Hunter Island.

Timber

Chuck avait été très sympathique. Shindô et lui avaient fini par être en bon terme, étonnant lorsque de prime abord, rien ne laissait supposer une fin pareille. Les premiers mots que s’adressèrent les deux hommes laissaient au mieux présager qu’ils tenteraient de s’entretuer. Comment et pourquoi cette rage s’était muée en sincère sympathie ? Le Mystère est entier. Shindô mettait ça sur le dos de la « magie du combat ». Situation qu’il expérimentait particulièrement souvent. Lorsqu’un duel atteignait une certaine intensité, tout en restant agréable, il était tellement focalisé sur ce moment qu’il en venait à oublier le reste, sa raison de se battre, l’enjeu, le contexte extérieur,… Toutefois, cela restait toujours du niveau de la Rivalité amicale et parfois, cette notion de rivalité pouvait prendre des proportions hors-norme. Là ou Dust désirait affronter le Phénix pour prendre revanche, ainsi que pour mettre le grappin sur une somme colossale d’argent, lui ne voyait qu’un besoin de témoigner sa force à cet homme, afin de prouver la légitimité de cette « rivalité ». Même avec Dust, Shin’ avait ce genre de relation. Et leur petit combat à l’arrivée sur l’île ne faisait que le prouver.

Bref, afin d’aider son nouveau rival amical, Chuck avait indiqué au Fugu l’adresse de l’unique ébèniste du lieu. Endroit où Shindô se rendait à présent, ignorant complètement ce qu’il pouvait se passer au large de l’île. Le lieu était assez reculé du centre ville et plutôt mal placé. Dubitatif face à cette vitrine délabrée, il finit par entrer, après avoir vérifié l’adresse trois fois. La pièce était sombre et miteuse. La multitude de meubles en bois qui ornaient la salle portait un manteau de poussière. Terré dans un coin, occupé à lire son journal, baignant dans une marre de fumée, un homme redressa les yeux en voyant l’homme poisson.

- Ouais ? C’est pour quoi ?

- Bonjour, j’ai besoin de beaucoup de bois pour un projet audacieux, on m’a envoyé chez vous…

- Quelle quantité ?

- Assez que pour construire un navire. Je n’ai pas les chiffres exact, mais je peux vous montrer le pl…

- Cinquante million.

- Quoi… mais c’est...

- Cinquante million ou rien. Tu crois que je n’ai que ça à faire que de revendre le bois que j’ai moi-même coupé et traité ? Tu n’as qu’à aller le prendre toi-même ton bois !

- Pas faux. Et où est-ce que je pourrais… ?

- De l’autre côté de l’île, dans la forêt. Mais faut faire gaffe aux bestioles la nuit. Maintenant si tu n’as rien d’autres à faire, casse toi, j’ai un mot-fléché à terminer.

[…]

L’humain peu commode n’avait pas menti. Il y avait bel et bien une forêt plutôt dense sur l’autre versant de l’île. Shindô s’y était rendu à la nage après être passé au lieu de gîte de l’organisation, pour informer Dust. Entre-temps, le soleil s’était progressivement effacé pour laisser place aux étoiles et à la lune. Munis d’une scie de mauvaise facture qu’il avait pu se procurer pour trois fois rien, l’homme poisson progressait parmi les arbres, mesurant avec attention la portée de chacun de ses pas. Les paroles de l’expert en bois résonnaient encore dans sa tête. Il n’avait pas peur mais se tenait simplement sur garde. Soudain, un étrange cri d’oiseau déchira le silence de la nuit. Shindô tenta d’identifier l’origine du bruit, mais n’avait pas été suffisamment attentif. Il demeura immobile pendant une quinzaine de seconde, avant de finalement se remettre en route. Alors qu’il s’arrêta au pied d’un petit arbre qu’il allait commencer à scier, un étrange bourdonnement attira son attention. Il se tourna et évita de justesse un rapide coup horizontal. L’arbre derrière lui fut littéralement scié à la base du tronc.

- Des Mantes enragées ? Bon, ça me fera passer le temps, lacha-t-il en faisant craquer ses articulations.

Hunter Island.

Vous êtes les victimes des hôtes de ce bois.

A nouveau, ce cri caractéristique retentit et la mante attaque de plus belle. Shindô se contentait d’esquiver les attaques, qu’il parvenait de plus en plus facilement à anticiper. En effet, chaque type d’attaque était précédé par un cri d’oiseau bien caractéristique. En levant les yeux, l’homme poisson avait assez rapidement compris que l’étrange piaf perché sur une branche au dessus de lui contrôlait l’insecte enragé, pour une raison qui lui échappait et qu’il n’avait de toute façon pas envie de chercher. Il focalisa donc son attention sur ce volatile, évita une énième attaque de la mante sans même regarder l’insecte. Il fit ensuite mine de préparer une contre attaquer et abaissa son poing au niveau de sa ceinture, mais fit soudainement volte-face pour se retrouver devant le tronc de l’arbre sur lequel l’étrange oiseau était posé. Avec rage, il délivra son terrible Senmaigawara Seiken, capable de briser cent tuile et donc forcément capable de venir à bout d’un simple tronc. Dans un craquement assourdissant, l’arbre se mit à tomber et l’oiseau, surpris, s’envola sans demander son reste, libérant ainsi les animaux qu’il tenait son contrôle, grâce à ses ordres. Shindô l’avait intuitivement compris en remarquant le timing avec lesquels cris de piaf et attaque de mantes étaient coordonnés. Comme si elles émergeaient d’un long rêve, les bêtes s’en allèrent comme si rien ne s’était passé.

Muni de sa médiocre scie, Shin’ décida de tailler correctement cet arbre dont il avait explosé la base à coup de poing. Le bruit provoqué par ses mouvements de va-et-vient déchirait le silence de la nuit. Il n’y prêtait pas attention, mais beaucoup de petits animaux s’éloignaient, par peur, hormis d’autres oiseaux de la même espèce que le précédent, tous perchés bec vers la même direction, visiblement en train de toiser l’homme poisson du sommet de leur branche.

- Si votre ramage se rapporte à votre plumage, … Bref, cassez-vous de là.

- Qui va-là ? Hurla soudain une voix rauque, sur sa droite.

Petit mais costaud, de gros bras poilus, en coordination avec sa moustache brune, voilà comment on pouvait décrire Pycelle en quelques mots. Il tournait en rond dans cette forêt depuis un peu plus d’une heure. La raison ? Ces païens de pirates. A l’arrivée du groupe sur l’île, ces « primes sur pattes » s’étaient empressé de lancer une attaque de masse sur le navire, les forçant à naviguer en retraite. Bien sûr, le navire avait subis des dommages et bien évidemment, il fallait le réparer avant le voyage de retour et bien sûr, qui avait perdu à la courte paille ? Pycelle, le nabot malchanceux, qui allait devoir aller chercher dans la seule forêt environnante de quoi rafistoler le pont, la coque et le mat. On avait presque du le pousser pour qu’il y aille et très vite, il avait perdu ses repères. La situation n’avait fait qu’empirer à la tombée dans la nuit, où il s’était fait attaquer par des coccinelles enragées, sans aucune raison. Voilà qu’à présent il tombait, en plein milieu de cette forêt démentielle sur un homme poisson muni d’une scie.

- Okay le poisson, si toi aussi tu es fou comme tous les animaux du coin, je te préviens, je suis Pycelle le nabot, mais je suis costaud !

- Du calme, pose cette machette Pycelle. Je m’appelle Shindô et je ne suis pas contrôlé par ces oiseaux de malheur.

- Quoi, c’est à cause de ces oiseaux que les animaux sont dingues ?

- Je n'en suis pas certain, mais quand j’ai chassé le piaf qui piaillait au dessus de ma tête, les mantes religieuses géantes se sont calmées.

- Si j’avais su… je n’aurai pas perdu mon temps à décimer ces coccinelles et je serais sûrement déjà rentré.

Pycelle et Shindô sympathisèrent très rapidement. Peu de temps après leur rencontre, une horde d’insecte, dirigé par un trio de South Bird tenta de les dévorer. Ils profitèrent alors de l’occasion pour allumer un feu et les cuirs, après leur avoir foutu une bonne raclée. Pour beaucoup, manger des insectes était répugnant, voir tabou. Mais la valeur nutritive de ces animaux était bien réelle et au fond, il ne s’agissait que d’une question de culture. Pous Shindô, habitué aux poissons, ce fut une première. Quant à Pycelle, il en mangea surtout à défaut de ne pouvoir se mettre autre chose sous la dent. Les deux compères discutèrent de tout et de rien plusieurs minutes durant et s’arrêtèrent soudain lorsque deux individus émergèrent depuis un buisson.

- Qu’est-ce que vous faites là les gars ?

- T’es parti depuis presque deux heures, boulet. Chronos est furax et tu sais comment ils sont ses amphibiens quand ils s’énervent. Heureusement qu’il y avait ce feu, sans ça on aurait pu encore passer des heures à te chercher.

A l’énonciation du nom “Chronos”, il avait eu un sérieux doute, mais sa pensée se confirma lorsque l’humain cita par la suite l’homme poisson comme “amphibien”. Sans quitter sa place, Shindô regarda sa main droite, pensif. Il ne s’attendait pas à replonger de la sorte dans son passé et si celui dont ces deux-là parlaient était bien celui qu’il pensait… alors il n’avait plus qu’à espérer que…

- On a retrouvé ces deux crétins inanimés dans les rues de la ville. Archer s’est allié avec une sorte d’organisation et il semble déterminé à se rebeller. On va mener un raid de nuit sur ces types, histoire de leur faire comprendre ce qu’est le chaos.

D’accord, ces types étaient d’autres amis à Noctis, d’accord. Et alors ? Ca, il n’en avait absolument rien à cirer. Par contre, il avait espéré et il avait mal espéré. Chronos était derrière tout ce délire… c’était le pire scénario envisageable. Chronos était leur ennemi. Désireux d’en savoir d’avantage, Shindô se leva pour venir se placer au beau milieu de la conversation. Il fit craquer les articulations de ses phalanges et ferma les yeux tout en prenant une bonne inspiration.

- Désolé Pycelle, mais il semblerait que nous soyons ennemis. Je ne vais pas me fatiguer à vous expliquer le pourquoi du comment, on va simplement se battre, parce que j’ai quelques questions à vous poser.

Hunter Island.