J'observais avec admiration les flocons blancs tombant aux creux de mes paumes. On devait me prendre pour une imbécile. Ou encore une folle. Je n'avais vu que rarement de la neige sur South Blue, et j'adorais ce spectacle, tout comme j'adorais cette ville. Trade, mon lieu de naissance, ma boîte à souvenirs. Combien de fois étais-je tombée dans cette rue en courant ? Trop pour être compté. La belle capitale semblait resplendissante sous son épais manteau blanc. Comme si la neige la lavait des pires impuretés. Les immeubles paraissaient plus propres, et les enfants des bas-quartiers plus joyeux. Chaque hiver devenait un évènement. L'occasion d'organiser le grand marché, de patiner sur le fleuve et de faire des batailles de boules de neige. Même les adultes redevenaient des enfants à cette période de l'année. Chose agréable, je n'avais pas froid. J'avais l'impression d'être entourée d'une épaisse fourrure. Une robe sombre et ample et mon voile noir me suffisaient. J'avançais dans les rues, mes pas laissant leur trace sur la poudreuse. Malheureusement, je n'étais pas là pour les fêtes de fin d'année. J'avais du travail.

Il était quinze heures. Ren attendait mon rapport quotidien à minuit tapante. Cela me laissait suffisamment de temps pour aller faire une première inspection de l'entrepôt. Cet enfoiré de Nash s'était rétracté du trafic. Et dieu que ça n'avait pas plu au chef. Soit, s'il ne voulait plus nous vendre des armes, alors nous allons nous servir. Et c'est à moi que revenait la tâche de faire l'inventaire des stocks. Je devais me dépêcher. Les rues étaient surveillées, mieux valait passer par les toits. m'aidant de mes chaînes pour monter, j’atterris sur les tuiles glissantes, faisant attention à ne pas tomber. D'ici, j'avais un magnifique point de vue de la Guilde des Marchands. Le palais surplombait les habitations environnantes avec orgueil et fierté, preuve de la puissance de l'organisation. Je me remis en route rapidement.

Le ciel s'assombrissait un peu plus chaque minute. La neige cessa de tomber, laissant place à une pluie torrentielle. Je pestais, soulevant quelques pans de ma robe légère. Je fus rapidement trempée, mes longs cheveux azurs collant à mon crâne. Et pourtant, j'étais déjà arrivée aux entrepôts. Redescendant discrètement, je me cachais derrière un mur, fixant les alentours. Deux gardes à l'entrée armés de fusils. Un autre sur le toit qui ne m'avait pas vu. Et j'étais prête à parier qu'il y en avait plusieurs à l'intérieur. Il allait falloir la jouer fine. Je remarquais alors un immeuble adjacent, l'une de ses fenêtres très proche d'une des lucarnes du bâtiment. Bingo.

Je me mis à ramper silencieusement vers l'immeuble, évitant les coup d'oeil du sniper et de ses acolytes. J'atteignis rapidement et sans encombre l'entrée de la bâtisse. Par chance, elle était ouverte. Je me précipitais dans le couloir, et montais silencieusement les vieux escaliers de pierre. L'endroit semblait abandonné, tant les murs étaient sales et le silence pesant. J'arrivais rapidement devant l'appartement qui m'intéressait. J'appuyais de toute mes forces sur la poignée. Fermé. Clos. Je poussais un cri de frustration, et sortis mon passe-partout. Je n'étais certainement pas la plus douée, mais je savais me débrouiller. Après plusieurs minutes de combat avec la serrure, celle-ci céda en poussant un grincement. J'entrais rapidement dans la pièce, et inspectait les lieux.

Les alentours étaient sales, très sales. Les précédents habitants étaient sans doute partis brutalement, il y avait encore pleins d'effet personnels. Je poussais du bout du pied un matelas posé à même le sol. Ramassant une poupée de bois, je m'interrogeais : Pourquoi être partis aussi vite ? Je jetais le jouet en soupirant. J'avais du travail, et ce n'était pas mes affaires. M'approchant de la fenêtre, je fixais les environs, vérifiant que personne n'était dans cette partie de la rue. Puis, j'ouvris la fenêtre.

S'ensuivit une détonation.
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Je me couvrais les oreilles, mes tympans en ayant pris un coup. L'explosion me projeta au fin fond du salon, m'écrasant contre le mur. Je poussais un petit râle en me relevant. Merde, il savait que j'étais là. Et il n'avait pas l'air de me vouloir du bien. Je me redressais, et me précipitais vers la fenêtre. C'était stupide, mais je devais sortir. J'entendis des poings cogner contre la porte. Celle-ci s'ouvrit dans un grand fracas, et deux individus armés et cagoulés entrèrent, pointant le canon de leurs armes sur moi. Je reconnus l'emblème de Nash sur leur veste. Certainement des gardiens. Je sautais rapidement sur côté, esquivant la première nuée de balles. L'un d'eux s'approcha, et envoya son poing dans ma figure, me faisant voir trente-six chandelles. Il me prit par le col, me plaquant contre un bureau. Je sentis son souffle sur ma nuque, et sa voix menaçante me glaça le sang.

" Tss, espèce de conne. Tu pensais t'attaquer au boss comme ça, hein ? Fais pas la maligne. Qui t'envoie ? Clark ? Jacob ?"

Il poussa soudainement un petit rire, se rapprochant de mon oreille.

" Alors, c'est lequel de ces enfoirés qui t'envoie ? Tu t'es fais douillée ma pauvre, tu vas crever comme la chienne que tu es."

Une réaction. Un instinct. Survivre. Mes ongles trouvèrent d'eux-même la cage thoracique de l'homme. Il la lacèrent, le forçant à me lâcher. Il poussa un long hurlement, tandis que je me précipitais vers la fenêtre et sautais dans la rue. Mais le second avait été rapide. Il tira une balle, celle-ci faisant mouche. Je poussais un long hurlement, atterrissant sur les pavés enneigés. Me trainant dans une ruelle sombre, je me laissais tomber, fixant avec effroi mon épaule ensanglanté. La blessure me faisait mal, bien trop mal pour une simple balle. Je poussais un nouveau cri de douleur

Du granit marin.

Ces enfoirés avaient osé utiliser du granit marin. Mon épaule ne répondait plus, et à cette vitesse là, j'allais être entièrement paralysée du bras. Ma vision commença à se brouiller, tandis que ma respiration se faisait haletante. J'étais seule. Puis, j'entendis une exclamation, les pas rapides et assurés d'un homme. Une ombre se pencha vers moi, silencieuse et inquiète.

Et avant de m'évanouir, je croisais une magnifiques paire d'yeux clairs.

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Un douce lueur traversant mes paupières. Le chant d'un oiseau. Je grognais. Etais-je morte ? Non, je ne pense pas que les défunts se réveillent dans un lit. Et je sentais clairement la sensation des draps sur moi. Avant même d'ouvrir les yeux, je portais la main à mon visage. J'avais toujours mon voile. Je poussais un soupir soulagé, et ouvris mes paupières lentement. Pour rencontrer une masse de cheveux rouges. J'eus un bref recul, fixant l'individu avec surprise. Je ne le connaissais pas, son visage ne me disait strictement rien. Il dormait d'un sommeil paisible, sa respiration légère brisant le silence. Puis, je me concentrais sur mon épaule, repérant une crème verdâtre dessus. Je poussais un grognement dégouté, retirant du bout des doigts la mixture légèrement gélatineuse. L'avantage, c'est que mon épaule ne me faisait plus mal.

Je baissais ensuite les yeux sur mon corps, et rougis en m'apercevant que je ne portais que mes sous-vêtements. Je réfrénais l'envie d'envoyer mon poing à la figure de ce voyeur, et me contentais de me lever. Mon regard balaya la pièce, et repéra mes vêtements sur une chaise, au fond. J'enfilais ma robe en quatrième vitesse, remettant un peu d'ordre dans ma chevelure azurée. Je fixais un instant mon reflet dans le petit miroir accroché à hauteur d'homme, face à moi. J'avais bien changé. J'effleurais du bout de l'index une légère cicatrice sur ma pommette gauche, avant de descendre vers mon menton. J'avais un peu maigri, mais mes traits s'étaient affirmés. A mon désarroi, ils n'en restaient pas moins assez enfantins. Je ne m'aimais pas, c'était aussi simple que ça.

Je continuais l'inventaire de la pièce, repérant mes armes sur une commode, près de la fenêtre. Je les empoignais, et les rangeais prestement, enroulant mes chaînes autours de ma taille. Je m'apprêtais à partir par la porte, mais me stoppais dans mon élan. Ma main resta bloquée sur la poignée, comme si j'oubliais quelque chose. Je me tournais lentement vers mon présumé sauveur, et poussais un soupir. Allez, au moins une politesse. Je m'assis sur le bord du lit, face à lui, le fixant. Pas un seul signe. Il n'était pas prêt de se réveiller. Je n'avais pas la patience d'atteindre. Je poussais un nouveau soupir, et frappa violemment ma main sur le haut de son crâne.

Je gloussais, amusée, en voyant le jeune homme se frotter la tête, encore grimaçant. Et je n'avais aucun remord. Les apparences sont parfois trompeuses, et me prendre pour une adorable mademoiselle douce et cordiale est une énorme erreur. Je croisais les bras sur ma poitrine, fixant mon sauveur. Il n'avait pas l'air en colère, se contentant d'esquisser un petit sourire. Un peu benêt ma foi, mais mignon quand même. Je rougis légèrement en le voyant me détailler, et fronçais les sourcils. En plus de cela, il se mit à me poser un tas de questions sans aucune gêne, tout en me tendant une main amicale. La réplique fut sèche et tranchante comme du métal.

" Pff, et je peux savoir pourquoi je te répondrai ?"

Il écarquilla les yeux de surprise, visiblement étonné.

" Je ne te connais même pas, et tu te permets de me questionner ici ? Tu m'as soigné, mais qu'est ce qui me dit que tu n'es pas un fou dangereux ? Ou pire, un détraqué pervers."

Violent, mais efficace. J'avais limite honte de moi même. Mais méfiance était de mise. Même si c'était dur de se méfier d'un visage aussi innocent. Ses émotions semblaient transparaitre. Du moins, je n'avais aucun mal à les deviner. C'était absolument adorable. Je poussais un soupir, mais continuais :

" Bon, je te fais une fleur. Je m'appelle... Régina. Et je cherchais mon frère dans ces immeubles. Tu le connais peut-être ? Il s'appelle Sorath, il a environ quinze ans, et des cheveux rouges pétants."

Seïra la serial menteuse. J'allais pouvoir ajouter ça sur ma fiche de recommandation. J'enchainais les bobards avec une facilité déconcertante. Grand-mère ne m'en voudrait pas d'utiliser son prénom, et je suis sûre que Sorath sera très coopératif. Ce gamin m'adore après tout. Je continuais de fixer mon sauveur, le détaillant minutieusement sans aucune gêne. Sa main était toujours tendue vers moi. Je finis par la prendre, et me rapprochais brusquement, son visage à quelques centimètres du mien.

" En tout cas ;" roucoulais-je ; " Merci de m'avoir soigné."

Parfait, il tombait dans le panneau. Il ne semblait même pas méfiant, à moi qu'il ne fasse abstraction de certaines incohérences. En tout cas, une chose était sûre, il était plus que gêné. Son visage était cramoisi, et il se frottait la tête en souriant. Ah, il suffisait de peu de choses pour se mettre ce genre d'hommes dans la poche. Mon jeu avait si bien commencé, hors de question de le terminer aussi abruptement. J'avais encore pas mal de cartes en main.

Je pris un air profondément inquiet, et m'écartait de lui en me rasseyant sur le lit. Posant une main sur ma poitrine, je poussais un soupir à fendre l'âme. Il me fixa, inquiet. Oui, c'est ça, regarde moi. Ma voix fut secouée de tremblements.

" Ohh, si tu savais. Il s'est déjà engagé dans l'entrepôt, tu sais, celui au bout de la rue. Un ami lui a dit qu'il y avait un trésor à l'intérieur. Mais le seul trésor qu'on y trouve, ce sont des armes et des trafiquants. Il est en danger. J'ai essayé de l'arrêter, mais il était trop rapide !"

Je me levais brusquement, m'appuyant sans gêne contre son torse et musclé, et lâchait de grandes larmes de crocodile. Cette interprétation mériterais les félicitations du jury. Ma mains vint chercher son col, et mon regard se fit suppliant.

" Je t'en pris, aide-moi. Il es trop jeune, trop innocent pour mourir. Trade est une ville dangereuse, qui sait sur qui il pourrait tomber. Je suis désolé de mettre aussi mal comportée avec toi, tu es si gentil, si serviable, si... adorable..."

L'appât est mit en place. Mon regard devait être tellement brillant que je devais avoir l'air d'un chat devant son maître. Je le fixais intensément, me rapprochant un peu plus de lui. Si je ne pouvais y entrer toute seule, lui m'aidera.

Je lâchais un soupir soulagé, et me dirigeais vers la porte. L'homme me suivit, et nous nous retrouvâmes dans la rue, évitant les passants et marchant en direction des entrepôts. J'attrapais sa main, et lui désignais une pâtisserie que je connaissais bien, lui déclarant d'un air exalté :

" Ça, c'est ma pâtisserie préférée. Dès qu'on aura retrouvé Sorath, on pourra aller manger un fraisier tous ensemble."

Un mensonge ? Que nenni ! Si mon nouvel associé voulait encore me parler après, j'étais vraiment prête à causer autours d'une tasse de thé. Il semblait gentil, de compagnie agréable, et était plutôt bel homme. Bon, d'accord, son torse devait faire baver les filles et il sentait divinement bon. Et, il était vraiment apaisant. Un peu comme ces moines, si calme que leur plénitude vous atteigne. J'étais un peu plus sereine en sa présence. Encore rouge, il avançait en regardant fixement le bout de la rue, ses cheveux bougeant au rythme de ses pas. Je sentais sa main puissante enserrer la mienne, et esquissais un faible sourire en détournant le regard.

Nous arrivâmes bientôt aux entrepôts. Des barrières obstruaient la route, et des individus louche montaient la garde, lourdement armés. Je repérais deux snipers sur les toits. Il allait falloir ruser pour entrer. Heureusement que je connaissais le coin, je jouais ici avant, avec Gerald. On grimpait sur les pierres et on se cachait dans les caisses. J'amenais mon protecteur derrière un mur, et me mis à murmurer :

" Bon, je t'explique. L'entrée qu'on va emprunter est à l'arrière, c'est une porte de service inutilisée. Pour eux, elle ne donne que sur un simple local sans passage vers l'intérieur, mais je sais qu'il y a un conduit dans un placard. Toi comme moi sommes assez petits pour entrer. Il faut éviter les gardes. Je ne suis pas forte, mes armes, c'est surtout de la frime pour qu'on me laisse tranquille. Par contre, je suis très rapide. A l'intérieur, on se sépare pour chercher Sorath. Tu peux venir me chercher si tu le trouves, et vice-versa. Sois prudent, je ne voudrais pas qu'il t'arrive quelque chose."

Et le pire, c'était que ma dernière phrase était sincère. Je devenais sensible, et ça, ça ne me plaisait pas du tout. Si je ne faisait pas attention, mon coeur allait me conduire à ma perdre.

Je me faufilais discrètement, slalomant être les caisses et les tonneaux. Bien évidemment, je ne pouvais transporter les armes toute seule, mais il fallait s'assurer de la marchandise avant que le reste du groupe rapplique. Intérieurement, j'espérais que mon nouveau compagnon ne ferais pas de bêtises. Mais sa naïveté laissait assez de place pour son intelligence, dieu merci. Il s'en sortira sûrement très bien, et il vaudrait mieux pour lui qu'après tout cela, il oublie mon existence. Je n'étais pas le meilleur contact à avoir, ni le plus fiable. Mes pas me guidèrent vers le petit local. Par chance, il était toujours déserté, se résument à une vieille table de métal et un grand casier écaillé. Je me dirigeais vers celui-ci, lâchant un soupir n l'entendant grincer. Me faufilant à l'intérieur, je me mis à palper la paroi du fond, jusqu'à trouver un bouton. Le faisant tourner trois fois sur lui-même, j'entendis un cliquetis, et le passage s'ouvrit en lâchant un bruit sourd.

Je me faufilais à l'intérieur en retenant mon souffle. Il était bas, étroit, et devait faire seulement deux ou trois mètres de long. Les parois étaient faites d'un vieux métal, et rouillaient par endroit. Je poussais la porte au out, et me faufilais dans la pièce adjacente. Les fenêtres sur le toit ne laissaient passer que peu de lumière, rendant les lieux sombres, en plus d'être humide. Je réprimais un éternuement, et inspectais les environs. Il n'y avait personne, ce qui était plutôt appréciable. Je m'approchais d'un tas de caisses, et ouvrit l'une d'elles. Ce qui était caché à l'intérieur me laissa sans voix.

Des pierres et du papier. Rien d'autre, c'était tout. Je poussais un cri de rage. Tout ces efforts, tout ce chemin pour ça ? Mon moral en prit un gros coup. Ils devaient déjà avoir vendu la marchandise, et voulaient piéger les voleurs. C'est à cette pensée qu'une grande main enserra ma gorge. Je poussais un cri, surprise et affolée. Je n'avais rien prévu, cela n'était pas au programme. Je me sentis soulevée, et mon regard doré croisa celui de mon agresseur, d'un vert reptilien. Il me fixait avec dégoût, et en même temps... bestialité. Je me débattais, tentant de lui donner des coups de pieds et de mordre sa main de colosse. Mais il restait statufié, et préféra me donner une gifle sonnante. J'eus l'impression que ma tête tourna sur trois cent soixante dix degrés. Mon esprit commençait à s'embrumer, à mesure que ma respiration ralentissait, la paume du monstre se resserrant de plus en plus sur mon petit cou. Je parvins à le faire desserrer en le griffant, et poussais un hurlement. L'occasion était trop belle pour ne pas me faire sauver comme une princesse de conte de fée.

" Shiki, à l'aide !! Par pitié, sauve-moi !!"

Je l'envoyais les mettre à terre un à un, assez impressionnée. Il ne fait aucun doute qu'il ferait un excellent élément parmi nous. Je le regardais se battre, scrutant ses mouvements. Encore un poil lent, mais extrêmement puissant. Son adversaire tomba à terre, KO. Sans même l'examiner, je pris mon acolyte par le bras, et nous nous empressâmes de sortir de l'entrepôt. Je n'avais plus rien à faire ici, les vraies armes devaient être cachées ailleurs dans la ville. Il y avait une infinité de caches possibles, cela allait être long. Mais une chose était sure : je n'avais plus besoin de ce garçon. Lui apprendre la vérité allait être long et pénible. Je le sentais interrogateur, intrigué par ma conduite. Il est vrai qu'une soeur s'inquiétant aussi peu pour son frère était louche. Mais le vrai Sorath aurait très bien pu se sortir tout seul de cette situation. Nous marchâmes côte à côte, et j'emmenais le jeune homme dans le café qu'on avait avait vu tout à l'heure, il devait avoir pas mal de questions à me poser.

Nous nous installâmes à une table. Je commandais un fraisier pour deux, ainsi que deux tasses d'Earl Grey, mon thé préféré. La commande arriva rapidement, et nous nous mîmes à déguster le gâteau. Je finis par prendre la parole, pas très à l'aise.

" Shiki, je vais devoir être franche avec toi ;" commençais-je en triturant une mèche de cheveux. "Il n'y a jamais eu de petit frère perdu. En vérité, je travail pour les comptes d'une organisation, et je t'ai menti sur toute la ligne. Je veux que tu saches que je ne l'ai pas fait de gaîté de coeur, mais bien par obligation. Hors, la mission se révèle être pour l'instant un échec. Je suis désolé, mais je n'ai plus besoin de toi. Tu peux partir, et oublier tout ce que tu as vécu en ma présence."

Ces mots étaient durs. Durs à dire, durs à entendre. La souffrance était présente dans les deux camps. Je me sentais pitoyable. pitoyable de m'être ainsi servi d'un pauvre homme, pitoyable de le rejeter alors qu'il m'a aidé. Pitoyable de le faire souffrir, alors que je commençais à m'attacher à lui. Et au fond de moi, je caressais l'espoir qu'il se mette à rire, à dire que c'était sans importance, qu'on avait qu'à faire équipe alors.

Si seulement je n'avais pas eu tant d'espoirs similaires par le passé.

Je me mordais la lèvre inférieur, honteuse. Je sentais toute la colère, toute la tristesse dans sa voix. Oui, ce que j'ai fait était mal, très mal. Je recommençais toujours, je faisais toujours souffrir quelqu'un. Ma vie ne semblait être qu'une succession de déception à cet instant précis. Je m'étais attachée bien plus que prévu à Shiki. C'était la première fois qu'une personne complètement désintéressée m'aidait, me tendait la main. Je le fixais, suppliante, attrapant l'une de ses mains pour la serrer, l'empoignant avec mes petites paumes blanches.

" Shiki... C'est faux..." sanglotais-je, une larme coulant sur ma joue, avant de mourir sur mes lèvres. " A certains moments... J'étais sincère. Tu es une personne formidable, et je ne veux pas que tu me haïsses. Tu sais, je te considère comme... Comme un excellente ami... Cette organisation est criminelle, c'est pour ça que je ne voulais pas t'en parler. Si tu savais trop de choses, lui, il n'hésiterait pas à te... "

Je sentais le souffle me manquer, comme si toute la vérité avait du mal à ressortir. Levant les yeux vers lui, mon désarroi grandit en voyant toute la déception dans son regard opalin. Je serais plus fort sa main, ma voix se faisant de plus en plus suppliante, de plus en plus rauque. Sur le moment, je mourrais d'envie de tout lui révéler, de A à Z. De partager chaque instant de mon passé, mes joies, mes peines, mes espoirs, mes rêves. De le connaître mieux, d'apprendre ses goûts, ses habitudes, son métier. Savoir d'où il vient, et où il va. D'avoir une relation saine avec une personne au grand coeur, s'intéressant à moi pour autre chose que mon physique et mes capacités. Seulement deux personnes pouvaient se targuer pour le moment d'appartenir à cette catégorie. Mais on me les avaient prise, volé. Cela avait laissé en moi un vide béant, atroce, que je comblais en enfouissant mes sentiments sous une couche de rage et d'indifférence. Et au fond de moi, j'espérais que lui, fasse enfin ressortir la vraie Seïra.
Les mots sortirent tout seuls, comme un voeu murmuré dans la nuit, une prière le soir, devant la cheminée.

" Alors... S'il te plaît... Crois-moi. Ne m'abandonne pas."

Je lâchais un rire amer à cette idée. Abandonner ma "vie" ? Me repentir ? Abandonner mes compagnons, mon chef ? Absurde. Illogique. Suicidaire. Infaisable. En entrant dans les Shadow Ghost, j'avais fait un choix qui allait changer ma vie, mon existence toute entière. Quand on intègre cette organisation, on est piégé pour l'éternité. La trahison est passible de mort chez nous, mort étant généralement très douloureuse. Ren m'en avait immédiatement parlé lors de mon intégration. Et il semblait contenir des souvenirs douloureux à ce sujet. Suffisamment douloureux pour que son mécontentement et sa colère soient palpables, lui d'habitude si serein. Ce que me proposait Shiki était impensable. Et même si je le pouvais, je ne le ferais pas. J'ai juré fidélité à mon chef, à mes camarades. Entre nous, c'est à la vie, à la mort. Il ne les connait pas, mais se permet de les juger. Nous ne sommes pas totalement dépourvus de morale. Et pourquoi me repentir ? Pour gagner ma place au Paradis ? Dommage pour lui, mais je n'ai jamais cru à l'existence d'une quelconque entité supérieure.

C'est simple, Shiki ne connait pas mon monde, mon univers. C'est avec amertume que je me rendis compte que je m'étais trompée à son sujet. Il ne savait rien. Il ne connaissait pas ce monde de violence, celui où on nous jetais dans une arène dès l'enfance. Non pas que j'ai été malheureuse, loin de là. Mais j'ai quand même dû apprendre à me faire respecter dans cet univers d'hommes et de monstres, tous prêts à me dévorer au moindre faux pas. A l'évidence, le jeune homme, lui, était inconscient de tout cela. Il n'avait même pas idée de ce qu'impliquait l'avènement de la "nouvelle génération". Il était plus vieux que moi, et pourtant, j'avais l'impression qu'il manquait de maturité. Un gouffre nous séparait. Il ne pouvait pas me comprendre.

Et bien, soit. Je devais l'écarter au plus vite. S'il voulait rester dans sa petite bulle utopiste, ainsi soit-il. Mais qu'il ne vienne plus me tourmenter. D'un certain point de vue, je faisais cela pour son bien. Moins vite il découvrirait les atrocités de mon milieu, mieux ce serait. Je lui tournais le dos brusquement, et ma voix devint sèche et persiflante.

" Non. Tu es ridicule. Tu ne me connais pas, mais tu me demandes de tourner le dos à une cause que tu ignores. Tu me juges, et je déteste ça. Si je te demandais de tout plaquer pour moi, le ferais-tu ?... Non, bien sûr que nous. Tu n'en aurais pas le courage, et je n'en ai pas la volonté. Retourne d'où tu viens, et essaye de ne plus t’immiscer dans des affaires qui ne sont pas les tiennes. Cela te conduira un jour à ta perte."

Des mots secs, rudes, cruels. Mais j'avais l'habitude maintenant. Après tout, il n'était ni Gerald, ni mon père. Je le traiterai comme les autres, et je m'en porterai bien mieux. Trop de faux espoirs allaient me détruire, je devais endiguer ce fléau. Rapidement, je me hissais sur le toit à l'aide de mes chaînes, me soustrayant à sa vue. Mais arrivée en haut, j'étais clouée sur place. Un soupir sortit de ma bouche. J'étais toujours aussi pathétique et pitoyable. Quoi que je fasse, j'étais en position de faiblesse. Allez ma grande, une dernière fois, promis.

" Au fait... Je m'appelle Seïra ;" Déclarais-je, avant de disparaitre en vitesse.

A l'entente de ces mots, je me stoppais, sonnée. Mon coeur se serrait dans ma poitrine, et je sentais mes joues brûler. Je l'avais manipulé, je lui avait menti, je m'étais montrée odieuse. Et malgré tout cela, il voulait toujours m'aider. j'ignorais s'il éprouvait quelque chose à mon égard, mais personne avant n'avait montré autant de sympathie et de compassion à mon égard. Il s'accrochait à moi, refusant de lâcher mon esprit, de me laisser en paix. J'étais remplie de remords, une première pour moi. Tout ça me surprenait, me prenait de court. Comment réagir ? Je ne voulais pas lui faire de mal. Pour une fois qu'une personne s'intéressait vraiment à moi, je ne voulais pas la faire fuir. En fait, je mourrais d'envie de rester.

Mais je ne pouvais pas. Je le conduirais à sa perte, je le ferais sombrer, le jetant tout droit dans la gueule du loup. Nous n'étions pas du même monde, il n'était pas conditionné à temps de violence et de cruauté. Son altruisme était à la fois son meilleur atout et sa pire faiblesse. Je me devais de le préserver, de lui épargner toute cette souffrance. Il me remerciera plus tard. J'écoutais son ultime tirade, le souffle court, le coeur en miettes.

Certaines circonstances ? Quelles circonstances ? Qui était-il ? Pourquoi devrait-on se battre ? Etait-il aussi blanc qu'il le prétendait ? Toute ces questions tournaient en boucle dans ma tête, comme un ballet infernal dont j'étais prisonnière. Je ne voulais pas me battre. Je ne voulait pas, je ne voulait pas, je ne voulait pas. Quelqu'un pour me tendre la main. Je n'osais l'avouer, mais cela faisait des années que j'attendais ce jour. Pouvoir enfin confier mes doutes, mes craintes à une personne de confiance. Lui avouer des secrets gros comme mon âme, soulager ma conscience en toute quiétude. Je repris ma route, m'éloignant un peu plus à chaque pas de mon nouvel "ami" si je puis dire. Un concept assez nouveau dans mon esprit. Quelle personne pouvait se targuer d'être mon ami à par Gerald ? Ren était mon supérieur. Les autres de l'organisation étaient mes collègues. Sorath était mon petit frère de substitution. Rhode était mon père. Mais Shiki, lui, était mon ami. M'éloignant de lui, je circulais de toit en toit, contournant cheminées et obstacles en silence.

Tu ne verras pas mon mal-être, l'impact de tes mots sur mon esprit. tu ne verras pas mes larmes couler, mes mains trembler. Tu n'entendras pas mes faibles sanglots, mon esprit hurlant sa peine et sa rancune. Tu ne connaitras jamais ma prochaine destination. Mais c'est parce que je dois rester forte. Je ne t'oublierai jamais. Un jour, nos routes se recroiseront.
Et ce jour-là, je ne faiblirai pas.