Les esclaves c'était comme les animaux, n'est ce pas ? Alors pourquoi ne pas faire affaire ? C'était en tout cas le raisonnement de Nail, un homme au charisme étonnant, d'autant plus qu'il s'agissait d'un simple humain. Après des mois de voyages en mer, il avait donné à sa vie un tout autre sens en commençant à vendre des monstruosités de toute sorte : ainsi, après un achat d'esclaves auprès de Khain il s'était dit que celui-ci pourrait être un partenaire de crime idéal. Si le vampire aux airs nobles acceptait il pourrait bénéficier de la protection de son camarade pendant sa mission... Et inversement. Ils avaient en effet repéré deux proies de première qualité : un homme-loup qui se baladait sur cette partie de Grand Line avec un loup qui provenait du Nouveau Monde.

Son air desabusé était d'un drôle assez remarquable. Le loup avait depuis un moment compris que les choses n'avaient que rarement été aussi ridicules. Durant la nuit, l'Ookami était parti boire au bar et lorsqu'il était rentré, on lui avait offert subtilement quelques verres pour finalement le detrousser du peu qu'il avait... Y compris ses vêtements. Quand il rentra à sa chaumière, encore totalement torché, il ne put que se gratter la tête et retirer les quelques morceaux de terre qui s'y trouvaient avant d'aller se plonger dans le tonneau derrière la maison, rendant l'eau translucide sale.

- Monsieur est rentré.

La voix de l'aubergiste était devenue familière. Ce lieu ne comptait qu:une petite dizaine de chambres, et elle même habitait sur les lieux. Elle les louait souvent à la semaine et parfois plus encore : un vieux du numéro 5 était resté pendant presque un an. Il y était toujours d'ailleurs et elle se dit qu'elle devrait vérifier son état. Juste par acquis de conscience.

Quand elle quitta l'endroit d'où elle observait l'homme animal qui n'avait pas pris la peine de lui répondre, pensive, elle entendit la cloche sonner. Les oreilles du loup se levèrent tandis que sa tête se tournait vers l'entrée. Effectivement, il devait y avoir un client de présent qui arriverait bientôt pour rester une petite semaine. Un de ses amis avait réservé pour lui apparemment. En tout cas c'était une affaire qui roulait et la gérante se dit avec plaisir qu'elle allait faire carton plein ce soir. Cette pensée egailla son visage.

- Bien le bonjour monsieur, puis je me permettre de vous montrer les lieux ?

S'il acceptait elle lui détaillerait l'auberge. Le rez-de-chaussée avait une superbe pièce à vivre, une cuisine équipée et un accès aux bains. À l'étage, il y avait la dizaine de chambres qui composait ce lieu. Celle qui accueillait le nouveau client se trouvait dans le couloir totalement à l'opposée de celle de l'homme-chien qui, remontant de bain, s'abstint de toute forme de salutation. Son torse et ses bras étaient malgré tout parfaitement bâtis, et on pourrait deviner qu'il ferait physiquement un parfait esclave. Le loup qui le suivait était en revanche moins rassurant.

- Whooooo.

Karim s’était impatienté lorsqu’il avait compris qu’on ne le servirait pas dans cette auberge parce qu’il était « différent ». Putain de racistes, toujours la même. Au moins, chez les hommes-loups c’était pas comme ça, même s’il était sûrement le moins à même de pouvoir juger ce type de comportement. Les « satanés d’humains » fusaient à longueur de journée, tandis qu’il montrait de manière hostile de grands signes de racismes envers cette race. Pour regagner ce qu’il avait perdu la veille, il était cependant forcé de travailler pour cette même espèce qu’il débectait. Ses yeux étaient emplis de colère tandis qu’il faisait le boulot sans s’intéresser de près au résultat. C’est ainsi qu’une fois ses sous acquis, il espérait pouvoir les dépenser comme bon lui semblait… Encore une terrible erreur de sa part.

Dehors, le loup attendait : R’Van, c’était son nom, était d’une espèce assez grande. Il était suffisamment haut au garrot pour pouvoir transporter sans soucis un humain sur son dos. Ainsi, quand il allait près des lieux publics, les taverniers sortaient en général pour dire qu’il n’était pas le bienvenu. C’était apparemment le cas pour son compagnon d’infortune ici aussi, puisqu’il finit par se lever et s’en aller sans payer sa consommation. Karim, en sortant, s’approcha de l’animal à fourrure et le caressa machinalement sur la tête. Il s’étira et fit trébucher la monnaie dans ses poches.

- Qu’est-ce que je vais bien pouvoir faire ?
- Un petit jeu ? Lâcha une voix dans son dos.

Le garçon se tourna sans être réellement intéressé, plus par acquis de conscience. Il dévisagea le charlatan qui semblait prêt à tout pour pigeonner le premier venu, et tandis qu’il faisait quelques gestes de la main, l’Ookami s’en approcha et s’assit en face de lui sans intention de jouer, juste de bavarder.

- C’est un jeu où il faut retrouver la bille en dessous de…
- Ouais, ouais, et vous réussissez à avoir des gens comme ça ?
- Monsieur, vous êtes bien plus intelligent que ceux qui viennent ici, vous réussirez.

Et comme s’il avait finalement convaincu l’homme-loup, ce dernier se mit à réfléchir à la manière dont il allait dépenser ses sous à nouveau, et en conclut après quelques courtes analyses qu’il n’y aurait pas meilleure manière qu’en le faisant fructifier pour gagner de nombreuses bières : le doute n’existait même pas tandis qu’il s’apprêtait à jouer. Le loup à côté de lui soupira et s’allongea sur le sol.

Le jeu commença et durant la première partie, Karim se montra prudent. Il fut fort étonné de gagner sa faible mise et de pouvoir rejouer derrière : finalement, ce n’était peut-être pas si débile… Quand bien même aurait-il voulu cela il n’était pas prêt pour ce qui allait suivre. Et tandis que les parties s’enchaînaient, il misait de plus en plus gros. Enfin, quand il eut tout misé… La bille disparut. Il cligna des yeux : elle ne se trouvait pas sous le pot qu’il avait désigné. Pourtant, il l’avait bien suivie des yeux, elle pouvait pas avoir disparu, hein ?

- Mais t’as foutu quoi ? Beuglerait-il en soulevant violemment la table sans même vérifier les deux autres caches.

Et tandis qu’il pèterait un câble, Khain aurait peut-être assez d’éléments pour créer le portrait « idéal » de sa future victime.

Quelqu’un venait d’intervenir, et il s’attira un regard naturellement noir de la part de l’homme-loup. Qu’est-ce qu’il venait faire dans ses affaires celui-là ? L’idée qu’un autre humain puisse venir le débectait, et il faillit s’en prendre directement à ce « bon samaritain » un peu mystérieux dont la présence occulta presque celle de Karim. Bien sûr, la bête continuait de taper du pied, mais il ne fit pas un geste de plus sans savoir ce que ce gars leur voulait. Normalement, il aurait réglé son problème à coups de poings et de pieds… C’était légèrement compromis si quelqu’un tentait de calmer le jeu. En tout cas, il flatta le simple homme-loup sur sa force, et si celui-ci n’avait pas été énervé il y aurait sûrement été réceptif. Là, cela ne fit que faire descendre sa colère d’un cran.

Il tenta de parler avec des termes qui dépassaient le charpentier. Fronçant les sourcils, il s’interrogea : « investissement » ? « reconsidérer » ? Ouais, il voyait vite fait ce que ça voulait dire, mais il n’était pas dans cette optique… Au contraire, refaire une mise n’était pas vraiment dans ses objectifs, et tandis que l’inconnu s’emparait d’une partie de la somme tombée à terre, le marchand véreux sembla s’inquiéter en faisant de larges gestes pour récolter le fric dont Karim n’avait plus rien à foutre. Au contraire, l’homme-loup lâcha un vilain coup de poing sur le sommet du crâne de l’homme à terre avant que le nouvel arrivant n’ait eu le temps de terminer sa dernière phrase.

- Rien à foutre des beaux discours, tu m’fais chier.

Il lâcha un regard en se tournant finalement vers le nouvel arrivant, puis il commença calmement à ramasser son argent tandis que personne autour ne semblait intervenir. Des regards même satisfaits se firent voir sur certains visages, comme s’ils n’attendaient que cela depuis un moment. Soupirant, l’homme bestial se contenta de finir de ramasser ce qu’il avait gagné sans demander la part contenue entre les mains de la personne en face de lui. T’façon, il avait de quoi se saouler, et il allait en avoir besoin vu la journée qui se déroulait ainsi… Mais les choses allaient sûrement changer, et tandis qu’il grognait son regard se porta sur un autre criminel qui s’approchait à grands pas vers eux.

- Vous avez fait quoi là ? C’est chasse gardée, ce terrain… Donnez-moi le fric, tous les deux.
- Pas question, tu veux…

Il n’eut pas le temps de finir que déjà l’homme en face de lui décocha un coup de pied à Karim qui fonça dans le décor sans rien pouvoir faire d’autre. L’homme-loup sentit son corps perdre toutes ses forces, et il expira à grands coups de ventilation, incapable d’agir immédiatement. Sans prêter attention à sa première victime, le pugiliste qui faisait face à celui dont le teint était aussi pâle que la lune lâcha avec une certaine hargne :

- Tu fais quoi avec ce gars ? T’es son pote ?

S’il trouvait les bons mots, le vampire pourrait sûrement se servir rapidement ce « simple d’esprit » pour atteindre ses objectifs rapidement tandis que le loup s’était relevé et s’était mis à grogner comme pour indiquer qu’il était prêt à se mettre sur la route de quiconque tenterait de s’en prendre à nouveau à Karim, mais trop « frileux » à l’idée de se mettre à l’écart de son camarade de voyage pour l’instant… K’Van n’était clairement pas aussi « faible » que celui qu’il accompagnait.

Karim avait morflé, et s’il sentait une petite douleur au niveau de son ventre ce n’était rien en comparaison à ce que cette personne allait subir quand il se serait relevé. Il souriait avec étrangement, sans même se demander ce qu’il allait pouvoir faire à présent, comme si tout était déjà écrit et qu’il retournerait au combat. Jusqu’à présent, la chance l’avait gardé en vie, mais ce n’était pas dit qu’elle ne tournerait pas un jour. Ainsi, quand il se dirigea brinquebalant en direction de son adversaire, ce dernier était déjà à terre et ne pouvait répondre à ses attentes. Il faillit pester en disant que c’était « son adversaire » mais son corps ne lui permettrait de toutes les manières pas de se montrer trop vindicatif.

Ainsi, il se contenta d’observer d’un œil toujours mauvais son « sauveur » et de soupirer avec un air un peu déçu. Il fallait qu’il puisse se mettre dans une meilleure position pour venir à bout de ce type d’hommes, et qu’il s’entraîne… Mais il était trop occupé à faire circuler la bière dans son système, et le saoulard n’avait d’autres objectifs que de voyager de tavernes en tavernes jusqu’à ce qu’il se fasse exclure de la précédente pour aller dans la suivante. Ses mains vinrent rigoureusement frapper sur la table qui se trouvait à côté de lui tandis qu’il s’apprêtait à repartir ramasser l’argent au sol… mais il eut un temps d’arrêt.

- J’suis pas cassé, non.

« Un potentiel bon combattant » n’était pas le terme qu’il aurait employé pour parler de lui, homme-loup ayant vécu au milieu de ses semblables sur le Nouveau Monde et ayant quitté son clan par faiblesse, sûrement moins que par idéaux. Il se dirigea d’un pas lest en direction de ce gars au teint pâle qui l’avait abordé et sauvé, peut-être un peu trop aisément. Le pitoyable ennemi n’était qu’une passade pour cet homme, cela ne rassurait en rien le blond sur ses aptitudes au combat. Ainsi, quand il posa sa main sur son cou, ce ne fut que pour trouver quelque chose de plus à dire.

- On va à la taverne ?

Et sans attendre de réponse, il récupérerait le reste de l’argent et se dirigerait en direction de son lieu d’alcools favori. Ses pas étaient assurés tandis qu’il ne regarderait pas le loup qui le suivait, ni les regards des passants devant sa démarche légèrement titubante. Il baillerait à longueur de marche, sans ajouter un mot en direction de celui qu’il avait peut-être emmené avec lui, et quand il finirait par arriver au niveau du comptoir après avoir laissé K’Van en extérieur, il s’assoirait au niveau d’un tabouret, et comme l’éternel pilier de comptoir qu’il était demanderait « deux bières et pas votre pisse habituelle » qui seraient servies. Il en tournerait une vers son camarade sans lui demander s’il aimait ça, comme si c’était une évidence que c’était le liquide des dieux ça, bien qu’il ne croit en rien.

Quand il observerait la salle, ce ne serait que pour voir des regards méfiants et un peu étranges. Il retrouverait quelques sensations d’antan, celles où il se trouvait sur des îles un peu plus prestigieuses. Dans l’assistance se trouvait une personne qui semblait se balader avec un animal exotique en cage, une sorte d’oiseau rare de Drum dont l’espérance de vie était sûrement faible en dehors de ses terres. Il ne le releva pas, n’imaginant même pas que le braconnier pouvait être là en soutien à son interlocuteur.

- Karim. Et toi ?

Il utilisait sa parole avec parcimonie, principalement parce que c’était dur de s’exprimer sans dire de conneries. Et tandis qu’il dirait cela, il ajouterait sur un ton tout aussi économe :

- T’es là pour quoi, sur cette île de merde ?

Le regard du barman se ferait sombre à cette dernière phrase, arrachant un sourire mesquin à Karim qui recentrerait son attention sur son interlocuteur du moment.

Quelqu’un qui vous veut du mal… C’était ce qu’avait retenu l’Ookami dont le regard se perdit dans sa bière tandis qu’il observait sans s’en offusquer que l’homme à côté de lui n’avait pas voulu en boire une. Il se contenta d’avaler presque d’une traite la première, tandis que la seconde fut sirotée un peu plus modérément. Les effets de l’alcool étaient dévastateurs, et il ne lui en fallait pas tellement, malgré sa condition physique, pour arriver à un résultat désastreux. Ainsi, lorsqu’il sentit que sa tête s’embrumait, il avait ralenti sur la boisson et continuait de comprendre plus ou moins ce que Khain, parce qu’il s’appelait comme ça apparemment, lui disait.

- Quelqu’un… J’sais pas qui c’est, enfin j’m’en fous. Les gens m’épient beaucoup.

Par un quelconque coup du destin, il était né dans le corps d’un homme-bête. Or, les humains, majoritaires sur cette terre, étaient l’une des espèces les plus médisantes et épieuses, à l’opposé des Gnomes qui étaient les plus honnêtes. Karim avait tendance à beaucoup dénigrer cette race, mais ils ne faisaient que lui prouver qu’il avait raison. A vrai dire, la proposition de son interlocuteur ne lui paraissait pas stupide, mais il sentait qu’il y avait anguille sous roche. Il réfléchit un instant avant de se tourner à nouveau vers le barman.

Bien qu’il n’ait pas terminé sa chope de bière, Karim devait avouer qu’il comptait bien dilapider ses maigres économies dans la boisson, quitte à en vomir plus tard. Ses yeux se portaient sur le comptoir tandis qu’il semblait plus pensif que quelques instants auparavant, et il se mordilla ses lèvres. Finalement, il se tourna en direction de Khain avec un air plutôt joyeux :

- Je vais pas aller dans le bateau d’un inconnu, c’est pas… bien ?

Il s’interrogea sur la signification de ce mot, mais son esprit était déjà embrumé, et il sentait que l’alcool lui était monté aux joues. Il parlait plus fort, commandait de la boisson avec un air extravagant et quand il ne fut plus en état d’aligner un mot plus loin que l’autre, il entendit les pas du loup qui était entré dans la taverne. « Pas d’animaux ici, merde ! » s’était exclamé le gérant des lieux. Et quand l’animal en question avait montré les crocs il s’était simplement tu avant d’observer les yeux de cette bête. Il s’apprêta à ouvrir sa bouche, mais une fléchette vint se planter dans le corps poilu de K’Van qui tituba quelques instants en regardant la direction d’où venait le projectile : l’homme à la cage…

Karim ne remarqua rien dans un premier temps, mais il entendit, ou plutôt compris qu’on beuglait quelque chose :

- Fais ton boulot et assomme ce mec, on les embarque, avait lâché l’éleveur d’oiseau exotique.

Il avait semble-t-il décidé que les choses se passeraient ainsi, et sa présence anodine au départ prenait sens… Ou aurait pu prendre sens si Karim n’avait pas décidé de n’en faire qu’à sa tête. Ainsi, Khain pourrait sûrement répondre aisément à la requête, tandis que l’homme-loup serait facile à assommer. Il y aurait un instant de doute dans le cœur de la bête, mais rapidement son corps inanimé et celui d’un loup évanoui seraient emportés dans la même direction par quelques gros bras.

- Bien, tu vas pouvoir vendre cet homme-loup, et mon patron la bête, lâcha l’homme à l’oiseau qui continuait de transporter sa cage avec patience.

Tandis qu’il semblait plongé dans sa réflexion, le subordonné du braconnier Nail avait l’air plutôt satisfait, et son sourire était amusé. L’homme-loup était une proie relativement facile, mais elle attirerait les acheteurs qui pensaient pouvoir changer sa personnalité par du conditionnement. La vente… Ah, il fallait organiser une vente, peut-être même une vente parallèle à la leur. Et leur mettre des chaînes, de jolies chaînes… Tellement de choses à faire.

Un… Deux… Les coups furent plus violents dans la tête de l’Ookami que ceux qui auraient pu parvenir autrement. Il était dans l’obscurité la plus totale, et tandis qu’il balayait la cage d’un coup, il fit tomber deux liquides qui vinrent lui tremper les pieds. Il sentit l’odeur familière de bière, mais n’eut pas envie de la boire tandis que le mot laissé par Khain prenait immanquablement l’humidité, en même temps que le corps de l’homme-loup. Celui-ci sentit rapidement la colère monter, et il ouvrit les yeux. Un coup puissant contre l’intérieur de son cercueil alerta les gardes à l’extérieur, qui passaient entre les différents esclaves, que l’homme était réveillé. Qu’importe. Le vampire venait de partir, et c’était certainement pour le…

Un second coup, plus violent cette fois-ci. Les deux hommes se regardèrent avec un air inquiet tandis qu’un émissaire de Nail arrivait pour vérifier la marchandise. Il avait débloqué des frais, et avait fait en sorte que les deux ventes soient sur le même navire, partant en même temps et se séparant une île plus loin. Une erreur qu’il n’aurait pas commise s’il en avait parlé à son acolyte : mais il ne l’avait pas fait. Une autre cage tremblerait cette fois-ci tandis qu’un hurlement en sortirait, alertant les personnes à l’extérieur du navire qu’un loup se trouvait à bord.

- La dose de tranquillisant n’était pas assez forte ? C’est quoi ce loup…

Il avait visé juste, mais pas assez fort. L’animal était issu du Nouveau Monde, et il avait de ce fait des particularités. Le sourire satisfait du Collectionneur d’animaux exotiques s’effaça tandis que l’oiseau à ses côtés se mettait à hurler, affolé. Brusquement, un troisième coup fit basculer la cage qui se renversa avec l’homme-loup sur le parquet. Une partie des liens qui scellait le plafond se heurta violemment à une barre de fer à proximité et… La cellule s’ouvrit.

- PUTAIN ! Hurla Karim. J’vais l’niquer ce mec !

Il se tourna vers les trois affolés qui se trouvaient à proximité. Il observa les alentours et un deuxième cri résonna tandis que son regard s’amplifiait de colère. Il s’élança en direction du garde le plus proche qu’il envoya valser comme si de rien était d’un coup de pied dans l’estomac. Les clefs qu’il tenait dans sa main tiltèrent en s’écrasant sur le sol, et il s’en empara sans faire attention au reste, se dirigeant vers son loup de compétition. Les deux autres hommes étaient ahuris, ébahis par une telle sauvagerie alors qu’il était encore sous l’emprise de l’alcool une heure plus tôt : sa mauvaise humeur était simplement due à son mal de crâne faramineux.

On lui avait volé sa liberté quelques minutes, et c’était pourtant le déclencheur d’une série de pensées qui viendraient à lui permettre de comprendre sa haine pour les esclavagistes. Il s’était sentit enchaîné, et cette prison avait failli lui coûter ce qu’il avait de plus cher. Lorsqu’il sortit K’Van de sa cage, ce dernier était déjà en train de bouillonner. Il s’élança en direction d’un des hommes dont il déchira le flanc en partie, avant de grogner sur le collectionneur qui s’était déjà enfui.

- On va retrouver ce putain de con !

Et il s’élança à l’extérieur du navire. Son regard se porta sur la foule tandis qu’il essayait d’identifier Khain dont les pas s’étaient peut-être précipités tandis qu’il entendait les bruits de combat venir de ce navire. Karim avait récupéré très vite, ou du moins le laissait-il paraître. Son pas titubant, ses yeux plissés, ses sourcils froncés : tout indiquait le contraire, et il menaçait de s’écrouler à n’importe quel moment.

Les paroles de Khain n’atteignirent pas vraiment l’homme-loup : déjà parce qu’il était totalement buté, et aussi parce qu’il avait une envie franche de s’en prendre à ce vampire qu’il ne considérait ni comme l’allié qu’il prétendait être, ni comme une personne bonne. Ainsi, s’il écouta sans aucune patience les paroles de ce gars au teint pâle, il ne put que retrousser ses canines et grogner comme l’aurait fait un canidé. « Quelle débilité » aurait pu-t-on se dire. Encore une marque de ce qu’on appelait un flagrant manque de discernement et d’intelligence. Quand il releva les yeux en direction de l’ennemi, après avoir observé l’environnement, ce ne fut que pour lâcher sur un ton vociférateur :

- Abruti, j’vais t’empaler sur un pic !

La violence gratuite, c’était son fort. Certes, il ne tuait pas, mais pour quelqu’un qui l’avait privé un seul instant de liberté il risquait de n’avoir aucune retenue. C’était du moins le plan, au moment où il prononça ses paroles, ce qui fut rapidement interrompu par l’arrivée soudaine d’un tiers, dont la main alla s’emparer d’un tonneau d’orge pour l’envoyer sur l’Ookami. Ce dernier entendit le bruissement de l’air au dernier moment, mais K’Van fut plus rapidement et esquiva pour eux deux ; Il observa et grogna à son tour en direction du nouvel arrivant.

Karim descendit du dos de l’animal tandis qu’il s’élança largement en direction de Khain, prenant ses appuis et s’arrêtant finalement à quelques mètres dans le but de se saisir d’une cruche qui se trouvait sur une table d’un restaurant où des personnes mangeaient tranquillement s’en s’inquiéter du chaos ambiant. Il envoya celle-ci en direction de son adversaire, et s’élança sur lui pour utiliser sa distraction et lui donner un coup de poing du tonnerre dans le flanc pour l’envoyer valser dans l’étal le plus proche. Bien sûr, il s’attendait à une réplique, mais aussi violente soit-elle elle n’enlèverait pas l’adrénaline que ressentait l’homme-loup, aveuglé par ce qui venait de se produire et la colère qu’il ressentait.

K’Van s’approchait de sa cible. Il ne la connaissait pas, mais celle-ci le connaissait : c’était Nail, le fameux acheteur d’animaux exotiques. Il semblait en rage à ce point-là qu’il voulait sûrement en finir le plus rapidement possible avec ses adversaires. On lui avait volé sa marchandise, et s’il n’avait pas compris qu’on l’avait doublé c’était à cause de la bêtise de Karim qui avait fait s’ouvrir la cage et renversé les bières. D’ailleurs, il empestait l’alcool, comme à son habitude, sauf que cette fois-ci il était en plus poisseux… Quoique, comme à son habitude.

Le loup s’était élancé avec une force rare sur Nail, et ce dernier comprit qu’il ne pourrait que faire gagner du temps à Khain, et profiter que cet homme dont l’animal était proche soit gravement blessé pour prendre une occasion d’en finir. Cette pensée était satisfaisante, et il acquiesça intérieurement tandis que son esquive fut, de justesse, salvatrice. Vraiment, il n’allait pas pouvoir tenir longtemps, mais au moins il serait en mesure de patienter jusqu’au dénouement de l’affrontement qui opposait le vampire à l’homme-loup.

Reporter la faute sur quelqu’un d’autre, c’était d’un simplisme… Et pourtant, avec le loustic qu’il affrontait, Khain avait touché le bon bout. En effet, Karim avait directement tourné le regard en direction de Nail qui, loin d’être très intelligent, s’était vendu lui-même par sa réaction. Il esquiva difficilement l’attaque de K’Van dont les yeux scintillaient d’une rage pure. Le sourire de l’homme-loup s’étira tandis qu’il changeait subitement de direction :

- Je viendrai m’occuper de toi plus tard, bouge pas !

« Bouge pas ! » c’était sûrement là le plus stupide des ordres à donner à un ennemi… Mais à vrai dire, il n’était reconnu pour avoir les meilleures répliques, loin de là. Ainsi dans son regard on pouvait comprendre qu’il y avait la conviction que son adversaire ne s’enfuirait pas plus, et attendrait de se faire tabasser, même si les réflexes de l’un et de l’autre des deux se valaient à peu près.

Ainsi, il s’élança sur l’ennemi le plus fort, de loin, Nail. Il fonça sans réfléchir et sans s’arrêter, deux choses qu’il savait faire avec beaucoup d’entrain. Son regard s’était enflammé et il profita du fait que K’Van occupait le braconnier pour sauter sur ce dernier et le tirer dans sa direction. Il se sentit cependant lui-même partir tandis que la force de l’ennemi reprenait le dessus et qu’il était projeté dans les airs avec une finesse assez maigre. Son regard sembla stupéfié, et il se retrouva bien vite à servir de boulet de canon pour finir sur le loup qui l’attrapa comme on attrape un louveteau.

- Et merde ! Grogna l’homme-loup en se relevant rapidement et en reprenant une position d’attaque, n’ayant pas subi un seul dommage.

Pourtant, il n’eut pas le temps de répliquer tandis que Nail s’élançait dans sa direction sans lui laisser le temps de respirer. Il écarquilla les yeux, et sentit l’attaque venir sur lui, puissante et déterminante pour une fin de combat précipitée… Mais il n’eut pas réellement, à nouveau, le temps de sentir venir la défense. Les mouvements de K’Van, agile, vinrent contrer ceux de son adversaire. Il écarquilla les yeux tandis que le loup s’attaquait à son adversaire de front et lui attrapait le poignet. Cette fois-ci, c’était lui qui avait servi d’appât et l’autre qui s’était fait prendre à ce jeu.

« Parfait ! » se dit-il en souriant intérieurement. Déjà le combat se renversait en leur faveur : le poignet de l’ennemi était certainement fichu, ce qui le mettait dans une situation délicate. Il allait hurler de douleur pendant un instant, et ce serait cet instant que Karim utiliserait pour lui sauter dessus et le coller à terre, l’empêchant ainsi de bouger. Il ne prévoyait pas de se faire à nouveau repousser avec une violence hors du commun qui le projeta en l’air, et tandis qu’il s’encastrait contre le plafond, une gueule vorace vint s’accrocher au niveau de sa jugulaire et une mare de sang s’étala sur le sol, comme l’aveu de l’incapacité de finir ce combat sans mort. L’attaque avait été si aisée pour K’Van qu’il ne put que se mettre sous Karim pour le réceptionner lorsque ce dernier se décrocha du mur.

Il sentait que son corps était endolori, et que son souffle était haletant : il ne dit rien pendant quelques longues minutes qui parurent plus qu’une éternité. Quand son regard se posa en direction de l’endroit où devait se trouver sa cible, il s’attendait à ce qu’elle soit toujours sur place à attendre, là, patiemment, comme un fruit qu’on cueille tandis qu’il est mûr. Avait-il eu tort de faire ce pari ? La vengeance n’était clairement pas une solution, mais bon… C’était toujours plaisant.

Le regard enragé de Karim se porta à gauche et à droite, avant d’arriver à la simple constatation qu’il avait eu tort. Ce gars avait disparu, l’homme à la peau d’albâtre. Il l’aurait bien tué d’un coup sec mais ce ne serait pas au programme de toute évidence. Quand ses yeux se tournèrent vers K’Van, il put observer la gueule en sang du loup qui avait commis l’hérésie suprême, le délice le plus coupable du clan Ookami. La mort avait été rapide, elle avait été brutale, et il n’y avait pour Karim aucun mot pour décrire un tel acte de barbarie. Se tournant en direction de son allié, il le regarda dans les yeux.

- Ne tue plus.

L’ordre était clair. Il ne le blâmerait pas pour ce qu’il avait fait aujourd’hui, et si la situation se reproduisait il ne lui en porterait sûrement pas rigueur. Pourtant, ces paroles étaient sorties comme si de rien n’était. Il s’éloigna du corps et alla à la taverne la plus proche, accompagné de l’animal qui faisait rentrer les habitants dans leurs chaumières sur son passage. Il avait sûrement apprécié de s’abandonner à ses instincts les plus brutaux. C’était comme ça qu’il avait été élevé : par le sang et la peur. Le premier le suivait toujours, quant au second…

La peur n’était plus inscrite viscéralement dans ses gênes. Il n’avait pas ressenti celle-ci en se faisant capturer, et contrairement à Karim il n’en gardait aucune rancune. « Ces putains d’esclavagistes » lâchait simplement l’homme-loup qui avait déjà échappé plusieurs fois à leurs chaînes. Cette fois-ci, il aurait simplement pu y passer. Ses yeux se fermèrent tandis qu’il expirait péniblement. Le sentiment d’impuissance, c’était la pire chose qui existait sur terre. Son corps avait encore l’odeur de la bière renversée dans la caisse, et il tremblait à l’idée que celle-ci puisse lui retourner le cerveau, encore. Allait-il arrêter de boire comme Finn le lui avait demandé de si nombreuses fois ? Ce ne serait pas mal d’essayer.

Devant la taverne, il observa l’enseigne. Une chope qui tanguait devant et derrière. Le bruit des gardes dans son dos ne l’aurait habituellement pas empêché de marcher, mais il tourna les yeux vers ceux qui venaient pour les arrêter, lui et K’Van. Il lâcha un énième soupir de lassitude. « Ouais, c’est le bon moment d’arrêter. ». Il grimpa sur le dos de son allié, et quand celui-ci sentit le poids de Karim sur son dos, accroché à ses poils, il fonça en direction des protecteurs sous-payés de cet endroit misérable. Ils observèrent la boule de poil noire face à eux et si certains bandèrent leurs arcs, d’autres placèrent leurs lances pour se protéger.

Le saut du loup fut vif et terriblement effrayant. Tandis qu’il s’enfuyait, partant en direction de l’endroit où ils pourraient se saisir d’un navire et quitter les lieux, la personne sur son dos tournait régulièrement un regard empli de regrets en direction de la taverne. Il devait essayer. Il allait essayer. Une fois qu’il retrouverait Finn… Non, pas cette fois-ci. Ils ne se reverraient pas.