Être un utilisateur du Rokushiki n’était pas toujours une chose facile. Certes, je ne maîtrisais que trois techniques de cet art redoutable, mais certains comptaient sur moi pour transmettre mon savoir. Apparemment, on me trouvait relativement bon dans ce domaine – bien qu’il soit loin d’être ma spécialité – et la nouvelle génération devait devenir plus forte. C’est pourquoi apprendre une ou deux techniques du Rokushiki pouvait être un bon point pour les membres de celle-ci. Par conséquent, on m’avait missionné pour enseigner le Soru à un jeune Matelot. En réalité, exercer en tant qu'instituteur n’était pas vraiment mon fort, c’était même la première fois que je le faisais et rien que d’y penser me mettait particulièrement mal à l’aise.

Mais les ordres étaient les ordres et je me devais de les exécuter sans broncher. Styff, mon oncle, était également présent à mes côtés. D’ailleurs, lui était un vrai spécialiste de cet art.  Mais allez savoir pourquoi, ce n’était pas à lui que l’on avait demandé de faire ça.

« J’espère qu’il va être capable d’assimiler rapidement, j’ai pas envie de rester là toute la journée… »

« Je sais que c’est pas ton truc, mais pas le choix. Et puis, si t’es bon, tu devrais pouvoir lui apprendre cette technique en deux temps trois mouvements. N’est-ce pas p’tit gars ? »

« Ouais, j’imagine. »

Attendant patiemment dans la salle d’entraînement, j’essayais tant bien que mal de contenir la douleur qui s’emparait de mon esprit, comme d’habitude. Qu’est-ce que j’en avais marre. J’avais toujours la crainte que ces maux soient trop violents pendant une opération importante et que je me retrouve à faire n’importe quoi ou à ne plus pouvoir gérer un affrontement dangereux. C’est pourquoi il allait vraiment falloir que je maîtrise ce nouveau pouvoir au plus vite. D’autant que j’avais été appelé précédemment pour participer à l’escorte d’un membre important du Gouvernement Mondial, de la famille Thalassa. Quoi qu’il en soit, j’allais devoir passer outre aujourd’hui. Ainsi, lorsque la recrue poussa la porte pour entrer dans la salle en précisant qu’il était là pour le Soru, je pris une profonde inspiration. Ça allait donc vraiment commencer, maintenant.

« Le Soru est une puissante technique de déplacement instantané appartenant à l’art du Rokushiki. Elle permet notamment de faire ceci. »

Sur ces mots, je me déplaçai à toute vitesse en utilisant celle-ci de façon à réapparaître juste derrière le jeune aux cheveux blancs. A l’issue de cet entraînement, il allait devoir réussir à l’utiliser au moins un minimum. Il devrait ensuite se perfectionner tout seul, d’une façon ou d’une autre. Moi j’avais juste à lui apprendre les bases.

« As-tu été capable de voir comment ça fonctionne ? »

Alors que je venais d’utiliser le Soru pour la première fois devant le jeune garçon, je pus remarquer sa surprise. On aurait dit un véritable gamin qui s’émerveillait de la moindre chose qui sorte de l’ordinaire se déroulant sous ses yeux. En effet, lorsque j’apparus juste derrière lui, il se précipita en courant pour se cacher dans le dos de Styff en criant de frayeur. Lui avais-je vraiment fait aussi peur en me déplaçant de cette façon ? Décidément, ce garçon devait être un vrai froussard. Pourquoi m’avait-on demandé de lui apprendre cette technique, du coup ? Il n’avait pas spécialement l’air d’être prometteur ou même ne serait-ce que formé au combat. Autant dire que l’incompréhension était bel et bien présente dans mon esprit en m’apercevant de cela.

A ce moment-là, Styff soupira lorsqu’il s’aperçut qu’il servait apparemment de bouclier ou de « gros nounours ». Il n’était pas vraiment du genre à apprécier ni même supporter ce genre d’enfantillages, si bien qu’il se précipita pour chercher à s’écarter.

« Oy, bouge de là gamin »

Voyant cette réaction de sa part, je ne pus m’empêcher de sourire, amusé de la situation. Puis, je lançai un regard au jeune homme qui venait de sortir de sa cachette, des étoiles plein les yeux pour me demander comment je m’étais débrouillé pour arriver à un tel résultat. Pour moi, c’était simplissime mais après tout cela faisait déjà depuis un long moment que je la maîtrisais réellement. Le vrai souci allait donc maintenant être de réussir à lui expliquer correctement la façon de faire, l’exercice qu’il se devrait d’exécuter. C’est pourquoi je fis en sorte de répondre calmement et le plus simplement possible.

« Il ne s’agit pas de courir, non. En réalité, pour réussir cette technique, il est nécessaire de pouvoir frapper le sol aussi rapidement que possible avec tes pieds. »

Prenant une légère pause dans mes explications, je repris quelques instants après.

« Ça a l’air difficile à comprendre et même à admettre dit comme ça, mais oui, il est possible de frapper le sol tellement vite que nos déplacements s’en retrouvent grandement améliorés. C’est l’essence même du Soru. »

De là, je recommençai l’exercice. A nouveau, j’exécutai cette technique afin de me déplacer dans toute la pièce à grande vitesse, si bien que je semblai me téléporter dans chaque recoin. L’objectif était qu’il essaie de regarder précisément mes mouvements, qu’il parvienne à déceler ces chocs sur le sol.

« Ouvre bien les yeux, et prends note. »

Le ton était manifestement donné. Je ne comptais pas trop m’attarder sur cet apprentissage, si bien que je faisais tout ce qui était en mon pouvoir pour coacher le jeune homme du mieux possible. C’est pourquoi je n’avais pas perdu de temps avant de lui montrer concrètement ce qu’il devait réaliser. Toutefois, bien qu’il semblait être attentif à ce que je pouvais faire ou dire, il n’avait pas l’air particulièrement futé. En effet, lorsqu’il s’essaya à l’exercice, il crut bon de frapper le sol tellement violemment qu’il ne ferait que se blesser, et rien d’autre. Secouant ma tête de droite à gauche en signe de désolation, je lui répondis toutefois sur un ton calme pour ne pas trop montrer mon ennui.

« Bien évidemment que j’en suis certain. L’objectif n’est pas de frapper fort, mais de frapper bien et surtout rapidement. C’est cette vitesse d’exécution qui te permettra d’atteindre ton but. »

Après ça, il sembla se concentrer davantage. Ayant désormais compris de quelle façon il se devait d’agir, il tenta désespérément de taper trois fois le sol dans l’espoir de réussir quelque chose cette fois-ci, mais en vain. Cela ne changea strictement rien à la donne malheureusement pour lui. Toutefois, là où les choses commencèrent à devenir intéressantes, c’est lorsqu’un cafard vint s’approcher de lui. Extrêmement peureux, il se mit à essayer de l’écraser en battant rapidement des jambes, et c’était un bon début. Le problème c’est qu’il ne chercha même pas à se mouvoir en agissant de la sorte, tout ce qu’il souhaitait c’était se débarrasser de cet insecte.

Par conséquent, j’eus une idée. S’il ne réagissait que face à un « danger » immédiat, j’allais devoir en créer un moi-même. Alors, abaissant mes mains jusqu’à ma ceinture, j’empoignais les crosses de mes revolvers pour les remonter quelque peu. Puis, je me mis tout simplement à tirer en rafale juste à ses pieds. Cependant, je ne comptais pas garder cette trajectoire pour l’éternité. S’il ne faisait pas en sorte de se déplacer dans la pièce, il finirait avec le corps criblé de balles, ce qui serait dommage pour lui.

« Fuis ou meurs. »

En prononçant ces mots, je pris soudainement un air bien plus sérieux pour lui faire comprendre que je ne rigolais pas avec ça. Styff, de son côté, se mit à sourire en découvrant cette méthode pour le moins osée. Il était vrai que c’était risqué d’agir de la sorte, mais il n’y avait pas meilleur entraînement que le danger, puissant déclencheur de l’instinct de survie. Fixant le jeune homme droit dans les yeux, je murmurais.

« Cours gamin, cours. »

Déterminé à apprendre cette technique du Rokushiki au jeune garçon à la chevelure blanche comme la neige, je me rendis finalement compte assez vite de ce que j’avais entrepris de faire. Plusieurs balles avaient déjà fusé dans la pièce, cherchant seulement à déstabiliser l’élève pour que la fuite rapide ne se déclenche presque instinctivement. Malheureusement, cela ne s’était pas passé comme prévu. Oui, le matelot avait pris peur, comme je le souhaitais, mais il n’avait pas réagit de la bonne façon. Bien au contraire... En exécutant quelques mouvements incohérents pour chercher à se protéger, il s’était finalement réellement mis sur la trajectoire de mes balles. Par conséquent, celles-ci eurent tout le loisir de s’échouer dans son corps. Pour le coup, il avait de la chance. Les endroits touchés n’étaient pas suffisamment importants pour lui coûter la vie. En même temps, si ça avait été le cas, je pense que j’aurais eu des problèmes avec la hiérarchie.

Comprenant donc l’étendue de son potentiel négatif, je pris la décision d’interrompre l’entraînement.

« C’est bon, on arrête là. Ce n’est pas en agissant de la sorte que tu pourras devenir un vaillant combattant.  J’espère que tu en es conscient, petit. »

Voyant un liquide carmin s’écouler doucement de ses plaies, je m’approchai et fis en sorte de le soulever pour le placer ensuite sur mon épaule tel un sac à patates. Décidément, il n’y avait vraiment rien à faire. Soit j’étais un mauvais formateur, soit ce garçon avait un réel problème.

C’est au moment où je m’apprêtais à sortir, secondé par Styff, que quelqu’un frappa à la porte avant d’ouvrir un instant. Il s’agissait d’un soldat, venu ici pour me transmettre une information suffisamment importante pour m’obliger à écourter cette séance. Le regardant alors droit dans les yeux lorsqu’il s’aperçut de la présence de sang sur les vêtements du matelot, je ne pus m’empêcher de pousser un long soupir de désespoir.

« Vous tombez bien. Amenez-le à l’infirmerie, au moins là-bas il risquera pas de se faire tuer par sa propre bêtise. »

Sur ces mots, il récupéra le jeune garçon et me laissa vaquer à mes occupations. Styff sortit peu après en lui murmurant quelques paroles réconfortantes.

« Faut l’excuser, il n’a pas l’habitude et.. Il s’énerve vite. »