- Sommes-nous toutes nées pour enfanter ?

La voix de Lidy était plus chaleureuse qu’à son habitude. Elle avait fait le parcours vers Drum avec l’envie de s’y reposer un petit peu, mais sur le chemin une mission était apparue : un membre de la Triade, un certain Nocturne, était apparu. Il faisait anciennement partie de la branche information, et avait quitté le navire au dernier moment. Il ne possèderait sûrement plus d’informations sur les activités actuelles de l’organisation, mais il fallait tout de même le mettre derrière les barreaux. Bien sûr, elle n’avait pas à proprement parlé « reçu » la mission, mais comme elle se dirigeait déjà vers Drum pour y recruter des nouveaux talents, officiellement, elle pouvait bien s’arrêter là-bas pour autre chose.

- P… pourquoi me posez-vous cette question, Directrice Olsen ?

L’Aspirant au Cipher Pol 6 qui l’accompagnait semblait surpris de voir la froide Olsen, celle qu’on surnommait parfois « La Parvenue », parler avec un ton aussi chaleureux. Il se nommait Raymond Dufoc, et était assez prometteur. Elle l’avait recruté deux mois plus tôt sur une île de West Blue, et il était venu à ses côtés pour compléter sa formation. Il serait bientôt livré à ses premières missions sous la tutelle d’autres agents, mais en le voyant la Directrice avait insisté pour le prendre sous son aile. S’il était réticent à cette idée, elle ne lui avait pas vraiment laissé le choix au final.

- Cette île m’évoque la chaleur d’une rencontre plaisante, des retrouvailles au coin du feu entre un père et sa famille après une guerre trop longue.

« Un père ». Elle pensa à Heziel Coffe, le père de ses enfants. Elle était sûre qu’il s’agissait de lui, l’homme qui lui avait permis de mettre au monde ces triplés dont elle se languissait tant. « Encore un peu. Je dois juste sécuriser la zone encore un peu plus. » s’était-elle dit, s’était-elle juré. Ses enfants reviendraient à elle un jour ou l’autre, et ce jour-là elle serait la femme la plus heureuse du monde. Elle devait juste mettre au point de nombreux stratagèmes à cette fin-là. Elle avait une série d’imbrications qui se plaçait dans sa tête et qui évoluait à chaque seconde. Kô était certes plus doué qu’elle, mais il possédait moins d’informations pour parachever les lignes qu’il mettait en place.

Ainsi, avec ses rencontres avec les Cinq Etoiles, elle possédait suffisamment d’informations pour faire chuter le Gouvernement Mondial… Ou le faire croître plus encore. Elle connaissait par exemple l’existence de la Suicide Squad, bien que l’information était toujours à prendre avec des pincettes. Après tout… Après tout, ce qui était vrai hier pouvait s’avérer faux aujourd’hui. Son sens du réalisme était toujours présent. Elle soupira, las d’attendre dans le navire, et se dirigea sur le pont. Sur l’île devaient se trouver à la fois sa cible et les personnes qu’elle venait recruter. Elle devait s’assurer d’avoir un bon cru, cette fois-ci… Car il en allait de la survie des Cipher Pol.

La demoiselle aux cheveux bleus observa les abords de l’île qui se dessinaient. La neige y tombait encore, menaçant leur arrivée. Pourtant, un sourire paisible était dessiné sur les lèvres de la Olsen, comme un oiseau de bon augure qui se dresse devant les épreuves à venir.

- Qui es-tu ? Fit-elle en se retournant tandis qu’elle était censée être seule sur le pont.

Elle se retourna, et observa les yeux intrigants, rouges comme le sang qui venaient de sortir de l’ombre. La personne s’avança d’un pas lent, arrêtant de masquer sa présence. Seule sa voix le trahissait, ce qui lui donnait déjà la précieuse information d’avoir affaire à une utilisatrice du Haki. Il fronça les sourcils tandis que le regard perçant de la directrice du Cipher Pol ne trahissait aucune peur.

- Meu…

Il n’eut pas le temps de dire « Meurs » que déjà elle était sur le lui et transperçait son torse d’un Shigan. Elle se nettoya le doigt en sortant un mouchoir, le laissant languir sur le sort tandis que les étreintes des ténèbres venaient le serrer.

- Encore un assassin, marmonna-t-elle. Ça n’en finit plus.

L’île s’était agrandie à vue d’œil, et la Olsen ne put que s’approcher des lieux avec une certaine quiétude. Son esprit était toujours prisonnier de ses songes, mais elle fut rapidement rattrapée par la réalité après avoir fait déplacer le corps et nettoyé le pont quand l’aspirant s’approcha d’elle pour lui adresser un regard plein d’espoirs. Il voulait une tâche plus importante celle-ci : il sentait qu’il l’avait mérité, et que la directrice se montrait trop prudente dans sa démarche de formation. Elle ne le poussait pas assez, et il voulait faire ses preuves. Elle fronça les sourcils, lisant parfois clair dans son jeu, et surtout dans ses pensées. Il ne fallait pas qu’il ait peur, car elle comptait bien lui donner un devoir cette fois-ci.

- Raymond, vous allez vous diriger vers la base, et commencer le recrutement sans moi. J’ai à faire sur l’île. Quand vous aurez terminé, vous attendrez les ordres suivants.
- Vous allez chercher la cible ? Demanda-t-il avec intérêt, mais aussi inquiétude.

Elle acquiesça silencieusement. L’ancien informateur était sûrement terré quelque part à l’abri des regards, mais là où le sien pouvait capturer l’entièreté des événements pour pouvoir sortir en douce si les choses venaient à se compliquer. Pour Lidy Olsen, c’était idéal. Il lui suffisait de créer de l’agitation, de la suspicion, et elle pouvait l’attraper dans sa toile. Il serait fait comme un rat en peu de temps… Même si bien sûr un ancien membre de la Triade ne serait pas si facile que cela à attraper, sinon elle aurait demandé à un agent quelconque de s’en occuper.

Quand ils arrivèrent sur l’île, après plusieurs complications dues au temps, le verglas avait recouvert le port et rendait le sol glissant. Des cristaux de sel venaient, de temps à autre, éclaircir le sol et formaient un chemin devant certains navires. Sans s’en soucier, la maîtresse du Rokushiki ne prêta guère attention à la faible friction de son environnement, et prolongea ses mouvements jusqu’aux premières ruelles où elle s’enfonça. Elle vérifia par son Haki que le garçon ne la suivait pas, et sortit de sa sacoche une perruque verdâtre ainsi qu’une paire de fausses lunettes. De cette manière, elle pourrait passer presque inaperçue, d’autant plus que ses habits venaient de changer aussi. A présent, à la place de son uniforme, elle arborait un veston noir au-dessus d’un t-shirt polaire, des collants doublés et une jupe élégante et pratique pour d’amples mouvements, qui ne lui tombait même pas jusqu’aux genoux.

- Allons-y, marmonna-t-elle.

Ses pas la guidèrent rapidement vers la rue principale, après avoir caché son sac d’affaires. Elle écarquilla les yeux en apercevant la silhouette familière d’une femme à la carrure imposante. La De Lerhane était là, marchant tranquillement comme si son imposante présence criminelle était tout à fait normale. Plus loin, des marines ne tarderaient pas à noter qu’une primée, du même rang qu’une Supernova, était en vue de tous.

C’était à la fois une aubaine et un problème. Nocturne ne risquait pas de se montrer si les rues grouillaient de marine à cause de l’ange, mais il serait aussi attiré par la potentielle alliance que cela pouvait procurer… Et si Lidy avait déjà repérée sa connaissance, il devait en être de même pour l’informateur. Il avait sûrement une longueur d’avance, et bientôt ils pourraient assister à une rencontre entre un de ses camarades et la demi-géante.

La femme s’approcha de la De Lerhane. Elle avait une carrure frêle, une robe bouffante, blanche, qui se fendait dans le paysage. Ses yeux cramoisis lui donnaient un air surréaliste, tandis que ses cheveux blonds, d’une pâleur intrigante, avaient l’air de sortir de nulle part. Elle souriait, à la fois intriguée par cette grande dame, et interpellée par sa mission de dernière minute.

- Bonjour, Ishtar De Lerhane, fit la jeune femme. J’aurais aimé m’entretenir avec vous, serait-il possible de dégager de votre temps ?

Hors de portée de Haki, Lidy observait la scène avec sa longue vue, ayant pris une position haute. Elle pouvait de ce fait lire dans les pensées sans avoir besoin de se mettre en danger… Enfin, normalement, mais l’instinct de bête d’Ishtar était sûrement capable de la repérer à cette distance-là.

La Olsen eut un frisson : la capacité instinctive de la De Lerhane à repérer les autres personnes était impressionnante. Elle avait profité d’un battement de cil dans la conversation pour lire la vie de la Supernova et observer rapidement ce qu’elle avait vécu depuis leur dernière rencontre, passant l’acquisition de son Armement Avancé, une information intéressante qu’elle garderait pour elle pour l’instant. D’un autre côté, l’indic’ de Nocturne n’était qu’un pion sur un plus vaste échiquier, et elle n’avait pas conscience de tous les tenants et aboutissants de ce qu’elle faisait. C’était une petite friture, insignifiante et remplaçable. Autant dire que la Olsen ne s’attarderait pas sur son cas et ne prendrait pas la peine de la faire arrêter si elle pouvait mettre la main sur sa cible.

Il n’y avait pas suffisamment de places dans les cellules bondées des prisons gouvernementales pour des petites fritures sans intelligence particulière dans son genre. En réalité, sans les bons marionnettistes, ces personnes-là étaient incapables de dévoiler un quelconque potentiel.

Pendant sa filature à distance plus que raisonnable, la Olsen remarqua que les rues bondées de la ville se désemplissaient au fur et à mesure. Elle nota la présence de différentes personnes, certaines s’occupaient de ramener le pain pour les enfants, d’autres partaient au travail, ou encore pour des rendez-vous galants. Rares étaient ceux qui avaient des affaires urgentes, et inexistantes celles qui pensaient à Nocturne.

Arrivant près du bâtiment, la De Lerhane quitta sa vue. C’était pénible, mais sans capacité à voir derrière les murs, elle était limitée dans l’utilisation de son pouvoir. Il suffisait qu’elle n’ait plus accès à une image même partielle de sa cible pour que sa capacité cesse de fonctionner. Ici, les fenêtres étaient sales, sûrement à raison.

A l’intérieur, la scène s’était en quelques sortes figées. Les bières ne quittaient plus leur socle, et seul le mouvement répétitif, presque instinctif du barman, indiquait que le temps n’était pas suspendu. Heureusement, la grande femme prit la parole rapidement, coupant le silence qui s’était installé. Les personnes en face d’elle avaient soit peu de caractère, soit observaient plus que de raison.

- Tu nous as ramené un sacré phénomène, Lily ! S’amusa l’un des hommes assis près du tonneau.

Le barman le regarda avec un air serein. Celui qui avait pris la parole semblait trembler à grosses gouttes, stressé. Il déglutissait tandis qu’il s’avançait, le pas mal assuré, en direction d’Ishtar De Lerhane. Un peu hésitant, il s’adressa à la femme tandis que Lily lui jetait un regard froid :

- Je suis le patron, Nocturne, ancien informateur de la Triade ! Je… Je veux vous faire une proposition d’alliance. J’ai besoin du soutien de personnes puissantes, et je peux procurer de nombreuses informations. Même si vous n’en avez pas besoin aujourd’hui, un jour vous en aurez… Non, c’est pas ça, un jour vous pourriez en avoir besoin.

Il récitait ses lignes sans la grandeur et l’assurance qu’on pouvait attendre de quelqu’un de son acabit. Les informateurs de la Triade étaient-ils tous une blague ? Le barman retint un soupir, mais son air s’était légèrement durci. D’un geste brusque, il arracha la hanse d’une chope et la déposa sans perdre son sang-froid.

Elle avait finalement réussi à trouver un simple espace visuel à travers la vitre, s’approchant dangereusement de sa cible. En un rien de temps, elle perçut Nocturne, dont la silhouette se dessinait derrière le bar dans les pensées de Lily, seule personne visible ici. Il avait laissé tomber l’idée de se cacher et faisait endosser son rôle à quelqu’un d’autre. Il y avait un risque à prendre, ici, en débarquant à l’intérieur. Ishtar venait de les démasquer et de réaliser une proposition, sûrement dans le but d’aider la Olsen à réaliser sa capture… C’était fort aimable de sa part. La bleue ne put s’empêcher de sourire paisiblement, constatant qu’elle avait une alliée de poids. Elle ne pouvait cependant retirer son attirail.

Utilisant son fluide perceptif, elle monta sur le toit. Son poing vint brusquement percer celui-ci dans un brouhaha étrange, creusant un trou au-dessus de Nocturne. Ce dernier esquiva de justesse, n’ayant de toute évidence pas le fluide de l’observation. Cette aptitude pratique n’était pas forcément très courante, surtout quand on était plutôt versé dans l’art de se faire ignorer. Il avait dû choisir ici un acteur trop rapidement, et n’avait pas eu le temps de vérifier son identité. Cela, mêlé à la réputation et à l’aura de l’ange, avait été fatal à son plan.

Il se releva tandis qu’une main venait déjà lui tordre le bras et le jeter à terre. Dans la fumée, une voix s’éleva, celle de Lidy, qui s’adressait à la De Lerhane :

- Merci pour le coup de main !

Elle était presque enjouée. Elle venait de toutes les manières de réaliser une nouvelle arrestation, ce qui était pratique et avait été amplement facilité par son acolyte surprise. Les hommes qui avaient été embauchés sur le pouce commencèrent à reculer, tandis que Lily, qui n’arrivait à rien voir avec la fumée, s’était retirée et cherchait déjà à se rendre au port pour quitter l’île dans les plus brefs délais. Comme prévu, la Olsen la laisserait cavaler.

- J’imagine que je devrai te rendre la pareille un jour, sourit-elle à la De Lerhane, vêtue de sa chevelure verte à présent pigmentée de poussière.

Quand celle-ci fut entièrement tombée, elle avait déjà assommé et ligoté sa cible. Les autres n’étaient d’aucune importance. Elle lut la vie de ces personnes en face d’elle, la regardant avec un maigre intérêt avec d’absorber l’information primordiale : encore une fois, il s’agissait d’une impasse. Il n’y avait rien d’intéressant dans le cerveau de Nocturne, né Nathan Dorange sur East Blue. C’était simplement un informateur à présent sans valeurs. Il ne pouvait rien dévoiler d’important, ce qui expliquait que la Triade le laisse tranquille en cette période de trouble.

- On dirait que tu as grandi depuis la dernière fois, fit Lidy en levant la tête vers l’ange.

Elle ne parlait pas de taille mais bien sûr de sa capacité combattive et de son esprit guerrier. Quelque chose avait changé, quelque chose s’était peut-être brisé pour se reconstruire… Mais elle n’avait accès qu’à une partie de ses souvenirs, sans s’y plonger entièrement. La De Lerhane s’était-elle amusée à capturer les autres membres de ce petit groupe décousu, formé à l’arrache par un leader intrépide ? En tout cas, pour Lidy Olsen, la soirée était acquise et elle pourrait la passer avec l’ange, si celle-ci y trouvait un quelconque intérêt dans ses relations sociales.

- Je peux le livrer demain matin, si tu veux.

Elle indiqua le coin du bar qui possédait quelques liqueurs, mais surtout des jus en tout genre qui pourraient plutôt convenir à l’abstinente. En tout cas, si c’était toujours le cas. Pour Lidy, ce serait quelque chose de sans alcool : malgré tout, elle était encore en service.

La jeune femme sourit à la remarque d’Ishtar et lui expliqua avec un air apaisé et presque tendre :

- Cet homme n’a pas de connexions, c’est un reclus qui a été repéré au hasard grâce à certains rapports. Autant vous dire qu’il s’agissait juste de vérifier la véracité de ces informations… Et comme je passais ici, j’ai décidé d’épargner cette tâche à mes subordonnés.

Ainsi, comme guidée par ses vieilles habitudes de criminelles, elle se dirigea derrière le bar tandis que sa camarade continuait à parler. Elle déverrouilla d’un coup de pied une cale où se situaient différentes liqueurs et boissons exotiques, dont certaines sans alcool. C’était une cachette commune, et pour beaucoup il s’agissait d’un endroit béni en fin de soirée. Sortant les différentes boissons, sans distinguer celles qu’elles boiraient et celles qu’elles laisseraient, elle prit aussi des verres et les nettoya une nouvelle fois. Elle les servit trempés, à défaut d’avoir un torchon réellement propre à disposition.

- Je continue à guider ma maîtrise de l’observation et n’ai toujours pas éveillé mon armement, confessa-t-elle avec tendresse. Mon travail me prend beaucoup de temps, c’est vrai.

Cependant l’administratif était rapidement expédié grâce à sa capacité bénie de lecture rapide. Les rapports qui auraient dû lui prendre des heures à feuilleter ne lui prenaient en réalité que quelques minutes, et elle était donc d’une efficacité redoutable dans ce domaine. Il lui suffisait ensuite de les signer, et c’était le rôle de Valentine de traiter les dossiers les moins sensibles pour les trier. Les affectations étaient sûrement une de ses plus grosses charges, surtout quand Kô était amené à s’absenter. Il lui mâchait le travail, mais avec le temps elle héritait réellement des plus grosses charges. Toutes les décisions passaient par elle, sauf celles dont elle avait décidé qu’elle n’y aurait qu’un regard ponctuel, une à deux fois par semaines – une minute de son temps qu’elle passait à traquer les erreurs suspectes et à les faire corriger, de manière aléatoire pour empêcher quelqu’un de prédire ses mouvements, technique héritée de l’esprit malade de son ancien directeur.

- Les responsabilités ne sont pas écrasantes. En revanche, le boulot me passionne, même si le terrain me manque parfois.

Elle ne pouvait pas aller dans les détails, pour toutes les raisons qui faisaient que son travail était confidentiel. Elle aurait aimé en parler, mais lui donner des indications sur le recrutement par exemple était un risque inconsidéré. Elle avait trop appris de la Triade que les dispositifs d’écoute étaient la pierre angulaire d’une fuite d’informations. C’était pour cette raison qu’elle cherchait à éveiller un haki capable de lire toutes les voix, y compris celles des objets non vivants.

- Je capture de temps à autres ce type de personnes, liées à la Triade qui reste ma plus grosse affaire pour l’instant. Il n’y a pas de raison de le tuer, mais il ne livrera pas d’informations supplémentaires, soupira-t-elle. Si je venais à le laisser en liberté, il pourrait nuire à nouveau.

Elle semblait réfléchir naïvement à haute voix, un sourire tendre sur ses lèvres. Ishtar De Lerhane, Belladone Grimm, Hypnos… Toutes étaient des criminelles qui avaient marqué sa vie d’une manière ou d’une autre. La Olsen se disait, peut-être à tort, qu’elle traînait avec des personnes qu’elle aurait dû arrêter. Heureusement, cette situation n’était pas inextricable. Une pointe de nostalgie la prit tandis qu’elle se rappelait des premières fois où elle avait commencé à s’affranchir de ses racines hors-la-lois… Pour finalement mieux y revenir.

Elle servit deux verres une fois que la De Lerhane eut choisi ce qu’elle voulait, et marqua un temps avant de trinquer.

- Quand je suis arrivée sur l’île, j’ai vu qu’il n’y avait que peu d’agitation. Je ne sais pas pour toi, mais j’ai l’impression que l’île est calme. A une époque, Jasmine, la chasseuse de prime, Ghetis Archer et les Décimas s’étaient affrontés. Ca a laissé des séquelles sur le paysage. On pourrait dire que les combats de titans n’épargnent que ceux qui sont de leur acabit.

Elle ne remarquait pas bien sûr qu’elle-même faisait partie de ces titans, à une échelle bien plus grande. Elle savait que le démantèlement de la Triade créait malheureusement des victimes collatérales, mais elle ne pouvait arrêter l’engrenage en cours. Elle ferait mieux au suivant, c’était simplement ce qu’elle se promettait.

La Olsen remarqua qu’elle relativisait beaucoup. Ses nuits de sommeil étaient courtes, quand elles étaient là, et il n’était pas rare qu’elle dorme dans son bureau. Quand Belladone était à Ennies Lobby, elle avait l’occasion de lui tenir compagnie, ou au moins de s’assurer de sa bonne santé. Tous ses agents proches étaient constamment en mission, et elle se retrouvait parfois seule au milieu des loups.

L’impression qui en résultait était souvent la même pour Lidy quand elle parlait à Ishtar : c’était une personne foncièrement bonne. Il n’existait en elle que la petite touche de ténèbres propre à chaque être humain, minimisée par la pureté de son existence. S’il devait ne rester qu’une seule personne sur terre, ce serait sûrement l’ange, car elle était la plus pure des âmes qui puisse exister sans tomber dans la naïveté la plus tordue. Pour la bleue, c’était toujours la limite qui existait avec leur appartenance au milieu hors-la-loi. Elle ne s’était pourtant pas tellement salie les mains, et ne devait sa prime qu’à l’égoïsme d’un Dragon Céleste…

Sur ce point-là, elle partageait avec certains l’intérêt pour les plus fainéants des êtres vivants sur terre. Pour le peu qu’elle avait pu en voir, c’était un grand problème. Elle soupira, se tourna vers la fenêtre et répondit sur un ton abusé :

- Ennies Lobby… C’est une île qui peut tomber à n’importe quel moment dans son précipice, c’est l’impression qu’elle donne. J’y ai perdu ma meilleure amie et sa famille. Leur perte m’a déchirée le cœur, et a créé un vide qui ne se remplira jamais.

Elle pensa à ses propres enfants et eut un instant de silence. Soudain, elle entendit un bruit sourd à l’extérieur de la taverne. Ses yeux s’écarquillèrent tandis qu’elle se tournait. Ses lèvres se fermèrent, et elle sentit, à une centaine de mètres à peine, plusieurs voix qui apparaissaient. Elles étaient à l’extrémité de la ville pourtant, et la neige tombait à présent dans la taverne là où elles se trouvaient.

Sautant sur le toit, elle n’eut pas besoin de transmettre ce qu’elle voulait faire à Ishtar, sachant très bien que son acolyte comprendrait. C’était là l’adage des personnes expérimentées, et intelligentes. Son regard se figea tandis qu’elle observait les créatures qui s’étaient arrêté à cinquante mètre d’elle. Leurs yeux rouges perçaient l’horizon neigeux. Elle déglutit : c’était impossible, ils étaient trop près de la mer. Ils ne devaient pas arriver là normalement…

Les lapins des neiges étaient alignés comme une petite armée qui menaçait la ville. Ils semblaient s’être arrêtés pour attendre les retardataires, jetant quelques regards dans leurs dos. Quand tous furent arrivés, après quelques secondes d’attente, ils reprirent leur course effrénée.

- Ce n’est pas normal ! Hurla Lidy.

Elle avait lu dans la vie de celui qui semblait être le leader. Bien sûr, les images, la perception, était différente mais elle comprenait que quelque chose s’était déroulé. Les analogies étaient clairement de l’ordre du hasard. Le mot « menace » ne signifiait pas la même chose pour eux et pour elle, alors elle devait organiser ses pensées autrement. Une sensation qu’elle avait déjà ressentie cependant pouvait l’aider… Et elle réalisa bien vite que c’était bien ce qu’elle craignait.

- S’ils sont ici, c’est que leur environnement naturel a été menacé ! Ils migrent vers le port et vont blesser des personnes. Ishtar, j’ai besoin que tu les retiennes pendant que je me charge de la menace ! Hurla la Olsen.

C’était la seule solution. Serait-elle de taille pour l’affrontement qui l’attendait ? Elle ne le savait pas mais elle ne pouvait pas laisser ces créatures qui se multipliaient à vue d’œil blesser les habitants de la ville. Si la maudite acquiesçait, elle utiliserait un kamisori pour passer au-dessus de la horde, prouvant sa confiance en la criminelle.

Elle avait remonté la piste rapidement, sans savoir si cela la mènerait à l’endroit qu’elle cherchait. Quand elle se retrouva dans les hauteurs de l’île, en quelques instants, une maisonnée attira son attention. La cheminée laissa s’échapper une fumée, indiquant qu’il y avait un feu d’allumé là-bas. C’était un lieu écarté, un lieu où il était facile de se cacher pour quiconque désirerait se faire discret. Nombreux étaient les endroits où Lidy aurait pu se terrer, grâce aux nombreuses vies qu’elle avait emmagasiné. Celui-ci ne lui disait rien, et elle continua sa route.

La créature qui se trouvait devant elle était simplement terrifiante. Trois mètre cinquante de haut, un corps poilu en diable, une carrure taillée sur mesure pour donner de gros coups : il s’agissait clairement d’une sorte de yéti. Seul son visage était découvert, laissant une peau plus rugueuse et isolée se faire voir. Lidy inspira un instant, avant de s’élancer sur lui. C’était la source de leurs ennuis, et elle ne pouvait pas le raisonner. Elle pouvait cependant le faire fuir. L’envoyer loin d’ici ne serait pas chose aisée, cependant il s’agissait la meilleure façon de procéder.

Pour la Olsen, la situation était simple : il fallait affronter un adversaire plus puissant que les autres, le vaincre et… Quand elle vit la créature foncer sur elle, Lidy eut à peine le temps de réagir. Le coup de poing partit et elle se sentit voler en arrière, ayant à peine eu le temps de déclencher son tekkai. Elle s’était sentie pendant quelques instants partir, avant de se revigorer. Son corps avait su résister à cet assaut, mais les suivants la menaceraient plus. Esquivant l’attaque suivante, elle comprit que son pouvoir lui serait relativement peu utile. L’ennemi n’élaborait pas de stratégies : c’était un animal, et il ne pensait pas réellement à ses coups… Ou du moins pas de manière standard. Finalement, le Haki de l’Observation était plus utile dans cette situation.

- Att…

Elle n’eut pas le temps de finir sa phrase que déjà une attaque revenait. Elle sentit le coup, et put l’esquiver grâce au Kami-E, avant de répliquer par un shigan… Qui se termina dans le vide. L’adversaire avait réagi au quart de tour. Elle pesta intérieurement. L’envie de se battre montait en elle, de manière exponentielle. Elle était en difficulté, bien qu’il s’agisse d’un moment qu’elle devait endurer. L’ennemi était plus puissant, mais elle allait le vaincre. Elle devait le vaincre. Son assaut suivant fut une attaque de rankyaku couplé avec un kamisori pour l’amener au corps à corps. Le yéti brisa les lames d’air de son poing mais ne put arrêter le Shigan qui lui fendit le flanc.

Quelques tâches rougeâtres vinrent teinter la neige. L’immense créature regarda la frêle femme, et sans prévenir, encore une fois, balança un coup plus rapide que les autres. Même si elle l’avait anticipé au dernier moment et avait utilisé son rankyaku, Lidy Olsen n’avait pas su résister tout du long. Elle s’était sentie partir encore une fois, et s’enfonça dans un monceau de neige. C’était certes pitoyable, cependant elle se releva d’un coup. Son adversaire ne la laisserait pas se reposer.

Elle voulait le vaincre. Elle devait le vaincre. Elle allait le vaincre. Cette conviction se renforça, tandis que quelque chose en elle semblait s’éveiller. Un picotement lui parcourut le corps tandis qu’elle fendait à nouveau la distance qui la séparait de son adversaire. Il mettait en danger des civils, certes insignifiants, mais en sa présence. Elle ne pouvait pas tolérer qu’un effet domino joue sur la quiétude de ses compatriotes. Le Gouvernement Mondial n’était pas sans réagir face aux menaces qui tentaient de l’endiguer.

Soudain, dans un soru pointu, la jeune femme se dirigea en direction de son adversaire. Elle sentit sa volonté de l’abattre grimper, monter, tandis que son objectif initial s’éloignait. Une rage de vaincre l’animait, et elle visa son autre flanc. Son corps sembla se remplir de cette énergie nouvelle, de ce puissant atout qui se révèlerait peut-être utile dans le futur : s’il s’agissait du Haki de l’Armement, même elle n’en avait pas encore conscience. Sa volonté de vaincre ne s’était pas amoindrie : protéger… Protéger ces personnes parmi lesquels ses enfants se cachaient peut-être sans qu’elle ne le sache était essentiel. Elle ne savait pas où ils se trouvaient alors tant qu’elle ne les aurait pas vu, elle protègerait le monde entier. Après cela, plus rien n’aurait d’importance.

Le second flanc fut percé dans un râle de douleur, et le cri se répandit dans la montagne quelques instants plus tard.

La loi de la jungle était aussi celle du plus fort et du plus à même de gagner un affrontement. Les blessures au flanc du yéti étaient certes minimes, mais la volonté de vaincre de la Olsen, qui faisait pulser quelque chose en elle, une sorte de fluide combattif, lui permettait sinon de renverser la bataille au moins de se battre de tout son saoul. Elle était rarement confronté à ce genre de situations, principalement depuis qu’elle avait des gardes du corps qui l’entouraient… Même si elle les avait affectés autre part pendant les derniers jours, de sorte à pouvoir respirer un peu. En effet, si Lidy Olsen ne se projetait pas sur une défaite, elle connaissait au moins à présent l’envie d’écharper ses ennemis. Elle voulait vaincre le yéti.

Ainsi, l’arrivée d’Ishtar passa inaperçue entre différents échanges de coups. La Olsen concentrait son Haki de l’Observation sur son adversaire, et se dit que c’était une bien ridicule façon de faire cependant. Quand elle entra en contact avec le yéti pour la dernière fois, ce dernier venait de perdre l’usage d’un bras tandis qu’elle venait de sentir une de ses côtes devenir douloureuse. Les lapins des neiges n’eurent pas à se donner la peine d’être aussi cléments que la bleue.

L’animal tomba au sol, et ils commencèrent à le passer à tabac. La violence de l’acte devait sûrement être censurée, mais Lidy remarquait avec une certaine candeur que la situation s’était déjà résolue. Elle allait pouvoir revenir vers sa camarade d’infortune qui avait contrôlé les lapins des neiges en un rien de temps, sûrement grâce à sa nature de Zoan. C’était véritablement agréable : pourtant, personne ne saurait ce qu’elles avaient accompli, personne ne saurait le désastre qu’elles venaient d’éviter. Dans l’ombre, elles avaient encore agi pour le bien de tous.

- Merci, Ishtar, ferait la bleue en s’approchant de la criminelle.

Elle l’inviterait à arrêter les lapidés déchaînés si elle désirait que le yéti survive, et ne ferait pas de grands états d’âmes si elle le laissait mourir, ce qui serait certes surprenant mais pas contraire aux lois de la nature. Les faibles mourraient, les forts subsisteraient : c’était l’une des règles simples et primordiales de ces échanges.

- Retournons à notre petit coin de paradis, ferait-elle.

Elle devait retrouver l’homme évanoui. Si Ishtar lui proposait de la transporter, elle accepterait et elles finiraient par revenir dans la taverne où leur cible était toujours à terre. Elle devait encore dormir quelques heures. S’approchant du bar, elle ramassa le verre renversé et se resservit, ainsi que sa collègue.

Un peu plus tard dans la nuit, la lune viendrait éclairer les environs tandis que la neige cesserait de tomber, promettait une journée plus calme le lendemain. Les lapins des neiges de Drum étaient un mystère, mais à présent elle savait qu’ils étaient dangereux. Il faudrait installer une sorte d’observatoire pour prévenir ce genre de problèmes dans le futur, mais à qui le demander ? Elle discuterait de ces mesures de prévention avec l’ange, de sorte à avoir son avis. Elle rirait en racontant quelques-unes de ses aventures, et avec un regard tendre elle penserait à ses enfants, absents. Leur présence n’était qu’une idylle et peut-être qu’un jour ce monde serait assez sûr pour eux.

Elle se promettait chaque jour de le rendre plus lumineux et plus beau, même si elle devait pour cela se salir les mains. Elle faisait bouger les pièces de son échiquier, les éliminait, les faisait tomber et se relever successivement. Elle ne perdait pour l’instant pas. Sa partie avec la Triade avait mené beaucoup de ses pions à se faire sacrifier, mais le retour de bâton pour ses ennemis avait été tout aussi sévère. Les visages de ses victimes ne flottaient pas dans sa tête, mais celle de ses alliés perdus si. Elle grondait intérieurement. Elle désirait écraser ceux qui ne partageaient pas sa vision des choses, simplement parce qu’ils avaient tort.