C'est calme... J'aime pas trop beaucoup ça...

Le vieillard avait été envoyé sur une ile peu peuplée. En fait, il s’agissait d’une nouvelle tactique pour se débarrasser de l’ancêtre. Il n’était plus question de le garder pour le laisser faire ses bêtises au sein d’une base mais il servait dorénavant de prétexte pour les jeunes marins trop téméraires besoin d’être punis. L’idée d’un cachot n’avait plus beaucoup d’effets sur les jeunes et c’est plein d’entrain que l’on confia un petit bateau au lieutenant accompagné de quelques récalcitrants mousses pour une mission d’entrainement sur cette ile si peu peuplée et si peu habituée à recevoir de la visite.

Un simple village de pécheurs existait sur cette petite ile. Ce dernier était plutôt pittoresque et seules quatre ou cinq familles le peuplaient. Quelques barques, un seul plus gros bateau et tous se connaissaient. Il n’y avait pas non plus de commerces dans le coin si ce n’est un bar/épicerie/hôtel/boite de nuit/Restaurant/Salon de massage. Allez savoir pourquoi un tel commerce existait sur l’ile… cependant il s’agissait là de l’endroit le plus fréquenté. Au-delà du village se dressait une large plaine avec quelques champs et arbres par ci par là et aucune vision sur une autre ile.

Le bateau du lieutenant Gratz arrivait à destination et mouilla non loin de cette ile paradisiaque et calme. Nils, sachant qu’il était qu’avec de jeunes mousses tous âgés aux alentours de la vingtaine, se résigna à prendre le commandement de par son grade et son âge avancé. Ainsi il expliqua le but de la mission : ils allaient tous faire du camping et subir l’entrainement du grand-père.

Tous avaient cru à une promotion ou un nouveau test pour justement être promu au sein de la base. Aucun d’entre eux n’avait en réalité déjà eu à faire au grand-père et les ordres que donnait l’ancêtre ne semblaient pour le moment pas hors de propos. Tout semblait bien se dérouler, tout semblait particulièrement calme même si le vieux bougre n’en foutait pas une comme à son habitude. Les canots arrivés sur le sol de l’ile, tous les marins se précipitèrent pour bien faire et déjà des bagarres éclatèrent à droite à gauche pour celui ou celle qui devait monter la tente. Qui réussirait le mieux ?

Le vieillard beugla quelques nouveaux ordres qui commençaient déjà à être un peu moins compréhensibles.


Vous faites du feu, vous creusez les latrines, vous plantez les tentes, vous creusez les latrines, vous me faites un thé, vous creusez les latrines et…
Le vieillard marqua un temps pour se gratter sa longue barbe. L’intense réflexion poussait les treize autres mousses à s’interroger sur l’importance de la prochaine phrase. Ainsi, ils furent tous désappointés lors que Nils arrêta tout simplement de se tripatouiller pour se diriger au village. Tout d’abord suivi, il fit les gros yeux au pauvre qui essayait d’échapper à sa corvée en lui promettant une fessée s’il ne rentrait pas de suite aider les autres.

Lui n’avait que faire de là où il allait pourvu qu’on ne le dérangeait pas. Ainsi, Nils entra dans la salle boutique qui fut ravi de le compter comme un nouveau client. L’endroit était animé et beaucoup de personnes s’arrêtèrent de parler pour le regarder. Le vieux expliqua alors qu’il avait besoin d’une chambre et que quelques jeunes allaient subir son entrainement tout en bombant le torse, révélant par la même occasion son insigne de Lieutenant.

Les villageois semblaient ravis de voir que de l’animation allait avoir lieu dans peu de temps, ainsi ils proposèrent d’aider les jeunes marins mais Nils refusa, arguant qu’ils étaient jeune et que de son temps, on n’avait pas besoin d’aide pour monter une tente !

La journée passa ainsi sans que le groupe des treize marins ne fasse parler de lui… mais cela allait-il durer ?

Même un vieux ce n'est plus ce que c'était !

L’ile avait semblé un poil plus grande que le vieux n’avait pu le remarquer mais en même temps. C’est pas comme si le vioque avait véritablement eu les meilleures infos et les meilleurs yeux qui soient. Ainsi, une fois dans le bar/taverne/toutiquanti, l’ancêtre fut très vite rejoint par un énergumène quelque peu étrange. Tous semblaient le connaitre et Nils ne faisait rien d’autre que de regarder la scène se dérouler sous ses yeux. Peut-être aurait-il été un peu grognon du fait qu’on ne lui accorda pas la même attention que quelques secondes auparavant mais il ne fallut que peu de temps pour qu’il reprenne ses esprits.

Une loutre ?

Plissant les yeux légèrement, l’ancêtre tenta de dévisager le jeune homme pour voir s’il pouvait en apprendre davantage. Avec son incroyable sens de l’observation, ses déductions légendaires, tellement fier d’être celui qui allait entrainer les jeunots pour transmettre son savoir millénaire, il ne put que tirer des conclusions évidentes : le jeune était un maudit. Et il avait mangé le fruit de la loutre. Tout en se grattant la barbe d’un air entendu, le vieux sénile comprit de travers les dernières paroles du jeunot. Certes, il avait étrangement parfaitement entendu que ce qu’il prendrait ne lui reviendrait pour pas un sou, mais il pensait que ce dernier en « avait trop pris ». Quelque peu perdu dans ses pensées, le vieillard reprit très vite contenance pour s’adonner à son plus grand plaisir : embêter son monde. Retournant ainsi son regard vers les différentes boissons ou services proposés, il était à la recherche, non pas de ce qu’il pouvait préférer… mais simplement de ce qu’il y avait de plus cher !

Son choix s’arrêta sur une bière qui devait certainement avoir vieilli dans un fut d’or vu le prix exorbitant. Le jeune avait certainement marqué bon nombre de points avec cette proposition pour l’estime du vieillard mais voilà qu’il était maintenant question de jouer de la musique ! Non pas que Nils n’aimait pas la musette ou l’accordéon, il se rappelait d’ailleurs bon nombre de bals auxquels il avait pu participer, mais la musique de sauvage des jeunes de nos jours n’avait rien de comparable avec les douces mélodies d’antan !

Faisant une mine déconfite, il ne put s’empêcher de se demander s’il devait ou non placer le dit-Banjo dans certains orifices. Finalement, le vieillard vida simplement la bière d’un seul trait avant de trouver une façon très ingénieuse de faire arrêter le vacarme. Haut et fort, et bien évidement sans payer, il décidait de faire l’entrainement de sa troupe derechef, et puisque le jeune musicien avait été sympa… ou tout du moins un instant… en fait sa musique était plutôt bonne… juste que le vieux schnoque ne… était-ce certain qu’il ne manquait pas un chiffre pour le degré d’alcool de cette bière ?

Titubant quelque peu, le grand-père avec les joues rosies s’exprima ainsi du mieux qu’il put.



Oh oh oh ! Finalement, j’m’en vais r’veiller les j’nots pour t’les entraineuh ! Et toi ! T’viens avec moi la loutre ! F’pas déconner ! J’vais t’apprend’ c’qu’c’est qu’de jouer d’la m’sique moi !
Sortant en trombe, le vieillard se redirigea vers le camp de fortune des marins dans l’objectif de les préparer à l’avenir, pour les former à la dure ! Comme lui avait pu l’être dans sa jeunesse. Arrivant à destination, il s’arrêta un instant pour reprendre son souffle. Inspirant un grand coup, le regard déterminé, Nils joignit les deux mains pour imiter un clairon dans l’optique de réveiller tout le monde. Il tentait désespérément de souffler dans son appareil imaginaire, mais aucun son ne semblait vouloir accompagner le vieux. Se tournant alors sur sa gauche il voulut engueuler quelqu’un d’un « fais donc quelque chose avec ton Banjo » mais y avait-il vraiment quelqu’un au final ? Le jeune l’avait-il suivi ?

Visiblement… il était maintenant certain qu’il s’était trompé de bouteille… d’ailleurs : elle n’avait pas vraiment le gout de bière cette boisson. Avait-il confondu avec la bouteille de Whisky du jeune artiste ?

Craboudy ?

Mon dieu quel vacarme ! Le vieillard ne put s’empêcher de râler devant tant de brutalité musicale : ça bougeait dans tous les sens et pour sûr ça ne pouvait que réveiller les jeunes marins qui dormaient encore paisiblement… les jeunots, réputés pour avoir le sang chaud vinrent alors encercler le nouveau venu et ils étaient bien décidés à en découdre.

Déjà à moitié rendu à moitié sourd par la vieillesse, le boucan qu’avait provoqué le guitariste eut le don de provoquer de violents acouphènes au senior. Nils tenta alors de sauter sur place en se fourrant les doigts dans les oreilles pour apaiser ses oreilles mais rien à faire : il n’entendait plus rien. Du tout. Tant pis ! Il ferait avec !


Gare au loup !
Le pauvre Nils, en plus de ne rien entendre, ne parvenait plus à parler correctement. Persuadé d’avoir sorti un « garde à vous » propre et net, il prit la pose du lieutenant en bombant le torse. Tout d’abord décontenancés, les jeunots ne savaient pas comment réagir mais comprirent vite que la journée commençait. Certains râlaient tandis que d’autres s’exécutèrent tout de même. C’est qu’ils avaient tout de même envie d’étriper le musicien mais se contentèrent de se jurer de lui faire payer un peu plus tard.


Bien ! L’entrainement va commencer ! Premier exercice…

L’ancêtre se triturait maintenant la barbe à la recherche de quoi faire. Ses supérieurs ne lui avaient jamais dit quoi faire de plus que de « les emmener là-bas ». Du coup ! Pris d’un éclair de génie : l’ancêtre expliqua que pour apprendre de nouvelles techniques, ils devraient passer par différents stades : forger leur esprit et leur corps pour finalement apprendre la meilleure technique qu’il soit : le Kami-E ! Une technique de Rokushiki qui permettait de se contorsionner dans tous les sens.

Nombre des marins avaient dorénavant oublié l’incident de la guitare et écoutaient attentivement. Il faut dire que peu d'entraînements de ce genre existait et pour cause : il s’agissait de techniques secrètes de membres CP9, organisation elle aussi secrète du gouvernement. Certains y virent donc le moyen de gagner en force et pourquoi pas en grade… si seulement le grand-père connaissait vraiment une de ces techniques…


Premier exercice ! Forger son corps : Vous devez me rapporter une pomme de pin, et un craboudy !

Personne ne savait ce dont il s’agissait et tous devenaient perplexes quant à l’idée de rapporter un tel objet mais déjà plus des trois quarts des marins s’élancèrent… mais qu’avait bien voulu dire l’ancêtre ? Au moins avec le poison et le temps qu’il avait pu mettre à retrouver le camp, le vieillard pourrait cuver durant ce temps. Qu'allaient bien pouvoir ramener les jeunots pour satisfaire le vieillard ?

« Gribouilli ? »

Licorne ou Panda ?

Le vieillard avait demandé un Craboudy. En fait, il savait pertinemment que ça n’existait pas et souhaitait simplement avoir la paix. Ces pauvres marines n’étaient que des bambins comparés à ce que pouvait être l’ancêtre et son expérience. Ils se devaient donc d’apprendre ce que c’était que de se faire rouler par bien plus malin et surtout bien plus intelligent que soi !.. Le premier qui dit quelque chose aura droit à une fessée du vieux… c’est promis !

Quoiqu’il en soit, une fois les quelques secondes d’étonnement passées, tous les soldats détalèrent en direction de la forêt pour chercher le premier objet bien réel : la pomme de pin. Pendant ce temps, l’acolyte du jour du grand-père semblait perdu dans un grimoire… ah ces jeunes et leurs bandes dessinées ! Il ne fallut guère plus de quelques autres secondes pour que ce dernier ne se mette à sangloter avant d’hurler comme un démon. Mais c’est qu’ils sont pas bien ces jeunes de nos jours ! Nils recula d’un pas devant cette scène mélancolique au possible avant de se mettre à hurler finalement plus fort que le jeunot qui semblait perdu.



Chiale ! Tu pisseras moins !
Au moins le ton était donné. A tous les coups, le jeunot avait du voir son héros mourir dans sa bande dessinée ou bien était parti dans un délire mégalo et dans tous les cas, le ramener à la réalité semblait la meilleure chose à faire. Croisant les bras un instant avant de lever les yeux au ciel, le vieillard soupira longtemps avant de finalement s’approcher près du gosse. Sa bonté le perdra ! Un poil sarcastique, il ne put s’empêcher de continuer sur sa lancée.


Qu’est ce qui t’arrive, tu ne sais pas ce qu’est un Craboudy ? Tu as vu des vilains pas beaux dans ta BD ? Raconte donc tes malheurs à papy…
La bouche en cul de poule, le vieux ne semblait pas véritablement s’intéresser à ce que pouvait avoir le sale môme mais s’il voulait avoir un tant soit peu de tranquillité, il allait devoir gérer ça du mieux qu’il pouvait. C’était pas avec un sale gosse larmoyant qu’il allait pouvoir profiter de sa retraite sur cette ile pour sûr du coup le docteur Gratz s’installa à côté, le regard perdu dans le vide en se souvenant de ses cours de médecine… « La catharsis Nils, la catharsis » !

En fait, il y avait fort à parier qu’il n’allait pas écouter… cependant, il savait que parler, pour les gens malades, avait un effet des plus efficaces. C’est ainsi que le vieillard commença à vagabonder dans ses pensées, perdu entre une licorne joueuse de basket-ball et un panda joueur de piano. Il ne savait pas vraiment lequel choisir comme animal de compagnie.


Cruel dilemme !
Oups ! L’ancêtre venait de penser à voix haute…

Etre ou ne pas être ?

Ca va chier !

Le vieillard fut irrémédiablement tiré de sa rêverie par le jeune homme avec des propos qui semblaient tout sauf cohérent. Mais au moins, il paraissait avoir repris du poil de la bête ! Sans doute avait-il pu expliquer sa vie et bon nombre de ses aventures pour pouvoir évacuer au mieux ce qu’il ressentait… quoiqu’il en soit, ce dernier en était venu à prendre l’ancêtre dans ses bras… wait ! What ?

Nils ne comprit absolument pas la situation et ne réalisa finalement que lorsqu’un toussotement de gêne lui parvint aux oreilles de la part d’un matelot. Voyant que l’ancêtre ne réagissait pas et après tous les sous-entendus graveleux du jeune pirates, tous les matelots lâchèrent leur trouvaille pour prendre le vieillard dans leurs bras ! C’était pourtant évident : le Craboudy n’était autre qu’un câlin crade ! Décontenancé par cet élan d’affection, le vieux recula d’un pas et commença une course effrénée de plus de dix mètres au moins avant de s’écrouler de fatigue à terre. En même temps, avec le fait qu’il n’avait pas dormi, il ne fallait pas en attendre davantage d’un tel vieillard.

Tous les matelots se ruèrent alors sur lui allant jusqu’à l’ensevelir de leurs corps. Tous désiraient apprendre cette technique fabuleuse dont lui seul et les membres du CP9 avaient le secret… si seulement lui-même connaissait ne serait-ce qu’une seule de ces techniques !

Ainsi enseveli, le vieillard ne pouvait se débattre. Bientôt, il manquerait d’air et c’est pour cette raison qu’il eut recours à la seule chose qu’il lui restait : son fruit. Laissant s’échapper un liquide corrosif en dessous de lui, la terre commença à fondre et ce dernier commençait plus ou moins à creuser sa tombe. Réalisant sa bêtise, le grand-père n’eut d’autre solution que de changer de technique en libérant un gaz bien plus nocif par sa bouche : le fameux et tant redouté gaz laxatif. En quelques secondes, alors que le vieux lieutenant risquait l’asphyxie, tous les matelots commencèrent à se sentir mal pour de bon. Tous sentaient que le sphincter risquait le drame. Pour contenir le maximum de dignité, beaucoup d’entre eux s’en retournèrent dans la forêt en se tenant l’arrière train. Ainsi, c’est une véritable ligne d’homme qui courrait en direction des arbres pour se préserver des regards indiscrets.

Pouvant à nouveau respirer, Nils se releva avec grand peine avant de finalement hurler à plein poumon pour l’entrainement.



Le dernier qui tiendra le coup de cette attaque aura le droit de connaitre ma technique secrète !
En réalité, le vieux cherchait encore un moyen de gagner du temps mais l’action irréfléchie de son comparse du jour l’avait mis dans une situation des plus complexes et il semblait lui en vouloir pour ça ! Le vieux avait dû faire un effort phénoménal pour tenter d’échapper à ces matelots bien trop affectifs et dorénavant, le jeune musicien devrait lui aussi se conformer à l’exercice. Nils savait pertinemment que pour avoir la paix, il fallait se débarrasser de lui de la manière la plus « propre » qui soit.

S’approchant lentement du jeune guitariste si celui-ci n’avait pas bougé, le vieux ne parvint pas à masquer ses intentions et libéra de nouveau son gaz laxatif dans sa direction. Pour éviter de faire de la mauvaise graine avec les jeunes, il fallait du bon engrais. Quoi de mieux qu’un gaz laxatif pour en produire ?

J'aurais su j'aurais pas venu !

Mon dieu quelle horreur ! Voilà que le jeunot s’était retrouvé avec un accoutrement des plus ridicules. Et Il en fallait beaucoup pour choquer l’ancêtre quant aux habits qu’on pouvait arborer. Non sans mal, le vieillard cligna des yeux à maintes reprises avant de rester totalement sidéré par la situation qui se présentait à lui. D’un côté on avait une bande de matelots punis de par leurs exactions passées, de l’autre, une sorte de sale gosse qui ne trouvait alors pas autre chose qu’un défilé empli d’immondices. Et de l’immondice, il en pleuvait maintenant. En plus de l’odeur se mêlait maintenant une espèce de fuite non négligeable. Comme quoi la honte n’atteignait plus la jeunesse de ce monde… quelle tristesse.

Soupirant devant une telle scène, même le vieillard n’en revint pas. Il n’avait cependant plus le choix dorénavant : tous les matelots tentaient tant bien que mal de se retenir dans l’unique but d’apprendre cette nouvelle technique, ce nouvel art que seul un ancêtre aurait pu posséder. Finalement, voilà que ce jeunot devenait de plus en plus pénible puisqu’il donnait des idées pour résister aux dingueries du grand père. Un élément finalement terriblement gênant dont Nils se serait bien passé.

Bien vite, la situation dégénéra et les différents marins maintenant en disgrâce quasi-totale semblaient cependant véritablement têtus. Et c’est d’une seule voix qu’ils crièrent à leur victoire. Très vite, l’ancêtre se retrouva dans une situation des plus délicates : il devait maintenant réagir au plus vite et penser le plus rapidement possible pour trouver la meilleure solution… seulement rien ne vint. Reculant petit à petit, Nils commençait à avoir quelques gouttes de sueur perlant au coin du front. Non qu’il se sentait mal à l’aise mais il était un peu comme un politicard ne s’attendant à pas à gagner une primaire : il n’avait pas prévu de programme.

Tous s’impatientaient, attendant inlassablement la démonstration ou l’enseignement d’une technique du CP. Essayant vainement de chercher comment il avait finalement fait pour se mettre dans un tel nid à embrouille le vieillard tenta tant bien que mal de reprendre un tant soit peu de prestance et ce n’est qu’au bout de plusieurs secondes qu’il trouva la parade parfaite. Joignant les deux pieds ensembles, il posa la main gauche sur son cœur à droite avant de tomber lentement en relevant le menton au sol. S’il n’avait pas été tant acculé, il aurait pu se souvenir de la base de la médecine mais tant pis ! Il n’avait déjà que trop réfléchi et finit par opter pour la solution de base qui consistait à mimer la crise cardiaque.

Tombant à la renverse et manquant de se casser une côte dans la chute, le papy priait secrètement pour que personne ne remarque sa maladresse. Au pire, on pourrait simplement penser à une étrange particularité d’un cœur de l’autre côté ou simplement à un papy sénile… qui sait ?

Marins ingrats !

Les yeux toujours fermés, il y avait de l’agitation tout autour de l’ancêtre. Sans doute avait-il déjà passé l’arme à gauche… ou à droite vu qu’il s’était trompé. Dans la hâte, la main retomba sur le sol et le vieillard fut du mieux qu’il put pour tenter de ne pas rouvrir les yeux. Si on le croyait mort peut-être pourrait-on finalement lui ficher la paix, non ? Ainsi, plusieurs exclamations lui parvinrent aux oreilles malgré son ouïe défaillante et en tentant de visualiser la scène, le lieutenant se pensait sorti d’affaire jusqu’à ce que finalement les premières palpations ne se fassent ressentir. On tripotait le vieux !

Se retenant de crier au viol, le grand-père tentait tant bien que mal de jouer au mort, il s’était fourré dans une situation délicate et seuls deux choix s’offraient à lui : soit il choisissait de se laisser faire pour convaincre qu’il était bel et bien mort et qu’il ne méritait donc plus du tout d’intérêt de la part du reste du groupe, soit il choisissait de réagir de façon virulente en empoisonnant tout le groupe réuni autour de lui. Il fallut quelques secondes au vieillard pour se décider et alors qu’il allait choisir la troisième option de son cru, le massage cardiaque débuta avec un baiser des plus dégueulasses. Une odeur d’alcool et de cigarettes envahissaient la cavité buccale du pauvre vieux qui n’avait en réalité rien demandé à personne ! Pourquoi est-ce que subitement, on s’intéressait aux vioques ? Pourquoi on tentait de le sauver ? De façon générale, un vieux qui se liquéfiait permettait de réduire les impôts alors pourquoi est-ce qu’on tenait tant à le savoir en vie ?

Sans comprendre, la deuxième partie du massage cardiaque commença et un crac sonore retentit dans la cage thoracique de l’ancêtre. Il avait appuyé trop fort ce con ! Hurlant de douleur, une côte probablement cassée ou simplement remise en place – dans la mesure où le vieux était déjà cassé de partout, comment pouvait-ton finalement savoir ? –, le vieillard s’expulsa avec la force du désespoir hors du groupe en repoussant ceux qui étaient autour. Pour tout dire ce regain d’énergie venait de mettre son plan à nu et ne sachant pas vraiment comment faire pour se sortir de cette nouvelle situation, Nils commença simplement à bafouiller une explication. Il alterna dès lors entre une sieste malvenue ou un simple malaise. Quoiqu’il en soit, il expliqua clairement que les matelots avaient été décevants. Le Craboudy n’avait finalement pas été trouvé et le vioque réprimanda ainsi tous les matelots : le temps était écoulé.

Se déplaçant difficilement jusqu’un tronc d’arbre, le vieux croulant soupira un instant avant de s’installer péniblement. Il avait été déçu mais comme un bon grand-père, il allait tout de même donner une leçon : ou tout du moins, vu que ces matelots ne la méritait pas, il allait tout simplement leur donner la fessée. Mimant le geste, il attendit que chacun fasse la queue pour recevoir la sienne comme un enfant. Allongés sur le ventre sur les genoux de l’ancêtre, plus d’un marin n’hésita pas une seconde. En vérité, ils savaient ce qui les attendait s’ils refusaient la punition… et ça : il n’était pas bon de le savoir.

Les fessées s’enchainèrent ainsi au rythme des battements. La main en feu, le vieillard ne retenait que modérément ses coups. Une fois, la punition distribuée, les marins n’avaient plus vraiment fière allure et entamèrent le rangement du camp pour le retour. La vraie force de Nils résidait là-dedans : en cette capacité qu’il avait d’infantiliser quiconque était plus jeune que lui. Le jeunot allait-il échapper à sa punition ?

C'est calme... J'aime pas trop beaucoup ça...

A deux maux, le moindre mal. Lorsque pépé était énervé de voir la masse de collègue ne pas suivre ses directives ou l’embêter au plus haut point, le pauvre vieux ne parvenait tout simplement pas à contrôler sa malédiction. La peur les tenaillant, les jeunes marins punis n’avaient eu guère le choix que de se laisser faire bien que l’humiliation soit totale. Il faut dire que le vieux perdait la boule : il annonçait d’abord qu’ils avaient réussi la première épreuve pour finalement revenir sur sa décision. Non, il n’y avait aucune raison à cela si ce n’est une propension au n’importe quoi le plus total. Ils n’avaient hâte que d’une chose : que cela cesse.

Certains avaient choisi de ne pas se laisser faire et firent croire à l’ancêtre qu’ils étaient déjà passés à tabac en mimant une douleur au fessier. Nils aurait pu savoir qu’ils mentaient mais l’alcool aidant, il ne put s’en rendre compte. De plus, le pauvre vieux était maintenant accaparé par son acolyte du jour qui lui soufflait son instrument de mort à la figure dans des paroles qui n’avaient ni queue ni tête pour l’ancêtre : l’éducation était un élément important et primordial pour les jeunes et elle laissait souvent à désirer. On ne rejoignait pas la marine par hasard et ce jeunot qui ne faisait pas partie du groupe entra dans la catégorie des « jeunes malotrus » pour le vieillard déjà bien sénile.

Nils attendit tout de même que le jeune homme ne parte avant de décider qu’il en avait pas mal fait depuis le début sur cette ile. Une fois seul avec son groupe, Il beugla quelques ordres tout en restant à en faire le moins possible. Il était l’heure de rentrer mais il fallait tout de même qu’il explique ses choix pardi ! Comment expliquer aux supérieurs la leçon qu’il avait enseignée aux jeunes si lui-même ne le savait pas ? Marquant un long moment dans son discours, il reprit au bout de presque une minute entière après s’être longtemps tripatouiller les poils de barbe.


La morale de l’histoire ?.. La patience !
Un éclair de génie lui avait traversé l’esprit : quelle leçon ! L’ensemble des matelots se regardèrent médusés. Tout ça pour ça ?! C’était maintenant une certitude : le grand-père perdait complètement la boule : il ne pouvait plus y avoir de doutes là-dessus. Quelques murmures de protestations s’élevèrent peu à peu des jeunes soldats mais il s’estompa bien vite : tous avaient hâte de rentrer et papy commencerait à piquer une colère sous peu. C’est ainsi qu’il conclue par un très sobre mais néanmoins plus que convaincant :


Faut pas pousser pépé dans l’cagibi !
Trop tard. Tous les matelots fondirent sur le vieil homme pour le ligoter. Impossible de réagir face à tant de hargne, ils refusaient maintenant d’obéir à la hiérarchie et tant pis pour la formation. Ils en avaient assez fait et c’est en le traînant après l’avoir assommé parce qu’il râlait que le groupe de la marine quitta L'île sans plus de procédure.

Y a vraiment plus de respect pour les anciens…