Cela faisait à peine quelques mois qu'il était parti de son île natale, qu'il voguait sur le Nouveau Monde, que déjà l'équipage de pirates avec lequel il voguait s'était dirigé vers l'île des Hommes-Poissons. Une plaie, une putain de plaie ces trucs-là. Tout autant que les humains, mais en moins nombreux et plus puissants. Le loup les débectait avec une puissance folle, au point qu'au bout d'à peine deux jours dans les quartiers populaires, il s'était fait défoncé la tête plus d'une demi-douzaine de fois et qu'il ne ressemblait plus qu'à un estropié sur place. Ses bleus étaient nombreux, et son corps couvert de bandages par endroits. Il n'arrêtait pourtant pas de les provoquer.
C'est Nomi, la fille du tavernier, qui commença à s'intéresser à ce gamin un peu trop impétueux, un peu trop violent. Cette femme-poisson était d'une élégance rare : elle possédait de longues tentacules qui alliaient la prestance de la pieuvre et la beauté des poissons phosphorescents. Elle avait une vingtaine d'années, et si elle ne s'était pas amouraché de l'homme-loup, elle l'avait trouvé drôle par moments, et touchants à d'autres. Au détour d'un pinte, il avait pleuré son fils qu'il avait abandonné, et si elle ne lui en avait pas parlé, elle savait que cela lui pesait.
Ainsi, elle le mit sous sa protection les jours qui suivirent pour qu'il se repose. L'équipage pirate avec qui il était venu connaissait les coutumes de l'île et ne fit aucune vague, au contraire du petit « clebs sur pattes » que critiquaient beaucoup.
- Viens, on va boire, fit Nomi en réveillant le jeune homme un matin – qui était en réalité un soir.
Il acquiesça en se frottant les yeux. Les boissons qu'elle lui offrait étaient toutes plus délicieuses les unes que les autres. Contrairement aux alcools que les humains distillaient, ceux des hommes-poissons étaient bien plus puissants et bien plus plaisants. Il souriait bêtement en suivant la créature de rêve, ne s'intéressant pas à son corps, mais bien aux plaisirs de la bouche qu'elle pouvait lui offrir. Il se jeta sur la première pinte qu'il trouva dans la taverne où exerçait son père et il provoqua l'hilarité générale en recrachant le contenu du liquide. C'était de la Piquette, un alcool épicé du coin qui marinait à 90°.
- Vous m'faîtes quoi là ? Vociféra-t-il avant de lui-même rire de sa propre bêtise.
Il était saoul. Il était saoul pour oublier, il était saoul pour se plonger dans la délivrance de l'alcool. Il haissait aujourd'hui chacune des années qu'il avait pu passer sur cette terre, et quand il était ici, il n'avait pas à y penser. Son caractère franc l'avait rendu irritant au début, mais au fur et à mesure il s'était fait accepter. Il détestait la faiblesse, caractéristique que son père lui avait transmis. Et pourtant, au fond il protégeait les faibles quand il le pouvait. Il était empli de contradictions que l'alcool gommait.
- Hé, les gars ! Hurla un homme en arrivant. Y'a des putains d'esclavagistes sur l'île apparemment !
- Déconne pas, Stoch, beugla un autre. C'est impossible.
- Ahah, ouais, j'déconne ! C'est ma tournée !
Chacun vociféra tandis que Nomi, les sourcils froncés, prit cette blague un peu plus au sérieux. Des esclavagistes, hein...