Le phare de Grand Line l'attendait.

Ike avait beaucoup bourlingué depuis sa jeune enfance, mais jamais - ô grand jamais - il n'avait poussé son exploration des mers aussi loin. Encore quelques encablures et, bientôt, ce serait le point le plus lointain de chez lui qu'il aurait jamais atteint. Bientôt, il se lancerait sur la mer de tous les périls. Bientôt... il commencerait sa première quête de super héros.


- Tara... murmura-t-il pour lui-même. Attends juste encore un peu, je reviendrai vite et, alors, tu n'auras plus à te cacher.


Le vent fouettait les visages de Tik et Tak qui, pour une fois, avaient compris l'aspect solennel de ce moment historique pour leur maitre. Pour la première fois de sa vie, il allait réellement et totalement perdre le contrôle sur les événements à suivre. L'excitation le gagnait, à mesure qu'il se rapprochait de cet incroyable courant ascendant qui semblait fendre la gigantesque Red Line en deux ! Le phénomène avait estomaqué le jeune pitre, l'avait laissé sans voix pour admirer les prouesses surnaturelles de cet océan qu'il devinait à peine. Le monde était décidément immense.

La Ike-O-Mobil' voguait sur les flots sans faillir, poussée par les mains approximatives du jeune héros en herbe. Ike le savait, affronter la mer de tous les périls sans un navigateur chevronné était sans aucun doute une grossière une erreur... mais il ne pouvait pas revenir sur sa parole. Il l'avait promis sur son honneur de super héros et, pour rien au monde, il n'aurait reculé pour si peu ! Il avait pourtant cherché une bonne âme pour l'accompagner, en vain. Personne n'était aussi fou que lui, pas assez tout du moins pour le suivre vers une mort certaine, selon les mots qu'il avait inlassablement entendus.


- Un héros brave le danger et lui rit au nez ! sourit Ike en débutant son ascension fulgurante.


Le navire de pèche customisé vibra, sembla peiner à maintenir le cap sous les ordres de son capitaine d'infortune. Mais il avançait. Soudain, Ike sembla se stabiliser au milieu du flux et retrouver un brin de sérénité, lui permettant d'adresser un sourire fier à ses deux Kung Fu Dugongs. Ils gravirent tous les trois cette étape décisive, ce tournant émouvant dans leurs vies jusqu'à présent déjà bien remplies. Enfin, il lui sembla arriver tout en haut de ce prodige de mère nature ! Son bateau s'envola, en même temps que son cœur sembla battre la chamade. Les rayons du soleil se reflétèrent sur les gerbes d'eau glacée, laissant naître devant les yeux du chasseur de primes un arc en ciel miniature ! Le souffle du héros en fut coupé un bref instant ! Déjà, le premier miracle pointait le bout de son nez !

Le navire retomba avec fracas sur le courant marin qui, inexorablement, l'emmena vers des eaux inconnues ! Des frissons parcoururent tout l'épiderme de Wade, tandis que Wilson se tenait paré à affronter toutes les situations ! Chuu, quant à elle, se tint coite, admirant ce spectacle inoubliable de ses yeux qui pétillaient de milles feu !

Le plus grand océan du monde.

Ils y étaient.

Grand Line s'étendait sous leurs yeux, mer de tous les périls et de toutes les légendes ! Ike était prêt à tenter d'y imprimer sa marque, lui aussi, en sauvant la veuve et l'orphelin, en aidant à maintenir le cap vers un monde plus juste et beau. Il se l'était promis, des années auparavant, qu'il serait un jour lui aussi un héros. Un homme l'avait inspiré dès son plus jeune âge. Un autre lui avait rappelé plus récemment cette aspiration profonde, alors qu'il n'était encore qu'un inconnu sans pouvoir ni talent. En cet instant magique, le chasseur de prime se demanda où était Kyoshiro et ce qu'il faisait à ce moment précis ? Chassant ces pensées de son esprit, il se reconcentra sur la situation présente.

Une mer immense s'étalait devant lui, miroitant les reflets du soleil tel un océan de diamants. Alors que le courant descendant l'amenait à la rencontre de cette merveille, il aperçut en contrebas deux énormes battisses : les deux phares qui marquaient l'entrée de Grand Line ! Il n'avait quasiment jamais entendu de rumeurs sur eux mais, déjà, il frétillait d'impatience à l'idée de découvrir qui habitait ces lieux et guidait les aventuriers au début de leur périple ! Quelques instants plus tard, son navire rejoint le niveau de la mer et il se dirigea bon gré ma gré en direction de sa gauche pour accoster de son mieux. À peine était il amarré solidement et avait-il jeté l'ancre qu'il entendit un déclic derrière lui.


- Eh, ducon. J'ai besoin de ton bateau, alors tu vas gentiment t'écarter et me le laisser...


Le chasseur de primes soupira, avant de se retourner négligemment, une main en train de se gratter l'arrière du crane. D'un air blasé, il répondit :


- Tu veux vraiment te gâcher ta journée, mon gars ? Non parce que, déjà, t'es en train de me gâcher la mienne alors...
- Ta gueule ! s'écria l'homme en face de lui en s'approchant.


D'un coup d'oeil expert, Wilson le détailla des pieds à la tête. Grand, élancé, brun aux yeux noirs, il possédait un corps rachitique. Ses cheveux sales, la poussière sur ses vêtements et son air nerveux, malgré son arme à feu braquée sur lui, finirent de convaincre le chasseur de primes :


- Tu crèves la dalle, pas vrai ?
- De... Mais t'es complètement con ou quoi ?! J'ai un flingue et...


En une fraction de seconde, le guignol en costume rouge qu'il pointait de son arme disparut. L'homme armé n'eut pas le temps de se demander pourquoi, ni comment, qu'il sentit un canon de pistolet collé derrière son crane.


- Bang. T'es mort.
- Enfoiré de...


L'agresseur tenta de se retourner, mais Wilson lui attrapa le poignet et le lui tordit, laissant choir la vieille pétoire qu'il utilisait. Le pistolero crasseux recula en se tenant son poignet endolori, l'air apeuré.


- Relax, j'vais pas te tuer. Ça fait combien de temps que t'es coincé ici ?


Tout d'abord hésitant, l'homme finit par cracher :


- Trois semaines. Ça fait trois putain de semaines que mon équipage m'a abandonné ici, ces chiens galeux !
- Pirates ?
- Chasseur de primes ! Me prends pas pour de la racaille.
- Seems legit. Rassure moi, t'es pas vegan ?
- Que... hein ?
- Nan parce que je sais jamais comment faire pour pas me faire engueuler quand j'en croise un. Faut dire que se balader en costume tout en cuir, c'est comme si je me trimbalais avec une énorme pancarte signée : « Haissez moi, bande de bouffeurs de graines !», tu vois le genre ?
- Je... non.


Ike se rendit soudain compte qu'il était allé un peu trop loin. À la base, il voulait juste savoir s'il devait éviter certains aliments lorsqu'il lui proposerait à manger ! Aussi rectifia-t-il le tir :


- Ouais, bref. Moi c'est Ike, super héros botteur de miches pour le bien. Et toi ?
- Stan, finit par lâcher l'homme d'un air craintif.
- Dis moi, Stan, pourquoi on t'a lâché sur cette ile ?
- Car j'ai regardé la calvitie du boss et qu'il se met dans des états pas possibles lorsqu'il croit qu'on a remarqué qu'il avait une perruque. Alors il m'a dit que c'était pas parce que j'étais un des navigateurs de son équipage que je pouvais me permettre de lui manquer de respect ! Alors que j'ai juste regardé sa putain de perruque car elle s'était soulevée avec un coup de vent ! Et tu sais quoi ? Mes camarades avec qui je bosse depuis des années, avec qui j'ai partagé mes aventures, mes peines et mes victoires... ces salauds m'ont largué sans rien dire ici, avec juste de quoi tenir quelques jours ! Ils m'ont laissé ici pour crever, putain !
- T'es navigateur ? releva Wade en un clin d'oeil.
- Ouais... mais c'est vraiment que ça que tu retiens, mec ?
- Alors c'est ton jour de chance !


L'air dubitatif de son vis-à-vis le laissa songeur, mais l'énergumène de première s'expliqua rapidement :


- Je cherche un pote pour m'aider à...
- Laisse tomber. Je veux juste retrouver ces connard, les faire payer, et retourner chez moi.
- Ah... donc tu viendras pas m'aider ?
- Non.
- Même si je t'offre un steak ?
- N...


Comme un gargouillis gênant s'éleva de l'estomac de son interlocuteur, le chasseur de primes fut pris de pitié un bref instant. Après un soupir de circonstance, il retourna sur son bateau en invitant cet homme dépenaillé à le rejoindre. En deux temps trois mouvements, il prépara un en-cas qui, s'il n'avait rien d'exceptionnel, tenait fortement au corps ! Un sandwich au bacon, avec une petite sauce tomate piquante en bouteille, quelques tranches de laitue et des pommes de terre sautées pour accompagner le tout. Un super héros, ça devait savoir faire la cuisine ! Car qui pouvait combattre les vilains le ventre vide ? Certainenant pas lui ! Aussi, à défaut d'avoir trouvé un navigateur, Ike avait été assez prévoyant pour acheter suffisamment de vivres pour tenir des semaines entières ! Son frigo était d'ailleurs plein à craquer, et il en allait de même pour ses placards et sa table de chevet, garnie de tablettes de chocolat. Après un frugal repas, les deux hommes semblèrent se détendre et converser plus simplement.


- Ils allaient où tes anciens partenaires ?
- Alabasta.
- Connait pas.
- C'est sur la voie numéro 3 de Grand Line ? Juste après l'archipel de Boyn ?
- Aaaaaaah ! fit Ike comme si ça lui revenait tout à coup. Connait pas.


Et il se cura l'oreille, à travers son costume, avant de reprendre d'une voix désaffectée :


- Sinon, c'est quoi cette histoire de voie ?
- « Cette histoire de voie » ? répéta Stan, l'air ahuris. Attends... t'es pas au courant ?
- Nope.
- Tu sais naviguer au moins ?
- Nope.
- Mais... tu veux crever, mec ?!
- Bah non, pourquoi ?


Un corbeau sembla voleter en croassant, au dessus de la tête des hommes, avant que Stan ne se frappe le front avec sa main. Il soupira à son tour, avant de reprendre d'une voix dépitée :


- Ok. Voilà ce que je te propose. Tu me files à bouffer et je te conduis à Alabasta.
- Ok. Sinon, tu connaîtrais pas un moyen de transformer un homme en femme ? Mais pour de vrai, hein ! Pas juste des pommes dans le soutif', une robe et du maquillage !
- C'EST SERIEUX GRAND LINE, PUTAIN !
- Apparemment non, tu connais pas. Bon, bah on y va ? Je te fais faire le tour de l'Ike-O-Mobil ?
- Putain, qu'est ce que je fous là... se lamenta Stan en aparté.


Mais, après tout, c'était sa meilleure chance de ne pas crever de faim. Les deux gardiens des phares n'étaient ni très présents, ni très hospitaliers à vrai dire. Et s'il voulait se venger, il n'avait d'autre choix que celui d'aider cet hurluberlu avant de le lourder à Alabasta... En espérant que son rafiot à deux balles ne tienne jusque là ! Mais la vengeance appelant Stan aussi surement que le miel le faisait avec une abeille, il finit par se lever et suivre le propriétaire.


« Bientot... », se disait-il mentalement. « Attendez juste un peu, bande de salopards, j'vais vous retrouver et vous faire la peau pour m'avoir laissé pourrir ici ! ».


Et c'est ainsi que la carrière de Shigo Ike débuta sur Grand Line : fidèle à lui-même !