Tu veux sa main ?

J’vous jure ! Ils font à peu près cette taille là !
Nils montrait la distance qui séparait ses deux index : il devait bien y avoir six ou sept centimètres entre les deux.


On retrouvait même parfois des ongles bien plus grands… et noirs ! Certains étaient même sales !
Le vieillard s’était retrouvé entouré de nombreux badauds au sein de cette taverne pourtant assez simple d’apparence. Un bar assez peu rempli, des verres et des choppes vides d’un côté tandis que le serveur peinait à maintenir le flot de client. Quelques boiseries et trophées de chasses ornaient l’établissement et les quelques assises étaient trouées de partout. Décidément, il ne s’agissait là que d’un bouge miteux qui n’aurait pas attiré autre chose que de la raclure de premier ordre.

Le grand-père avait exactement choisi ce lieu pour s’éviter une quelconque rencontre avec l’un de ses supérieurs. La mission qu’il avait terminé à peine quelques heures plus tôt l’avait lessivé et découragé au plus haut point. « Parvenir à repérer ce que fabriquaient des hors la loi pour le trafic d’arme »…


La barbe ! Oui oui aussi ! Elle en a ! Enfin ça tient plus du duvet mais quand je l’ai auscultée, c’était impressionnant !
Les hommes poussèrent des « oh » de surprise et quelques « je le savais ! » parvinrent jusqu’aux oreilles du grand-père. Continuant ainsi son récit, le vieil homme était parvenu à éviter de payer une quelconque addition pour la masse de bière qu’il continuait d’ingurgiter.


En réalité, c’est quand même une belle femme… extraordinaire. Et puis sa voix ! Quelle voix !
Le Gratz avait levé les yeux au ciel pour parfaire son expression. Les quelques hommes étaient ainsi tenus en haleine : le talent de Nils pour raconter des histoires était indéniable. Il insista d’ailleurs un long moment pour parler de cette femme, tantôt la dénigrant, tantôt la rendant sublime et désirable aux yeux de tous. L’un des hommes posa sa choppe de manière virulente pour se mettre à scander son nom en ajoutant qu’il allait changer ses plans et se convertir juste pour elle !

- Chairoka sera ma femme ! Je rejoindrais la marine pour lui montrer à quel point je saurai la combler.

Nils trouvait la situation délicieuse… vraiment ! Des hommes détracteurs du gouvernement mondial et quelques pro-gouvernements. Le vieillard se contrefichait de savoir qui l’écoutait : après une telle mission, chiante au possible, il ne cherchait qu’un peu de reconnaissance. De la reconnaissance qui lui manquait terriblement : celle d’un grand-père en quête d’amour de jeunes gens.

Un sourire en coin, le vieillard avait toutes les raisons du monde d’en vouloir au gouvernement mondial. Ces ordures l’avaient séparé de sa famille mais, pire encore, ils avaient fait en sorte de le sortir de sa retraite et l’obligeait à travailler... pour des missions particulièrement ennuyeuses en plus ! Voir un tel personnage se faire de tels films le remplissait de joie. Mieux encore ! C’était grâce au grand-père qu’une nouvelle vocation était née ! Il ne lui restait plus qu’une dernière carte à abattre…

Tu veux sa main ?

Le sourire malicieux, le Gratz porta le doux breuvage à ses lèvres comme pour marquer un effet des plus dramatiques et pour faire monter la tension. De la mousse se déposa sur sa barbe qu’il ébroua comme un petit chien avant de s’essuyer avec sa manche en reposant sa chope. L’homme à la nouvelle vocation était déjà parti dans tous ses états tandis que des chuchotements prenaient place autour de la table. Nils ne pouvait espérer mieux, à tel point qu’un nouveau venu vint à sa rencontre : un jeune homme particulier et visiblement impatient.

Haussant un sourcil alors que le jeune impudent remettait sa parole en doute, l’ancêtre se calla dans son fauteuil en bombant le torse. Tous avaient mordu à l’hameçon, il allait ainsi pouvoir abattre sa carte maitresse et tous mangeraient dans sa main !

Une esquisse de sourire, le marin se reprit pour regarder droit dans les yeux le nouveau jeune homme. Il fallait répliquer, et de la meilleure façon possible.


Tu remets mes paroles en doute ? Evidemment que je la connais parce que…
Quel magique moment suspendu ! Une tension pouvait presque en devenir palpable tandis que quelques badauds retenaient leur souffle aux alentours.


Je suis son père…
La voix grave, le timbre de voix singulier aurait pu faire trembler les verres sur la table. Des « oh » et des « ah » furent alors les seuls sons qu’on pouvait entendre tandis que l’homme qui était parti s’était figé à la sortie. Dos à la table, des regards se tournèrent alors vers lui : il tremblait. Un rire tonitruant sortit alors de la gorge de l’homme avant qu’il ne se retourne d’où il venait d’un pas encore plus décidé. Pointant du doigt l’ancêtre, il argumenta ce grand retour.

- Grand pè... Beau papa ! Je demande la main de ta fille !

De nouveau, des « ah » et des « oh » s’élevèrent de la foule tandis que d’autres se mirent à applaudir. Un genoux à terre, l’homme était maintenant prêt à tout pour obtenir ce qu’il attendait tant : la bénédiction de l’ancêtre pour le mariage. Nils bomba une nouvelle fois le torse une nouvelle fois et observa sa main un moment comme si elle était sale, mimant ainsi un besoin de réfléchir qu’il accompagna d’un « Hummm » suffisamment sonore pour laisser l’assemblée dans le doute.

Est-ce que quelqu’un allait s’opposer à cette union ? Quoiqu’il en fut, le vieil homme sentait qu’il allait pouvoir rire un bon coup pour une fois et il ne comptait pas s’en priver. Que demanderait-il alors comme dot pour marier sa fille qui ne l’était pas ? Des berrys ? Un inconditionnel soutien ? L’œil brillant, Nils se voyait déjà avec le fervent admirateur en subalterne pour lui masser les pieds… cela faisait bien longtemps qu’il n’avait pas pu faire trempette après tout ! Depuis combien de temps le grand-père n’avait-il pas pris de temps pour lui hein ?!

Tu veux sa main ?

Écarté comme un malpropre, le rival de Sakuga Keigo fut pour le moins frustré et il ne comptait pas en rester là pour autant ! Les quelques badauds s’étaient reculés autour de la table pour laisser les deux protagonistes devant le grand-père qui semblait jubiler intérieurement. Un cercle de badauds s’était ainsi constitué autour les trois protagonistes. Peu rassuré, le barman récupéra quelques bouteilles encore présente sur son bar pour les cacher derrières. Visiblement accoutumé à ce genre de péripéties, il ne cherchait simplement qu’à sauver les meubles.

Dans un autre coin de la salle, l’un des hommes commençait déjà à prendre les paris sur ce qui allait se passer. Rien n’était moins sûr quant à la sécurité des badauds et pour cause ! L’homme en quête de sa belle et tendre fulminait déjà d’avoir été ainsi éjecté. Reprenant un peu de constance, l’homme bomba le torse et tenta à son tour de pousser le Keigo pour se mettre en avant. Agenouillé de prime abord, le Keigo risquait d’être bien vite pris à parti par l’homme s’il ne se poussait pas.

Le Gratz tenta de calmer le jeu en toussotant. Sa parole se devait d’être pour le moins, le plus clair possible. Commençant à prendre sa respiration, le vieil homme fut pris de court par son prétendu futur gendre.

- Je saurai combler vos vides et remplir vos plus grands désirs.

Nils frissonna avec ces quelques mots. Déjà que ces paroles pouvaient être détournées sans problème, le sourire machiavélique de l’homme indiquait bien des problèmes. Avec un regard noir en direction de Sakuga, sans même se rendre compte de sa grosse bourde, il se releva pour observer finalement le grand-père et déchanter.


C’est à dire que… et bien…
Se penchant en avant comme pour faire un aparté, le grand-père expliqua alors son problème quant à ce qu’il avait pu dire.


Vous n’êtes pas vraiment mon type et…
- Qu’est ce que ?!

Il réalisa soudainement et se confondit en excuse sur le champ afin de rectifier le tir. Toussotant pour s’éclaircir la voix à son tour, il expliqua alors un raisonnement des plus nobles.

- Je ne suis pas ce que vous croyez… mais je vous promets de dédier ma vie à cette femme ! Je vous assure fortune et gloire, Chairoka sera ainsi la prochaine étoile du gouvernement !

A son tour il se pencha vers le grand-père.

- Et entre nous, c’est autre chose que le guignol, non ?

Pour un aparté, c’était plutôt raté : toute l’assemblée avait pu entendre ce qu’il venait de raconter. Nils haussa un sourcil et se recula pour sa propre sécurité. Le barman, propriétaire des lieux, se cacha lui aussi sous son bar au cas où. Même les badauds s’étaient reculés et avaient agrandi le cercle par la même occasion. Il ne restait plus qu’à savoir si Sakuga allait laisser passer ça.

Tu veux sa main ?

Dans quelle situation l'ancêtre s'était-il encore fourré ?! Nils avait vraiment le chic pour se retrouver dans des aventures abracadabrantesques. Si de base il n'avait souhaité que se faire mousser un peu, il fut heureux de constater que la situation dégénérait suffisamment pour se faire oublier. Pour une fois, il fut bien heureux d'être considéré comme un petit vieillard sans importance même s'il restait au coeur des véhémences de chacun.

Le coup partit sans que le rival de Sakuga ne puisse rien y faire. Honteux, il n'avait même pas pu répliquer le moins du monde et fut pour le moins humilié de la situation. Il était cependant inconcevable pour lui de laisser cet affront impuni et c'est avec un regard que Nils interpréta comme lubrique qu'il reprit la parole pour le vieillard.

- Futur beau-papa ! Je vais moi aussi sortir un petit bout de latex pour gifler en retour et accepter ce duel.


Non. Vraiment. C'est pas la peine... y a des enfants !
Décidément, le langage du jeune effronté n'était adapté à aucune situation et souffrait d'une ambiguïté certaine. Le teint bleme devant tant de sous-entendus, le grand-père ne sut quoi répondre dans un premier temps. Les esprits s'échauffaient peu à peu dans l'assemblée. Un grand gaillard s'approcha même du bar avec un bout de papier et un crayon pour commencer à s'improviser garant des paris.

- Tous les bénéfices iront pour le mariage !

Beaucoup de badauds s'approchèrent alors de l'homem pour donner un montant ou un autre. Le pauvre Sakuga ne payait pas de mine et sa côte risquait de grimper en flèche tellement il était outsider. Soudain, le barman brisa une choppe sur le bar avec un regard noir envers le vieil homme et les deux responsables de tout ce boxon.

- Pas de bagarre ici ! C'est dehors que ça se passe.

Toujours à la recherche d'un bout de latex pour gifler l'épéiste, le grand favori renonça finalement pour se diriger vers la sortie en ouvrant la porte.

- Venez donc beau papa. Je vous garde une belle place au chaud. Le barman a raison : il ne me faudra pas longtemps pour remettre la jeunesse à sa place.


Non. Vraiment. Même la place au chaud... c'est dégueulasse.

Un rire tonitruant sonna. Il expliquait ne pas avoir à répondre d'une gifle à une telle bassesse. Si Sakuga suivait le mouvement alors le petit groupe de jeunes gens constitueraient une sorte de cercle. l'homme vicieux prendrait une pose nonchalante tout en cherchant à provoquer le jeune homme. Après tout, ce n'était qu'un gosse non ?

- Je ne fais que répondre à la provocation... à toi l'honneur, je saurai te pourfendre le popotin.

Un soupir s'échappa de Nils tandis qu'il frissonnait d'effroi. Vraiment, cet homme était dégueulasse.

Tu veux sa main ?

Si seulement le combat pouvait commencer au plus vite ! Nils avait vraiment des sueurs froides avec toutes ces conneries. Mais dans quels draps s’était-il encore fourré ?! Entre l’un qui faisait des pieds et des mains pour le foutre dans son lit et l’autre qui tenait à défier l’honneur du grand-père… alors certes, c’était valorisant pour l’ancêtre, mais ça n’en demeurait pas moins un étrange mensonge !

N attroupement commençait peu à peu à se former autours des combattants qui dégainèrent leurs armes respectives. C’était pile poil ce qu’il fallait à l’ancêtre pour filer à l’anglaise. Faisant d’abord trois pas de côté, il accéléra peu à peu la mesure dans l’objectif de partir en direction d’une bonne planque. Il fallait se mettre à l’abri des regards en attendant de pouvoir quitter cette ile de malheur !

Nils mit bien plusieurs minutes avant de réussir à trouver une porte de sortie… ou du moins d’entrée dans une maison. Il fut accueilli par une famille en plein repas qui était pour le moins surpris de le voir arriver comme un cheveu sur la soupe, au propre comme au figuré. Le père et la mère étaient déjà en train de servir la soupe d’un repas tardif et ils s’arrêtèrent quelques secondes pour dévisager le vieil homme. Soudain, les larmes de la femme commencèrent à rouler sur ses joues accompagnées d’un tremblement de ses lèvres…

- Pa… papa !

Fondant en larmes, la pauvre femme venait de fondre sur le vieillard qui ne comprenait pas plus ce qui était en train de se passer. Il était évident que cette dernière pensait avoir retrouvé son paternel après une longue absence.

- Beau papa… je… euh… c’est pas ce que vous croyez.

Et merde. Voilà que l’autre aussi s’y mettait. Une discussion des plus chiantes prit alors place en plein milieu du salon, le gendre s’excusant de ne pas avoir pu demander la main de sa fille dans les règles de l’art. Ils déblatérèrent très longtemps sans que Nils ne puisse placer autre chose que des « mais… je… ». Se massant les tempes, le grand-père se disait que ça devait sans doute être un retour de karma lorsque la porte d’entrée s’ouvrit de nouveau, laissant entrer le rival de tout à l’heure.

- Qu’entends-je ?! TU OSES AVOIR FAIT CA DANS MON DOS ?!

Le pauvre était un peu esquinté mais tenait encore bien debout. Non, cette fois-ci, c’en était trop pour le grand-père qui se mit à hurler et fuir à toute jambes. Plus jamais il ne remettrait les pieds sur cette ile de malheur… enfin, si quelqu’un la visitait un jour, tous pourraient voir un avis de recherche pour le grand fou : « trois mille berrys pour la tête de l’homme aux mille enfants ».