La descente vers l'île des hommes-poissons était amorcée, et bien amorcée : ce n'était ni plus ni moins qu'un trait d'esprit pour le signifier au vice-amiral de la Marine. En décrochant, Nakata ne s'était pas attendu à recevoir de ses nouvelles à lui... Pourtant, entendre cette voix qui commençait à s'avérer familière ne lui avait pas franchement déplu. Il n'avait aucune raison d'exécrer ce marine qui, a priori, servait son armée avec honnêteté et droiture. Il n'était ni suffisamment absolu pour appliquer le décret Decima sans la moindre réflexion ni la moindre considération pour autrui, et il visait manifestement l'application d'une justice et d'un ordre susceptibles de sourire au plus grand nombre. Si tous les gradés avaient été aussi sincères dans leurs démarches que lui, sans doute le blondinet n'aurait-il jamais eu à quitter le Gouvernement Mondial... Enfin, l'heure n'était pas au passé : ils avaient à converser d'un sujet, manifestement, puisque Ghetis quémandait son aide. Lorsqu'il en sut davantage, l'ancien capitaine corsaire soupira, à demi-exaspéré. Les choses bougeaient beaucoup trop, ces derniers temps, et il lui semblait que les hostilités se faisaient de plus en plus fréquentes et de plus en plus sanglantes. La destruction de Powder Island... C'était une île de West Blue. Le Fenice connaissait cet océan, mais il n'y avait plus mis les pieds depuis des années. Toutefois, apprendre la destruction d'une île phare de cette mer l'attristait grandement, envers et contre tout : il s'agissait de la vie de civils, et l'Archer le connaissait suffisamment pour savoir qu'en la matière, le forban à la tête des Tengoku no Seigi était aussi fiable qu'un gradé du Gouvernement Mondial.



Kernoza et les autres étaient de puissants combattants doublés de cœurs vaillants : ils allaient pouvoir fournir une aide considérable aux envoyés du Gouvernement Mondial, qui risquaient d'avoir besoin de toutes les paires de bras disponibles afin de calmer la situation. Bien sûr, le Phoenix aurait été ravi de se rendre sur Powder Island en personne mais il avait la quasi certitude que cela aurait plutôt desservi la quiétude ambiante : en apprenant sa présence, Marineford se serait sentie obligée de dépêcher un amiral sur place et l'île ravagée aurait fini en gigantesque champ de bataille où les corps se seraient effondrés par dizaines... Mieux valait éviter de causer davantage de marasme et de trouble. De surcroît, il était parti pour rejoindre l'île des Hommes-Poissons dans les plus brefs délais et le Nouveau Monde, également, lui tendait les bras. S'il passait sa vie à courir après les injustices sur les Seas Blues, il ne parviendrait jamais à asseoir son autorité en tant qu'Empereur...

Si le Phoenix ricana à la suite de sa réponse légère, il n'en repensa pas sombrement à sa rencontre particulièrement musclée avec le directeur d'Impel Down. L'aura qui émanait de ce dernier avait bien failli le pousser à bout à deux reprises : la première fois alors qu'il revêtait encore son étiquette de capitaine corsaire et qu'il était allé libérer Elisabeth, la seconde alors qu'il avait été tâché de le retenir pour permettre à Erwin d'évacuer les prisonniers du sixième étage. En tout cas, il reconnaissait bien volontiers la valeur de Satan et ses capacités indéniables : il méritait son grade et en assumait les responsabilités avec un panache rare... Si tous les agents du Gouvernement Mondial étaient aussi redoutables que lui, les criminels n'incarneraient jamais de menace véritable du point de vue des civils !
En apprenant, par la suite, que Jaya était une île qui semblait importer à Ghetis, Nakata acquiesça mollement et machinalement, d'un geste positif de la tête. Il semblait y être attaché et cela, le Phoenix pouvait le comprendre... D'autant plus s'il y avait installé un autel en souvenir d'un être cher. Tout comme il n'aurait jamais toléré qu'on s'en prenne au cimetière de Graou, le zoan mythique allait tenter de faire de son mieux pour empêcher que la tombe érigée en l'honneur de Noctis ne soit jamais souillée. Restait les Decimas, enfin : un sujet prenant, sur lequel le capitaine pirate aurait pu s'attarder des jours durant, mais qu'il tarda de résumer en quelques mots, non sans un sourire brillant et même radieux.



D'un point de vue externe, le Phoenix avait bien conscience du fait qu'il n'était, à côté du Monarque, ni plus ni moins qu'un pirate certes redoutable, mais néanmoins négligeable. Il était encore un jeune homme certes fringant et compétent, mais dont la formation manquait singulièrement de réputation et de renommée. Mis-à-part Kyoshiro, la célébrité de Tengoku no Seigi avait été bâtie à partir de la sienne, et complétée par les noms d'Hato, de Méliandre ou d'Holly, aujourd'hui disparus. Centes jouissait d'une médiatisation largement supérieure... Pourtant, il aimait voir le Monarque comme une espèce de rival : après tout, ils avaient déjà eu l'occasion à de maintes reprises de s'affronter, lui et les sbires du Roi Decima... Et jusqu'à présent, les victoires s'étaient accumulées dans son camp. De quoi rappeler au monde entier qu'il n'était pas nécessaire de disposer d'une armée dantesque pour triompher de ses ennemis... Mais, qu'a contrario, un brin d'audace et d'assurance suffisait parfois à réaliser des miracles.



Car il n'allait pas pouvoir s'occuper personnellement des exactions sordides commises à travers le monde, comme celles perpétrées à Water Seven par Taka Sayouri et Ren Tao, le Phoenix espérait au moins que la Marine saurait prendre les choses en main et venger l'affront dont les innocents venaient encore une fois d'être les malheureuses victimes. C'était probablement là son plus grand regret, en fin de compte : en se rendant sur le Nouveau Monde, il n'allait plus pouvoir s'occuper de combattre les injustices avec la même ardeur que naguère... Cela risquait de lui changer. Il savait pourtant pertinemment qu'il n'était pas nécessaire à la paix et à l'ordre : le Gouvernement Mondial avait maintenu son hégémonie pendant près de huit siècles avant qu'il ne voit le jour. Assurer qu'il était indispensable, cela aurait été souffrir d'un orgueil terriblement démesuré...

En entendant les provocations de Ghetis au sujet de Satan, le Phoenix se contenta de lever le regard au plafond, non sans amusement, mimant une relative lassitude. Il ne répondit pas, toutefois, conservant ses pensées pour lui. Le Directeur d'Impel Down avait été un adversaire formidable, mais plus que ses compétences martiales, c'était l'impact psychologique de son fruit du démon qui avait décontenancé Nakata et qui l'avait mis à mal, l'espace de leur prompte et brève joute. Sur le plan physique, le blondinet était quasiment convaincu d'avoir l'ascendant : force était d'admettre que son propre mythique lui fournissait une avance considérable en la matière, et que rares étaient les malédictions plus utiles et plus fructueuses, en lutte âpre et musclée... Toutefois, l'amusement du forban sembla se tarir lorsque le nom de Kokuwo Makui fut évoqué. Son visage s'assombrit quelque peu tandis que le Fenice entendait la confirmation orale de ce qu'il avait déjà pu lire dans les journaux gouvernementaux et officiels. Le meurtrier d'Hato avait donc bel et bien survécu, des années durant, cloîtré dans son quartier général en attendant de faire à nouveau des siennes... Le renégat Makui avait de la chance, en fin de compte. Si le vice-amiral n'avait pas été en mesure de le terrasser, l'ancien capitaine corsaire aurait probablement souhaité s'en charger... Et il aurait sûrement fait en sorte de le faire souffrir aussi violemment que possible.



En fin de compte, par la faute du Kokuwo, Ghetis et lui avaient tous les deux perdus un frère. Noctis et Hato avaient été tués lors des premiers grands jeux... Justice venait enfin de leur être apportée, des années après. Un léger soupir s'échappa des lèvres entrouvertes du musicien tandis que les paroles suivants du vice-amiral franchissaient le pavillon de ses oreilles. Alors comme ça, l'Archer prévoyait de s'en prendre à nouveau aux Decimas, à l'avenir ? Manifestement, une information semblait toutefois lui avoir échappé... Avec un léger froncement de sourcils, l'ex capitaine corsaire ne tarda guère à le corriger, songeant qu'il valait mieux lui octroyer les informations maigres qu'il avait en sa possession tant qu'il en avait l'opportunité : entre la Marine et les Decimas, il avait choisi son favori depuis belle lurette et sa trahison passée n'y changeait absolument rien.



C'était une information capitale que le Phoenix avait rapportée à Chairoka dès qu'il l'avait pu, à la suite de cette bataille fiévreuse et périlleuse. Et pour le coup, William Lancaster était un ennemi des plus intrigants... Le blondinet avait peine à croire qu'une personne intelligente et capable de réflexion accepte de s'allier à un homme du calibre de Centes Decima, pour qui la mort de la liberté était une nécessité incontournable. De surcroît, l'ancien amiral était sans contestation possible l'un des meilleurs ennemis avec lesquels il avait pu croiser le fer, a minima au niveau de Groogal Madoka et de Madman Albrecht, voire légèrement au-dessus. C'était encore l'un des rares combattants de ce Monde à pouvoir l'inquiéter en combat singulier, et cela en disait long sur ses facultés démentielles...



William Lancaster réitérerait-il la même erreur face à Ghetis Archer si leur affrontement avait lieu et que le vice-amiral parvenait à lui donner du fil à retordre ? C'était loin d'être chose certaine et indubitable, en vérité. L'ancien amiral n'était pas sot, et avait probablement tiré quelques leçons de leur échauffourée sur l'île hivernale... Il ne négligerait certainement plus jamais la sécurité de ses pairs et de ses supérieurs, pas au dépend de sa propre survie...

La rage de l'Archer au sujet d'Akainu interloqua le Phoenix qui, pourtant, ne pipa mot et se contenta de l'écouter sans sourciller. Il comprenait sans peine sa frustration, et il espérait simplement qu'elle serait un moteur plus qu'un boulet : s'il parvenait à en tirer profit afin de se rendre plus redoutable, il aurait peut-être une chance, à terme, de surclasser cet ancien amiral... Dans le cas contraire, s'il se laissait obscurcir par la haine vindicative qui le troublait actuellement, son ambition était d'ores et déjà promise à un échec des plus sanglants. Tout cela, toutefois, lui appartenait : non pas que Nakata était neutre dans l'affaire, non pas qu'il n'ait à éprouver ni gêne ni tristesse à l'idée de voir Ghetis échouer... Mais les deux hommes étaient, l'un comme l'autre, de fiers combattants. Il aurait été indélicat et même injurieux de s'immiscer plus ardemment dans cette querelle, ne fut-ce qu'afin d'offrir davantage de conseils au gouvernemental : il lui faisait confiance pour mener cette bataille-ci à bien, et il n'avait pas à remettre sa force ou son intelligence en question, quelle qu'en soit la raison.
En tout cas, s'il y avait bien une chose à propos de laquelle le vice-amiral semblait avoir raison, c'était qu'il était grand temps pour des figures de la nouvelle ère telles qu'eux deux d'apprendre à exceller dans leurs domaines de prédilection actuels. Le blondinet était certain d'être proche du paroxysme de son potentiel, de n'avoir jamais été aussi puissant qu'en cet instant précis, mais il n'était toujours pas convaincu de pouvoir tenir tête à un Empereur de manière tout-à-fait sereine, en affrontement singulier. Il devait trouver autre chose afin de parfaire ses compétences, de nouvelles idées à exploiter, de nouvelles techniques de combats, de nouvelles arcanes afin de seconder ses capacités et de les appuyer pertinemment...



En attendant, c'était vers Powder Island qu'ils devaient diriger leurs efforts... Kernoza et les autres allaient probablement pouvoir s'y dégourdir quelque peu. Restait qu'il valait mieux tenir les drapeaux de Tengoku no Seigi en dehors de cette petite rixe : Ghetis et ses subordonnés seraient bien assez avisés pour comprendre que ces pirates étaient affiliés à Nakata sans avoir à observer son emblème claquant au gré des vents et, d'un autre côté, la Marine de West Blue risquait de s'inquiéter puissamment si elle voyait débarquer des forbans affiliés au Phoenix dans des terres qui venaient manifestement tout juste de subir une attaque de grande envergure. Mieux valait donc miser sur l'anonymat... C'était suspect, mais tant qu'ils recevaient de l'aide désintéressée, le agents du Gouvernement Mondial ne poseraient sans nul doute pas beaucoup de questions.

L'aide de Ghetis promettait d'être discrète et timide, mais l'ancien Schichibukai n'en demandait pas davantage : il savait pertinemment que bien des cadres du Gouvernement Mondial devaient désormais l'abhorrer, et souhaiter sa disparition funeste ardemment. Ne fut-ce que Satan, qui devait lui en vouloir puissamment, et légitimement... Le Décret Decima, en tout cas, rendait leur collaboration officiellement impossible. Le vice-amiral allait donc devoir ruser, ou se montrer simplement très délicat et très minutieux avant de lui glisser des informations qui risquaient de tenir de l'ordre du confidentiel. En attendant, leur entraide demeurait gagnante pour tous les partis, aussi bien pour la Marine et l'AOI qui ne pouvaient que jubiler en voyant deux de leurs ennemis s'affronter mortellement que pour le blondinet qui, de son côté, n'en finissait plus de souhaiter la disparition imminente de Centes Decima et de ses sbires qui, à mesure que le temps passait, obtenaient d'autres occasions de tenter de lui nuire. Le Monarque était certainement rancunier, et comment lui en tenir rigueur, à ce sujet ? Le Fenice avait, après tout, causé la mort de l'un de ses amis directement... Même si cela n'avait finalement été ni plus ni moins que de la légitime défense.



Le voyage promettait d'être bon... Du moins Nakata l'espérait-il âprement. Le Nouveau Monde allait se dévoiler à eux, petit-à-petit : cette sensation perpétuelle de découverte l'avait déserté depuis belle lurette. La première partie de Grand Line conservait bien sûr des terres que le Phoenix n'avait jamais foulé, et c'était normal, compte tenu de sa vastité immémoriale... Certains navigateurs l'écumaient de leur naissance jusqu'à leur mort sans jamais en voir le bout. Néanmoins, toutes les escales que le mythique avait pu réaliser ces derniers temps lui avaient semblé plus fade. Sans doute les terres qu'il découvrirait par-delà Red Line se montreraient plus indomptables et plus féeriques que jamais... Du moins l'espérait-il. L'aventure était bien insipide, lorsqu'elle n'était pas bercée d'une exaltation euphorique...