Ishtar possédait une assurance inouïe à tes yeux. Tendre la main vers une créature inconnue immense et faite de pierre, comme si c’était un animal domestique, et qui plus est obtenir une réaction curieuse, et non agressive ?! L’ange paraissait plutôt bénie que maudite, à tes yeux, qui avaient fini par comprendre que cette créature n’était pas le centre de l’univers. Tu avais toujours extrêmement peur, mais les actions d’Ishtar et les réactions de la bête t’avaient permis de sortir de cet état de “stase”.

Ishtar t’adressa quelques mots après avoir fait de même avec le golem. Ces quelques mots te laissèrent sceptique.

“Oui, bah se calmer, c’est plus facile à dire qu’à faire, hein… Je voudrais bien, mais l’ambiance est tellement oppressante…”

Tu avais pas mal de difficultés à déceler une manière efficace de te calmer. Première étape : lâcher Mekatana et remettre ta main droite le long de ton corps. Voilà. Un signe menaçant en moins. Ensuite, détends ton bras gauche. Celui qui tient la lanterne. Parfait. Elle tremblera moins vu que tu tétanisera moins. Ah, c’est déjà beaucoup mieux ! Maintenant, ferme les yeux, et imagine un autre endroit, celui que tu veux.

Tu fermas les yeux, et ralentis ta respiration. Ton imagination divagua d’elle-même vers un endroit empli de verdure. Tu pensais reconnaître une partie de la forêt de Kawaii Kazan Shima que tu apprécies beaucoup. La chaleur ambiante réchauffait ton cœur, et l’air marin emplissait tes poumons. Tu pris un bon gros bol d’air frais, avant de prendre la route sur un chemin de terre.

CA et là, des animaux aux couleurs chatoyantes montraient le bout de leur museau, comme un petit coucou d’un vieil ami. Des oiseaux d’un orange vif se posaient sur les branches les plus dégagées, gazouillant gaiement à ton passage, formant comme une haie en ton honneur. Des caméléons et autres lézards verts étaient visibles, là, accrochés à la végétation ambiante, comme des spectateurs silencieux de la quête d’une vie. D’autres animaux étranges venaient observer la scène avant de finalement repartir, t’accompagnant un peu dans ton voyage vers une destination inconnue.

Toute cette scène t’avais fait comme oublier la réalité. Tu y revins progressivement, découvrant la scène d’un œil nouveau. La créature était étrange, même peut-être amusante, vue sous un autre angle. Sa grotesque démarche lente et lourde lui donnait un air pachydermique assez étrange. Ce que tu qualifierais à présent de golem ne semblait pas le moins du monde agressif. Ou du moins, pas à tes yeux, maintenant que tu avais retrouvé un calme complet.

Tu décida même de risquer un pas pour te mettre à la hauteur de la bête, attendant une réaction soit d’elle, soit de ton amie.

La rencontre était pour le moins étrange. Tu n’arrivais toujours pas à comprendre comment un être comme celui-ci pouvait exister… De quoi était-il fait, en fait ? De pierre ? De magma refroidit ? Comment était-il en vie ? Quel était le mécanisme qui lui donnait les atouts d’un être vivant ? Tu ne comprenais absolument pas ce que tu voyais devant toi. Tu balayas bien vite toutes ces incompréhensions, les mettant sur le compte de l’inconnu.

Tu ne connaissais rien de lui, et lui de toi. Et vous n’allez probablement vous voir qu’une fois dans votre vie, à moins que tu ne décide de revenir ici régulièrement, ce dont tu doutais fort. Tu n’avais pas besoin que des pensées parasites viennent troubler cet instant hors du temps. Alors que la bête approchait sa tête de tes doigts, tu lui caressa ce qui lui servait de museau, appréciant l’étrange et douce chaleur de la roche. Tu ne remarquas cependant pas le sourire d’Ishtar, qui traduisait bien la beauté de ce moment.

Cependant, une question vint jouer les troubles-fêtes : la remontée. L’heure tournait. Il serait peut-être bien de remonter à la surface, avec les humanoïdes bipèdes faits de chaire et de sang que tu côtoyais tous les jours, ainsi que de laisser les mousses dévoreuse de vie ainsi que les animaux rocheux sous terre. Cela te dérangeais, car bien que l’endroit te paraissais oppressant et effrayant, derrière ces sentiments prédominants se cachait le goût de l’inconnu et de l’exploration, qui ne t’avait jamais lâché. Mais, tu ne souhaitais pas le moins d du monde inquiéter tes grands-parents. Tu adressas donc la parole à Ishtar d’une voix douce et à peine audible, encore prise dans ce moment de rencontre entre deux mondes distincts.

- Il va falloir qu’on remonte, je pense, l’heure tourne...

Toute chose a une fin. Le bonheur aussi. Ce caractère éphémère est sans doute le cœur de beaucoup de choses. Tant de choses sont précieuses parce qu’éphémères : la beauté. La nature. La vie. L’amour. Le bonheur. Tu avais passé un superbe moment avec Ishtar. Les souvenirs de la journée resteront très certainement gravés à jamais dans ta mémoire. Tu avais découvert l’obscurité, l’oppression des ténèbres, mais aussi de la flore étrange, de la faune aux airs magiques, et une surprenante nouvelle amie. Tu étais très contente de ta journée, et c’était le principal.

En guise d’au revoir, tu posa ta main sur ce qui semblait être l’équivalent du front chez ce golem rocheux. Est-ce qu’on pouvait réellement considérer cette partie, au dessus des petits trous d’où s’échappait la fumée, comme un front ? Tu n’en savais pas grand chose, en soit, et tu t’en fichais pas mal. Au toucher, ce qui était certainement de la pierre était chaud. Très chaud. Pas au point de te brûler, mais ta main recevait une chaleur particulièrement élevée, certainement responsable de la vapeur recrachée par la créature. Deux hypothèses : soit cette chaleur est la source de la vapeur, soit elle est la conséquence d’autre chose, auquel cas la source reste inconnue. Quoi qu’il en soit, la recherche n’étant pas ton domaine, tu écartas bien vite ces interrogations futiles de ton esprit pour te recentrer sur l’essentiel.

- Au revoir. Prononças-tu à destination de la créature, dans un chuchotement, comme si vous n’étiez que tous les deux.

Les au revoir avec l’étrange être étaient faits. A présent, il était temps de partir, et tu indiquas à l’intéressée que tu étais prête, et le voyage retour pu commencer. Rebroussant chemin à pied à travers ce qui était certainement une ancienne cheminée secondaire du volcan, tu pris soin d’éviter cette mousse verte que vous aviez vu à l’arrivée. La lanterne à la main, tu avançais dans le noir, perçant les ténèbres comme un voile imperceptible. Bientôt, l’air extérieur te parvint, te caressant délicatement le visage. Après quelques mètres, vous étiez dehors.

Le vent provenant du sommet du cratère dansait dans tes cheveux de feu, épousant au passage les formes de ton visage adolescent. Tu inspiras profondément, comme pour sentir au plus profond de toi-même le sentiment que te procure la nature extérieure. Tes yeux fermées, tu pris le temps d’écouter chaque bruit que tes oreilles percevaient : le bruissement lointain de la ville s’entendant sous tes pieds, dans l’immense chambre magmatique principale du volcan. Les gazouillis des oiseaux exotiques volant au dessus du volcan. Le bruit du vent s’engouffrant dans la cheminée du volcan. Tout cela t’arracha un sourire. Tu étais revenue à la surface, et cela te plaisait autant qu’à l’accoutumée.

Cependant, le voyage devait continuer. La maudite se transforma et te prit sur son dos afin de te ramener jusqu’à chez toi. La sensation d’extase que tu avais ressenti tout à l’heure te frappa de plein de fouet, sans prévenir, alors que tu l’avais presque oubliée. Le vent dans tes cheveux, le cœur battant dans ta poitrine, cette petite sensation de flottement lors d’une descente, les oiseaux entourant les deux filles… Tout un tas de choses que tu avais oublié au profit de l’obscurité.

Finalement, la Bilcane se posa non loin de la maison. Tu descendis, laissant ta compagnonne reprendre sa forme humaine. Tu t’étira avant de gambader joyeusement jusqu’à chez toi, Ishtar sur tes talons. Ishtar prit la parole, et la tu l’écoutas attentivement, avant de répondre.

- C’était génial ! Très éprouvant aussi mentalement, mais c’était cool, avec un peu de recul. Merci beaucoup !

Alors que vous arriviez devant la porte, celle-ci s’ouvrit, découvrant Adhoc, ton grand-père.

- Papy ! T’écrias-tu joyeusement, avant de sauter au cou de ton parent pour l’étreindre.

L’ancien réceptionna sa petite-fille avec joie, mais une légère difficulté.

- Oooh là. Ca va, Tsusha ? Elle était bien, ta balade ?

Tu recula, mettant fin au câlin, avant de répondre.

- C’était trop cool ! J’ai été dans le seul endroit de l’île que je ne connaissais pas : une grotte dont l’entrée est tout en haut, sur la paroi de la cheminée du volcan, très proche de la surface du cratère. C’était effrayant, mais sympathique.

A mesure que tu parlais, ton grand-père hochais, la tête, attentif à tes moindres dires, faits et gestes. C’est ensuite qu’il répondit.

- Et bien, et bien, cela promet d’être riche en histoires, je crois. Enfin bon. Il s’adressa à Ishtar. Merci beaucoup d’avoir veillé sur ma petite ! Le petit tour d’horizon vous a plu ? L’île est splendide, vous avez dû vous régaler les yeux, non ? Aaah, je pose trop de questions, moi, je vais vous retarder. N’hésitez pas à revenir nous voir, si le cœur vous en dit !

- Ouiii ! Tu peux revenir quand tu veux ! Ajoutas-tu.

Le moment de se séparer arrivait à grands-pas, et c’est non sans un pincement au cœur que tu l'attendais.

Ishtar semblait avoir des choses à ajouter avant que vous vous sépariez pour un bon moment. En effet, elle répondit à Adhoc. L’inviter à manger avec vous le temps de son séjour ? Voilà une idée qui te remplissais de joie. Tu sautillas sur place en entendant ça, lançant à ton grand père un regard suppliant. Ce dernier n’eut même pas réellement besoin de le voir pour accepter : de la compagnie nouvelle l’intéressait aussi. Il faut dire que la retraite est ennuyante, pour le vieux menuisier, qui s’amusait toujours dans son atelier, à confectionner tout ce qu’on lui demandait et qui lui passait par la tête.

- Bien sur, pas de problèmes ! Le seul soucis que je vois serait votre taille : vous allez devoir vous courber, mais ça ira, je crois. La maison est assez haute de plafond de manière générale.

Le vieil homme te jeta un regard attendri, celui d’un père observant sa progéniture grandissante. C’est alors qu’il reprit la parole, pour ta plus grande surprise.

- Pour Tsusha, c’est elle qui verra. Elle sait s’occuper et se débrouiller toute seule, après tout ! Je ne m’inquiète pas pour elle.

Un sourire de bonheur pur forçait une apparition sur ton visage. Tu ne le remarquais ni ne le contrôlais, non : tu étais bien trop occupée avec Ishtar ainsi qu’avec le fait qu’elle restera un peu plus. Pour ne rien enlever à ce moment joyeux, l’ange s’approcha et s’agenouilla, posant une main bienveillante sur ta crinière de feu. Fermant les yeux, tu apprécias chaque instant de ce contact presque maternel. Des mots percèrent ce voile sentimental et résonnèrent dans ta tête, comme des paroles mystiques. “Merci beaucoup pour la journée. Il faut profité de toutes ces aventures que tu peux vivre.” Oh, tu comptais bien le faire. Vivre au fil du frisson de l’aventure, voilà ce que tu voulais réellement faire.

Tu ne pus répondre que dans un murmure, avec un ton transportant tout ton ressenti de la journée : un subtile mélange d’une grosse cuillère de douce allégresse, d’une once d’une peur acide, d’un frisson sucré d’excitation ainsi que d’une pincée d’une curiosité épicée.

- Merci beaucoup…

Ouvrant les yeux, tu te servis du fait que la Bilcane s’était agenouillée pour lui faire un énorme câlin, comme une petite fille câlinerait un gros nounours en peluche de trois mètres de haut. Le même plat émotionnel transparut, et tu espérais faire rendre heureuse ta nouvelle amie.

Finalement, vous vous sépariez. Un geste de la main plus tard, Ishtar était partie. Enfin, jusqu’à ce qu’elle revienne. La saluant en retour, tu attendis de la voir disparaître au loin, avant de lâcher un long soupir de satisfaction. Laissant tes émotions revenir à plat en attendant là, sur place, pendant plusieurs minutes, tu finis par rentrer chez toi, probablement pour attendre le retour de ta nouvelle amie… ou pour préparer ta prochain exploration.