South Blue est une mer agitée. Entre les forces de la nature qui menaçaient de se déchaîner à tout moment, pouvant perpétrer de terribles éruptions volcaniques, et la Révolution, plus active que jamais sur cette mer, qui multipliait les points d’attache et continuaient de s’opposer farouchement au Gouvernement il y avait toujours de l’action. Dans tout ce bain de problèmes, l’Archipel Paradise était un petit coin bonheur, un îlot paradisiaque au milieu d’un océan qui l’était beaucoup moins. Si Joseph était ici aujourd’hui, ce n’était toutefois pas pour y passer du bon temps. Une petite équipe avait été appelée sur place pour arrêter un équipage pirate. Ces derniers avaient cru bon de se réfugier sur cette île tranquille, espérant échapper aux autorités. Mais la Marine n’était pas du genre à laisser tomber si facilement.
De son côté, Joseph trouvait l’endroit particulièrement « stimulant »

A leur arrivée sur l’archipel, les troupes avaient du se répartir sur les différentes îles, pour augmenter les chances de retrouver les criminels. Ce matin là, l’artiste avait préparé son sac, avec toutes ses affaires nécessaires à la peinture, puis avait prétexté aller s’occuper seul de la plage à l’est de la quatrième île. En vérité, il ne s’agissait que d’une excuse pour pouvoir être tranquille. La plage Est n’était pas aussi bien éclairée que la plage Ouest, du coup, les vacanciers préféraient l’éviter en plein après-midi, il y faisait trop froid. Toutefois, chaque matin on pouvait y assister à l’un des plus merveilleux spectacle de ce monde. Joseph n’était d’ailleurs pas le seul présent sur cette plage, de si bonne heure. D’autres couples, ou groupes de personnes étaient éparpillés un peu partout dans le sable, fixant l’horizon avec un silence religieux. Sans vraiment se soucier d’eux, Mand avait déplié son chevalet sur lequel il avait placé sa toile. Dans sa main droite, son pinceau était prêt à glisser sur le papier et le remplir de couleurs, pour l’instant posées sur la palette qu’il tenait dans sa main gauche.

- Regardez, il est là ! s’écria soudain une voix juvénile en pointant l’horizon du doigt.

Au début, ce n’était qu’un halo de lumière dans le ciel. Il l’éclairait et lui donnait une teinte orangée, marquant définitivement la fin de la nuit. Puis apparurent les premiers reflets sur l’eau. Ils prirent de plus en plus de taille, à mesure que l’astre incandescent s’élevait dans le ciel. Tel un enfant timide, qui s’extirpait lentement de son sommeil, le Soleil montrait doucement le bout de son nez. La lumière qu’il émettait se réfléchissait sur la surface de l’océan, mais également sur les nuages dans le ciel ou encore sur le visage des témoins privilégiés de cette scène incroyable. Joseph voulait « capter » les émotions de ce moment particulier à jamais, en les reproduisant sur sa toile. Il lui faudrait jouer avec les tons pour reproduire le plus fidèlement possible ce spectacle lumineux.

- C’est un très joli lever de soleil !

Il s’était exclamé à voix haute et souriait. A l’époque, lorsqu’il était affilié au G-16, à San Faldo et qu’il n’était pas de garde, il avait l’habitude d’aller regarder le lever de soleil avec ses jumeaux. Carmen n’avait jamais véritablement compris l’utilité de la chose, mais elle le laissait faire. Le soleil avait déjà parcouru un assez long chemin dans le ciel lorsque Joseph acheva sa toile. Il la décrocha du chevalet et la regarda attentivement car, bien qu’il maîtrisait la technique à la perfection, quelque chose manquait à ce tableau pour qu’il soit… achevé. Le Den Den accroché à sa ceinture n’arrêtait pas de sonner. D’autres soldats essayaient de localiser sa position, mais il était trop absorbé que pour le remarquer et continuait de ne pas y répondre.

- Mmm, il manque quelque chose…

- Peut-être qu'il faudrait faire ressentir ce que justement tout le monde a ressenti à ce moment non ?

Une jeune fille s’était faufilé dans son dos sans qu’il ne s’en rende vraiment compte. Il avait parlé à haute voix sans s’adresser à quelqu’un en particulier, car il était focalisé sur sa toile. Coincé dans sa bulle a essayer de trouver ce qui manquait à son tableau, Joseph ne prêta de suite attention aux paroles de cette demoiselle, pensant qu’elle devait s’adresser à quelqu’un d’autre. Lorsqu’il aurait trouvé ce sur quoi il bloquait, il pourrait ensuite passer à la partie la moins évidente de la peinture : nommer son œuvre. Cela pouvait paraître étrange, mais depuis qu’il savait manier les couleurs, Mand avait toujours eu des difficultés à donner des titres. Soudain, comme si les paroles venaient de son esprit, il repensa à la phrase de la jeune fille, qui flottait dans son esprit, de manière abstraite. « Faire ressentir ce que justement tout le monde à ressenti ». En tant que peintre expressionniste, le style de Jo’ était principalement basé sur les émotions. Il peignait de sorte à susciter chez son spectateur une réaction émotionnelle. Poussé à son paroxysme, il était même capable d’utiliser cette capacité pour appréhender des pirates, mais il n’était pas question d’affronter des forbans pour le moment.

- C’est précisément ce que j’essaye de faire, mademoiselle, mais je ne…

En se tournant pour regarder son interlocutrice, Joseph s’arrêta net. Il contempla la jeune fille qui l’avait abordé, scrutant son corps et ses formes comme pour les ancrer dans sa mémoire. Sa chevelure rougeoyante fut la première chose qui l’interpella. Dès qu’il la vit, il sut instamment que c’était elle ! Il cherchait ce qui se trouvait juste à côté de lui. Détournant son attention du tableau pour se concentrer sur la jeune fille, il agença ses pouces et ses index de manière à former un cadre et ferma un œil pour être plus précis. Sans dire un mot, il se leva en scrutant la demoiselle à travers l’œillère que formaient ses doigts. Il tourna autour d’elle, cherchant le meilleur angle disponible. Elle l’inspirait, elle l’avait débloqué, il sentait l’idée naître et grandir en lui.

- En tout cas, laissez-moi féliciter vos talents d'artistes parce que c'est vraiment très beau ! Vous êtes venus sur cette île exprès pour ce spectacle ?

- Merci. En effet, je suis venu ici exprès. Mais aussi ravissant soit-il, ce spectacle n’est rien en comparaison avec vous. A vrai dire, votre beauté rayonne avec autant d’intensité que ce soleil.

Il attrapa alors sa toile et se déplaça de façon à avoir le lever de Soleil ainsi que son interlocutrice dans son champ de vision. Il s’était assis de façon à ce que les rayons lumineux se reflètent dans la chevelure de cette jeune fille. Son crayon glissait frénétiquement sur la nouvelle toile vierge, tandis que son regard oscillait entre les deux Astres flamboyants. Joseph était content, il avait fini par trouver ce qui lui manquait. Sur sa toile, le corps de la jeune fille se tenait au centre de la plage, mis en valeur par le soleil qui se leva derrière elle. Et il avait même déjà une idée de titre.

« Titre : les Deux Soleils du Paradis »

Ce ravissant corps féminin faisait ici office d’Allégorie du soleil, mais en même temps, le Soleil était une allégorie de la beauté de cette jeune femme. Bien sûr, le mot Paradis était une référence à l’île où tout cela se produisait. Le crayonné terminé, il ne lui manquait plus qu’à peindre

- Excusez moi, mais pourriez vous changer de pose ? En bougeant vos bras ou en vous déplaçant sur le sable par exemple. J’aimerais bien vous peindre sur quelques toiles si possible, ai-je votre accord ?