- Puissance, grandeur, intégrité.
- C’est des préceptes… papa.

Kaeru fit virevolter quelques pommes dans ses mains. Elle apprenait à jongler ces derniers temps pour faire progresser sa motricité fine, et réussir quelques opérations à merveilles. Son problème dans son métier, en plus de devoir être une chirurgienne hors pair, c’était d’obtenir une certaine dextérité. Or, si on lui reprochait parfois un travail de boucher auquel elle ne portait pas attention, elle perdait parfois des patients à cause d’erreurs de jugement. Sur « Rockfort », elle avait eu le temps de créer une demi-douzaine de techniques différentes pour contrer les erreurs qu’elle faisait dans le passé. C’était bien sûr sans compter sur l’intervention de ces deux marines et de leur escouade. Le Colonel Drago Malfoie, et son acolyte et femme, Pétunia Malfoie, avaient pour mission de maintenir un statut quo avec la marine sur cette île. Cela ne les empêchait pas d’être de putains de racistes.

- Papa. Tu as noté ce que je t’ai dit ?
- Sur la technique de bouchage de l’artère pulmonaire lors des opérations ? Pas encore.

Il semblait n’en avoir rien à faire. C’était bien son père : un commerçant pur et dur qui ne voyait pas la nécessité d’améliorer les connaissances de sa fille en matière de médecine : elle ne serait jamais assez bonne, selon lui, pour atteindre un niveau digne d’intéresser les plus Grands. Or, lui, ce qu’il voulait c’était intéresser les plus grands. Avec un air absent, il cocha quelques cases. Le Colonel et sa lieutenante allaient bientôt devoir revenir sur l’île pour une livraison, et ils avaient promis la dernière fois d’avoir quitté les lieux avant leur retour, même si cela ne leur convenait pas. Au moins, il fallait se cacher le temps de leur…

- Ce sont des abrutis.
- Tu le leur as déjà dit, c’est pour ça qu’on est dans la panade.
- On est « dans la panade » parce qu’ils sont racistes, père.

Elle avait terminé sa phrase sans chercher de réponse, et il le comprit sans aller plus loin. Sa fille disait toujours ce qu’il lui passait par la tête : impossible d’y mettre un filtre quelconque, et il sentait que ce serait toujours comme ça. Il n’allait pas se battre pour une cause perdue d’avance, surtout contre la prunelle de ses yeux. S’il devait admettre perdre régulièrement ses investissements, sa fille était bien la seule chose qui lui permettait de survivre dans ce monde de brutes… Pour le meilleur, et pour le pire. Ils sortirent de leur cachette en début d’après-midi, quand le village était en pleine agitation, et profitaient d’être masqués par la foule pour acheter ce dont ils avaient besoin pour le repas du soir…

Cela aurait été idéal, mais :

1. Ils furent séparés.
2. Kaeru eut la bonne idée de montrer ses doigts palmés, et de déclencher le hurlement d’une femme sur le marché, loin de son père.

Elle regarda la personne en question qui la dévisageait, tandis que son corps tout entier était déformé par une forme de dégoût.

- Dégage de là, poiscaille !

Ses hurlements ne furent pas perdus pour tout le monde puisqu’une petite troupe se forma autour de Kaeru dont le premier réflexe fut de dire :

- Vous allez devenir plus laide si votre visage se fige dans cette expression.

La jeune grenouille tourna sa tête en direction de l’intervenant. Elle avait ignoré la première pierre qui était parvenue à la toucher en pleine tête avant de recevoir une pluie d’injures et de projectiles, tous plus inventifs les uns que les autres. C’était original, certes, mais surtout gênant. Loin d’avoir l’habitude de se trouver sur le chemin des mécréants, elle subissait de fait assez peu de discrimination. D’un air absent, la grenouille se laissa portée par une petite réflexion, douce à l’oreille et pourtant creuse dans son sens. Son regard absent se posa sur la scène tandis qu’elle se demandait finalement ce qu’elle pouvait bien faire ici.

Quand la transformation de l’homme prit fin – elle la regarda à peine – et qu’il lui adressa la parole, Kaeru releva les yeux avec timidité et sourit. Sa bouche s’étira, inhumaine de par sa largeur.

- Dans Tontatta, on n’entend pas le mot « homme », ce sont des monstres pour autant ? Fit elle d’une voix gutturale et un peu nasillarde.

Sa tête se pencha, comme si elle attendait vraiment une réponse alors que cette question était rhétorique. Bien sûr, elle utilisait un biais de pensée particulier et pouvait se douter que l’homme avait utilisé cela pour convaincre le grand public. Elle n’y pensa pas un instant, plus intéressée par sa question initiale tandis que son « Syndrome de l’honnêteté » comme disait son père reprenait le dessus. Alors si elle ne continua pas sur sa pensée, ce ne fut qu’à cause de l’arrivée d’un tiers qui semblait amusé et intéressé de par cette scène improbable : un Zoan et une Femme-Poisson qui parlaient, quelle drôle de duo.

- Mes bons gens…

Kaeru resta silencieuse et tourna la tête pour l’ignorer. Il n’était pas là pour les aider, c’était assez évident. Il voulait juste tirer un profit quelconque, et si son esprit s’en doutait peu, son corps eut naturellement le réflexe de fuir le problème. Un mal pour un bien.

- J’aimerais vous proposer quelque chose.
- Non, répondit la femme-grenouille

Elle se tourna pour se diriger vers le marché mais une main se posa sur son épaule. Si elle ne fit rien, elle se figea néanmoins par agacement. Le gars, là, il n’était pas de bon augure. Et elle remarqua en plus finalement qu’il avait opté pour un regard assez appuyé.

- J’ai des soucis avec la marine. J’aurais besoin que quelqu’un les fasse fuir. Vous seriez pas pour ?
- Je n’veux pas d’ennuis avec la marine, lâcha Kaeru en faisant fi de la main sur son épaule.
- Si vous ne le faîtes pas, je préviendrai les marines de votre présence.

Elle bailla avant de s’éloigner un peu plus. Peut-être que le Zoan accepterait. Tiens, elle ne l’avait pas remercié. Peut-être qu’il fallait le remercier, peut-être qu’il était nécessaire de le faire, à vrai dire c’était même devenu la chose absolue à faire actuellement. Le remercier, lui dire merci, ployer le genou ? Non, elle se contenta de s’approcher et sur son sourire le plus cordial, elle lâcha :

- Merci…