Elle se dressa finalement, soulagée physiquement et confuse mentalement. Peu importait les faits réels, quelque chose ne tournait pas rond. Set porta immédiatement ses mains dans son dos lorsqu'il franchit de nouveau la lisière de la forêt. Réflexe d'un meurtrier en danger.

Elle l'observa un instant avant de quitter sa position offensive, non sans quitter sa garde et s'avança vers lui. Elle se sentait étrangement seule au milieu de la forêt et désirait quitter cet endroit le plus rapidement possible. Cet homme réveillait en elle un fort sentiment de répulsion. Il s'arrêta, Set fit de même. Elle allait lui demander ce qu'il lui voulait exactement, mais il la prit de vitesse. Il se présenta et lui fit un rapide topo sur la situation.

Apparemment quelqu'un comptait... la dévorer. Elle se retint un rire sinistre. Quelle belle situation ! La jeune femme n'ignorait pas que Grand Line regorgeait de phénomènes étranges, mais elle ne pensait pas être un jour confrontée à du cannibalisme. Si elle en croyait les paroles de l'albinos qui lui faisait face, un cannibale trouvait qu'elle offrait un bon repas, mais un autre cannibale cherchait à la sauver pour elle ne savait quelle raison. Il connaissait les méthodes de chasse des cannibales, ainsi donc il était en mesure de la défendre... Quoi de plus simple et de plus habituel ! Elle soupira bruyamment. Une histoire à dormir debout en soi.
Cependant, la lueur qui brûlait au fond du regard de l'homme, elle, était réelle, c'est pour cela qu'elle décida de le suivre.

Elle ne tarderait pas à mourir donc peu importait son nom. Et si son potentiel allié était également cannibale, rien ne lui disait qu'il ne changerait pas d'avis pour la dévorer. La menace était sérieuse. Il émanait de l'homme une aura meurtrière qu'elle rencontrait rarement. Il était fort. Mieux valait en faire son allié que son ennemi. De plus, ce n'était apparemment pas sa mort qui le dérangeait, mais plutôt le cannibale à sa source. La jeune femme posa sa main sur la garde de son sabre qui pendait à son côté. Prudence est mère de sûreté.

« Ce n'est pas parce que je n'ai pas peur de la mort que je compte mourir aujourd'hui. »

Il aurait été dommage de mourir dévorée par un cannibale en effet. Elle s'en serait voulu. De plus elle devait toujours racheter ses crimes antérieurs sur des vies beaucoup moins innocentes et un cannibale ou deux étaient des bons partis. Elle fit jouer ses doigts sur le pommeau de son sabre.

« Je me range de ton côté, puisque tu m'as proposé ton aide. »

Il était plutôt sur de lui. Peut-être qu'il faudrait lui dire son nom, si elle ne mourrait pas cette nuit-là ? Son regard dériva sur son visage. Après tout, il était plutôt bel homme, dommage qu'il soit cannibale. Elle ne lui tendit pas la main de peur qu'il ne croque dedans, resta vigilante et passa à côtés de lui.

« On m'appelle Set. » déclara-t-elle en défaisant son bandana, laissant apparaître l'inscription dans son cou.

Elle le renoua sur ses cheveux pour ne pas qu'ils la gênent dans un potentiel combat.

« Bon, on sort de là ? Vous n'avez pas tellement l'air d'aimer les arbres. »

Ce qui était compréhensible car ils offraient beaucoup d'obstacles et de surprises.

♫ AMBIANCE ♫

La jeune femme faillit, à son grand désarrois, plusieurs fois se casser la figure. Elle avait oublié combien il était difficile, même une nuit illuminée par la lune, d'avancer droit dans une forêt. La nuit était tombée plus vite qu'elle ne l'aurait cru. Elle eut toutes les peines du monde à cheminer jusqu'à la lisière. Les sens tendus au maximum, elle observa chaque feuille presque indiscernable, chaque reflet pratiquement invisible. Elle avança du bout des pieds, attentive au moindre bruit, remarquant au passage que le cannibale n'en faisait quasiment aucun. Son intuition de meurtrière en s'éveilla. Était-ce une technique de cannibales ? Elle avança du pas de celui qui sait sa vie en danger et qui compte vivre.

Le silence régnait dans la jungle, si mortel que lorsque la voix du jeune homme résonna dans la forêt, les couteaux de la jeune femme lui glissèrent entre les doigts de sa main droite. Elle esquissa un mouvement d'attaque avant de se rendre compte c'était son potentiel allié qui lui parlait et qu'il n'était pas une bonne idée de se le mettre à dos. Elle garda cependant ses couteaux entre ses doigts, prête à l'attaque et posa sa main sur la poignée de son sabre. Une chose était sûre, l'homme qui parlait était plus rassuré qu'elle.

D'ailleurs il disait des choses assez intéressantes... choquantes ! La jeune femme en perdit un instant son attention pour les racines et faillit se retrouver par terre la tête la première. Heureusement pour elle, une branche la retint, lui coupant un instant le souffle. Elle se releva peu après, une main sur le ventre, les couteaux, heureusement toujours entre ses doigts, dans l'autre. Alors qu'elle se massait doucement l'estomac, elle laissa un instant à son esprit le loisir de divaguer. Elle ignorait qu'il existait une race du nom de vampire qui se nourrissait de sang. C'était plutôt sordide comme façon de vivre, mais moins qu'un cannibale étant donné que c'était inscrit dans les gènes. D'une manière rien ne les obligeaient à tuer, mais ils pouvaient apparemment le faire, sinon le jeune homme... le vampire n'aurait pas chercher à la protéger d'un de ses congénères. Hana se demanda pourquoi il était respectueux pour sa vie. De toute celle-ci, elle n'avait jamais entendu le cas de deux races qui se côtoyaient sans l'envie de s'entre-tuer. Elle savait que l'homme était de manière naturelle disposé à éradiquer tout ce qui était différent. Apparemment, les vampires étaient différent sur cette nature.... Normal. Mais un seul vampire ne faisait pas une race et l'aura meurtrière qui émanait toujours de la forêt le lui confirmait étrangement.

Une deuxième chose heurta la jeune femme. Les vampires possédaient un pouvoir hypnotique. Elle grinça des dents. S'il y avait une chose dans sa vie qu'elle ne supportait pas, plus que toutes autres choses, c'était de ne pas être maître de ses actes, de se voir agir contrairement à ses envies. Elle reposa sa main sur la garde de son sabre et ils atteignirent enfin la lisière de la forêt.

La jeune femme fit quelques pas rapides sur le sable, le plus proche de la mer possible alors que le vampire continuait à parler.

Pensons bien, pensons peu...

« ...te donnes des airs d’homme... ? Tu sembles être une belle fille... »

Elle se retourna lentement vers le vampire, un air meurtrier peint sur le visage. Elle détestait qu'on lui pose ce genre de questions qui lui rappelaient les propos d'un ancien Corsaire dont elle n'avait toujours pas accepté la mort. Et elle n'aimait pas qu'on la qualifie de belle lorsqu'elle s'habillait en homme. D'ailleurs elle n'était pas belle si ce n'était ses yeux et son corps n'était séduisant que dont la pénombre lorsque ses cicatrices s'effaçaient pour laisser place à un physique musclé et désirable. A cet instant, elle était homme. Elle n'était pas désirable ! Se trouver ainsi à découvert la mettait toujours dans un état de profond malaise.

Heureusement, elle n'eut pas le temps de se laisser plus distraire car la voix d'un étranger résonna sur toute la plage. La fatalité. Cette voix rendait la situation réelle. Cette voix confirmait la lueur dans le regard doré du vampire. Cette voix voulait sa mort. Indubitablement.

Hana chuchota.

« Pour terrasser tes ennemis, fais des ennemis de tes ennemis tes amis. »

Il apparut à l'orée du bois en finissant sa tirade.
Il était en tout l'opposé de Tsukiyo no Hato. Ses cheveux étaient noirs comme le charbon, ses habits sombres, ses yeux à la lueur meurtrière, il paraissait se glisser dans l'obscurité de la nuit avec une étrange facilité. Pourtant, il avait cette même aura lumineuse que son congénère et, surtout, ce même regard rouge sang déstabilisant, effrayant, hypnotisant... Hypnotisant !

« Hey ! Comment fait-on éviter votre hypnose ?! D'où vient-elle ? »

Elle n'eut pas le temps d'en dire plus, le vampire se jeta sur elle à une allure hallucinante. Elle eut juste le temps de tendre le bras devant elle. enfonçant trois couteaux dans le poitrail de l'homme vampire alors qu'il l'embrochait au niveau des côtes. Douleur... Douleur telle... Le corps de la jeune femme se replia sur le bras du vampire, emporté par le choc.

Tout allait très vite. La jeune femme voyait des milliers de petits points noirs et blancs affluer devant ses yeux. Le sol tournait et tournait. Alors que la main du vampire se retira de ses côtes gauches, la jeune femme crut qu'on lui arrachait le coeur. Elle vacilla sur ses jambes. Une main vint la tenir fermement par l'épaule. On l'allongea à terre. Le jeune femme entendit à grand peine les mots prononcés par les deux vampires, mais elle ne parvint à y consacrer plus d'attention que cela. Elle grimaça en tâtonnant pour trouver les bandages. Un râle quitta sa bouche. Tout son corps l'élançait à chaque mouvement. Elle se redressa doucement. Le flou brouillait son regard. Des vagues de douleur lui lançaient les côtes. Sa tête lui faisait mal. Son coeur se serrait. Elle aurait voulu se laisser sombrer dans l'inconscience. Sa respiration s'agitait, se saccadait sous l'effet agressif de l'affliction. Hana lâcha un bref soupir, tentant de se détendre, de relâcher tout son corps. Elle essaya de reprendre le contrôle, mais ses nerfs lançaient des appels désespérés à son cerveau. Ses muscles se contractaient d'eux-même dans une semi-mesure, cherchant la position qui lui donnerait le moindre mal. Un son roque passa ses lèvres. Sa main se referma sur les bandages.

Ses doigts tremblaient. Elle n'arrivait pas bien à les saisir pour entourer sa plaie. Hana inspira par accoues, se redressant sur ses coudes. Elle souffrait. Elle se mordit la lèvre puis se redressa complètement en expirant longuement. Alors qu'elle s’asseyait, elle continua de respirer profondément.

Bon sang ! Elle était plus forte que ça ! La jeune femme retint sa respiration en relevant sa chemise. Elle entoura ses côtes de quelques bandages peu serrés. Il fallait arrêter le sang, mais la laisser respirer. Elle avait certainement quelques côtes fendues, voir cassées. Elle souffla brusquement, grimaça. Encore un ou deux mouvements et la blessure serrait parée. Elle y poserait de l'onguent plus tard. En attendant elle avait toujours un cannib... un homme vampire qui voulait sa peau ! Elle avait plutôt intérêt à se remettre sur pied rapidement, soit pour s'enfuir misérablement, soit pour... essayer une contre-attaque ? Elle espérait que son allié temporaire serait assez fort pour la défendre. Elle n'avait aucun droit de mourir, pas envie non plus... Elle voulait revoir Mitsu. Elle voulait l'aider, le protéger, partout où il serait. Elle se mordit les lèvres. Ce n'était pas le moment de s’apitoyer sur son fort ! Depuis quand était-elle aussi ramollie ? Il fallait que ça change ! Et maintenant ! Et tout de suite ! Elle noua les deux extrémités du bandage. La terre trembla un peu. Ce fut si subtile qu'Hana ne l'aurait pas remarqué si elle n'avait pas eut les côtes aussi sensibles. Heureusement, le sable avait amorti l'onde. Elle souffla. Ce n'était pas le moment de perdre le contrôle de son fruit du démon ! Elle ferma les yeux trente-secondes, souffla une dernière fois et se remit sur ses pieds.


Ma survie avant tout !


Elle posa ses deux mains sur ses dagues, dans son dos, et les tira hors de leur fourreau sans plus de cérémonie. Maintenant c'était fini ! Il n'y aurait plus de fuites. Il n'y aurait plus de faiblesses. Il n'y aurait plus de pitiés. Il y aurait juste elle, elle et cet abruti de vampire qui n'avait rien compris à ce qu'était un véritable bon repas ! A la limite, il se serait attaqué à un homme-poisson, elle aurait pu être un tant soi peu d'accord. Les hommes-poissons, après tout, c'était des gros poissons. Des beaux morceaux ! En fait... Peut-être que les hommes-vampires n'aimaient pas l'eau ! Hana jeta un coup d'oeil derrière elle. Aller dans l'eau était exclu lorsque l'on possédait un fruit du démon. Dommage... Ce fruit était vraiment une plaie ! Les deux vampires se battaient toujours devant elle. Il était temps d'entrer en scène. Hana chercha un moyen de mettre l'ennemi hors de nuire sans gêner son allié.

Avant qu'elle n'est pu s'engager dans un quelconque mouvement, le vampire fut à côté d'elle. Il souleva doucement une mèche de ses cheveux. Elle frissonna et faillit l'écarter violemment. Mais que faisait-il là ? A la toucher comme ça alors qu'elle était en danger ? Ca ressemblait à... de l’inquiétude. Mais Hana n'eut pas le temps de croiser son regard pour le confirmer. Il chercha des yeux de brun qui était à terre.

« C'était moi... »

La tête de la jeune femme tournait légèrement. Comment était-il arrivé le visage dans le sable ? Une bouffée de chaleur s’empara d'elle et elle fit un bon sur le côté. Elle se sentait mal. Hana passa ses mains sur sa chemise déchirée, malhabilement, et chercha à le remettre en place. Elle tira dessus pour ne pas être gênée, grimaça. Il viendrait vers elle, elle en était certaine. Il était obnubilé par sa présence. Soumis à une envie irrépressible, à un désir irrémédiable, comme atteint d'une maladie incurable, il devenait fou, agissait comme possédé d'une autre nature. Sous cette pression vampirique, il dépendait de ses plaisirs. Il dépendait d'elle.
Et elle ne se laisserait pas faire.

Un sourire, furtif, passa sur ses traits déformés par la douleur. Il ne l'aurait pas, jamais. Son sang lui resterait, sa chair lui appartiendrait à jamais. Un homme, qu'il soit vampire ou d'une autre race, ne pourrait l'assouvir. Il ne restait à ce pauvre cannibale que la diète, le régime, l'abstinence. Face à son inaccessible drogue humaine, il deviendrait lui-même proie de son mal. Il se flétrirait, se replierait sur lui-même et admettrait la mort comme ultime salutation de ce feu qui lui arracherait les entrailles.

Elle serra les dents. Il était temps de mettre fin à ce problème.
Ils étaient avantagé par leur lucidité, bien que le vampire soit plus rapide et plus puissant. C'était une âme sensible et tourmentée, sous le joug de ses désirs et en débat intérieur.

Un vertige lui fit tourner la tête. Sa main chercha un soutient. Elle s'agrippa à l'épaule de son allié. Elle souffla, puis le lâcha. L'autre allait se relever. Et il foncerait sur elle, encore. Il fallait qu'elle soit prête à le recevoir. Ses doigts vinrent entourer la garde de son sabre. Il arriva vite, trop vite, l'arme de la jeune femme sorti de son étuis à une vitesse surnaturelle [ Inuzuma ! ]. Il s'enflamma. La lame illumina la nuit et la brune faillit faire un bond. Comment avait-elle pu oublier la propriété étrangère de cette arme ?

Du sable vola vers l'homme-vampire qui la défendait. Elle n'avait toujours pas compris d'ailleurs, pourquoi il agissait ainsi. Peut-être est-ce un sentiment de devoir envers la veuve et l'orphelin ? Elle s'élança vers l'ennemi alors qu'il arrivait sur elle. Le sabre enflammé droit devant dans un moulinet complexe pour venir lui brûler la chair et lui déchirer la jugulaire.


Meurt, vampire.


Elle avait fait ce geste des milliers fois. Elle avait eut cette envie de meurtre des milliers de fois. Atteinte, trop atteinte. Folle et traînée, étrange, dans son mystère, et forte, dans sa justice incohérente. Parce que ce que je suis aujourd'hui, je le serais demain. Parce que si tout est noir aujourd'hui, tout sera noir demain. Chercher la grisaille dans cette pénombre étouffante est comme chercher le salut de l'impardonnable. S'arrêter ici au bord du chemin, agoniser sur un pont, incapable de reculer ou d'avancer. Et voir celui qui se dresse devant, qui lui rit au nez. Celui qui marche, celui qui s'en va. Et rester là. Perdre devant la force, perdre devant la confiance et la stabilité. Chercher et se perdre. Dans ce noir, cette pénombre. Prendre peur, se lever, courir, s’essouffler, tomber. L'agonie lente et douce des vivants contrariés. Apercevoir une lueur au bout du chemin, souffrir en essayant de la rattraper. Avoir cette faim qui tort les boyaux et ces crampes qui te clouent sur place. Trouver la lueur, désirer, vouloir. Sentir son coeur battre. Son coeur pulser peu à peu. Désirer encore. Désirer plus. Aimer.

Et dépendre.
Encore.

Prendre peur. Ne plus pouvoir respirer. Etre effrayée. Souffrir de nouveau.
Se donner et se sentir faible.
Vouloir être rassurée.

Le sabre de la jeune femme suivit un tracé rodé par l'habitude. Son pied s'enfonça dans le sable en soulevant un peu. Ses deux jambes se plièrent. Elle bondit. Son corps décrivit un arc de cercle au-dessus de l'ennemi. Son arme enflammée chercha la chair. Elle chercha le sang. Elle aussi.

Espérer un coeur qui bat.
Espérer son coeur qui bat.

Alors que ses pieds se reposaient sur le sol, sa lame rencontrait la chair. Le vampire l'avait attrappée à pleine main et il se rapprochait d'elle. Bientôt, leurs corps se toucheraient. Des frissons parcoururent le dos de la jeune femme. Elle avait peur, bon dieu, qu'elle avait peur. Cet être étrange, fou, si différent et si redoutable, si proche d'elle et si sûr de lui. Il respirait lourdement. La peau de sa main, déjà brûlée au troisième degré commençait à fondre. C'était un spectacle horrible, terrible, inhumain. Il souffrait, non pire que ça, c'était pire que ça. Pire qu'éprouver, pire qu'endurer, pire que subir.

« Je peux enfin voir de plus prêt ce ravissant visage, j’aurais aimé pouvoir y associer un nom. »

Elle voulu avoir un mouvement de recul, mais leurs deux vitesses les entraînaient l'un vers l'autre.

« Si je pouvais… te donner… un conseil, tu devrais te laisser pousser les cheveux. »

Elle se mordit la lèvre. Qu'est-ce qu'ils avaient tous à lui donner des conseils sur sa féminité ? Soudain, un sabre tout aussi enflammé que le sien vient percuter sa lame. Le brasier énorme qui prit forme engloba le vampire qui se mit à brûler. A fondre.

Et il souffrait, terrassé par le feu, c'en était insupportable. Hana haïssait la souffrance plus que quiconque. Elle préférait ô combien les meurtres silencieux et rapides qu'elle avait toujours eut l'habitude de faire... sauf à de rares occasions. Il brûlait. Il brûlait. C'était horrible. Effrayant. Alors que la chaleur même des flammes piquaient les yeux de la jeune femme, des larmes se mirent à en couler. C'était infâme. C'était son oeuvre. Son oeuvre. A elle. Son coeur qui battait déjà trop vite eût un regain de vitesse, douloureux. La culpabilité. Hana en était depuis toujours assaillie.

Pourtant, il trouva encore la force de parler.
Lutter contre un destin inéluctable... Non... Hana n'était pas de ceux-là. Hana n'avait jamais été de ceux-là. Elle essayait juste de survivre. Survivre dans un monde invivable.

Lorsque son oreille frôla ses lèvres, elle souffla, juste pour lui.

« Hana... Juste Hana... »

Et il planta ses crocs brûlants dans sa chair. Elle hurla. Sa peau fondue dégoulinait sur la sienne et venait elle-même la brûler, comme un retour de sa propre attaque. Comme une punition. Mais elle n'était pas pas à la mesure de ce qu'elle venait de commettre. Elle n'était pas à la mesure de ce que chacun d'eux aurait pu commettre. Bande d'assassins désespérés lâchés dans la nature broussailleuse d'une île millénaire. Irrécupérables, incurables, soumis à leurs faiblesses qu'ils croyaient force. Ils étaient pitoyables.

Le sang bouilli qui sortait de sa bouche consumait la peau de la jeune femme. Et le sang qu'il lui prenait dans son dernier élan la faisait souffrir mille-et-une fois tout ce qu'elle avait ressentit jusqu'à aujourd'hui.


Mais la douleur physique ne te terrasseras pas.
Non. Pas toi.
Jamais.

Briseuse de lumière.
Ombre du passé.
Que crois-tu oublier par ici ?

Souffre et rappelle-toi de cette douleur.
Pour toujours.
Elle est si minime comparée à celle que tu as fait subir à tes proches.

Assassin.
Vis dans la douleur.
Vis dans les enfers sur la terre.


Elle hurla. Encore et encore alors que la chair incandescente descendait sur la sienne, s'accrochant à son sabre comme une possédée, ne pouvant ni avancer, ni reculer. Les crocs du vampire toujours plantés dans la gorge. Etait-il mort ? ... Surement. Le sabre d'Hana s'était éteint. Il n'y avait plus qu'une fumée épaisse qui quittait le corps du vampire.


Tu songes à l'horreur du meurtre que tu viens de commettre ?
Assassin.

Tu mérites pire que la mort.


Ah tu songes...
Pire que la mort, moins que la vie.
Moins que la vie et pire que l'enfer.

Femme dégoûtante.
Abomination de la nature.
Tu n'as pas de place.

Condamnée à errer entre terre et ciel.
Condamnée à être repoussée par tous.

Horrible femme.
Répulsion du monde.
Purge ta peine.


Échoue pour toujours au repos éternel.
Tous te le souhaiteront.


Les larmes coulaient toujours sur ses joues. Silencieusement, avec une douceur effroyable, elle retira lentement son sabre du corps. Ses côtes brisées, sa chair brûlée et déchirée, elle ne ressentait plus rien de tout cela. Elle lâcha son arme qui tomba sur le sable avec un bruit étouffé. Ses mains vinrent saisir les épaules calcinées du vampire et toujours avec la même douceur, la femme brutale et sans condition le coucha sur le sable. Il était un spectacle horrible et son odeur n'en était pas moins.

Il était... son barbarisme.
Du sang bouilli s'écoulait encore de ses lèvres comme le sang d'Hana s'écoulait encore de ses plaies. Elle resta là, un moment, sans bouger, puis elle tomba.

Ce fut le noir.