Ce fut à ce moment que le blond tiqua. « Ah, c’est peut-être elle. ». Il vit Ishtar prendre sa forme hybride qui, contre toutes ses attentes, se trouvait être assez proche de la déité qu’elle représentait. En réalité, c’était la même, et il se gratta la tête un moment avant de hausser les épaules : c’était bien trop compliqué pour lui, alors il se contenterait d’arrêter de réfléchir. Il observerait les hommes du peuple venir chercher le Grand Shaman qui hurlerait à la mort, implorant une pitié qu’il ne trouverait pas ici. Karim était exaspéré, et Finn avait horreur des personnes dans son genre. Restait Ishtar, mais la femme de grande taille ne semblait pas être connue pour sa magnanimité en matière de criminels.

Quelques instants suffirent pour que la foule n’emporte l’homme au destin incertain. En observant Ishtar, et en s’avançant vers elle, les deux compagnons pourraient écouter ses paroles avec attention. L’homme de la lune ne pourrait cependant pas répondre aux questions qu’on lui posait, car au moment où il arriverait au milieu de son chemin, prêt à ouvrir la bouche, une lame viendrait lui trancher la gorge sauvagement. La scène ne verrait pas de coupable tandis que la foule était trop dense pour discerner celui ou celle qui venait de faire cela.

Des hurlements d’horreur retentirent et un mouvement de recul s’imposa, tandis que le corps sans vie du Shaman était piétiné, son visage détruit par un tel comportement de masse. Une nouvelle fois, l’Ookami ignora ce qui se déroulait ici et se contenta de parcourir les derniers mètres qui le séparaient de la Zoan Mythique. Il reconnaissait bien là un pouvoir issu d’un mythe, même s’il ne savait pas lequel.

- Va dormir, intima Finn d’un signe de la tête.
- Ouais, on s’occupe des parents de la gamine.

Et ils se dirigèrent en direction du forum où devaient se trouver les dernières personnes censées. Là-bas, des centaines d’habitants pleuraient, riaient, courraient. Ils avaient l’impression de se diriger vers l’inconnu, et personne n’arrivait à prendre la parole. Bientôt, le chaos s’installerait. Là-bas, une femme s’approcherait des deux inconnus à son peuple, sans animosité. Elle leur ferait signe de s’éloigner, ses mains maculées d’un sang qui n’était pas le sien.

- Je m’excuse, je… Vous étiez avec la divinité, n’est-ce pas ? Elle cherchait deux personnes, et… J’ai les informations que vous désirez.

Les deux hommes croisèrent le regard. Ils ne s’attendaient sûrement pas à ça, puisqu’ils n’étaient pas au courant des paroles de la De Lehrane devant les mines. Ils ne savaient pas le bruit que ça avait commencé à faire et la traînée de poussière que ça avait engendré. Se mordillant les lèvres, Finn sentit que la mauvaise nouvelle arrivait, là où le blond était insouciant et innocent.

- Ils n’ont pas survécu… Je suis la sœur de Pete, le père de cette enfant que votre amie a décrit. Je sais que ça va vous sembler étrange, mais j’aimerais aller voir ma nièce.
- Va falloir patienter. Quelques heures. Allez à la maison du grand machin, là, on vous y rejoindra.

Karim s’était contenté d’être évasif et de tourner le dos à cette « tante » qui venait sauver leur journée. Au moins, ils ne rentraient pas bredouille, se disait-il. Pourtant, la situation pouvait difficilement être pire : ils avaient provoqué la chute d’une ville par leurs actions, et les parents de la gamine étaient morts. Pas de promesse qu’ils ne pouvaient pas tenir… Des parents morts, c’était bien tout ce qu’il lui fallait…

Il se dirigea donc vers la bâtisse une fois qu’il eut fait le tour pour confirmer l’information, et attendrait que la De Lerhane se lève, lui expliquant la situation et l’aboutissement leur mission.

Ishtar avait bien cerné Karim. Celui-ci n’était pas un bon samaritain, et à présent qu’il avait accompli sa tâche il pouvait s’en aller sans demander son reste… Et sans demander de récompense pour service rendu. De toutes les manières, il ne voulait pas s’attarder ici. Ses yeux plongeaient sur l’île qui avait failli le tuer à deux reprises : d’abord sur un bûcher, ensuite d’un coup d’épée. Les deux auraient pu être plus douloureux qu’ils ne l’avaient été. Il y avait encore les marques de cordes qui avaient frotté sur son corps. Ses yeux se fermaient et s’ouvraient à intervalle régulier, tandis qu’il pensait. Il pensait à la perte de cette petite fille, à ce qu’elle avait gagné, à la perte de cette île, à ce qu’elle avait gagné.

- A bientôt.
- Au plaisir, Ishtar.
- Content de t’avoir rencontré, rajouta Karim.

Le regard de Finn se figea sur le jeune homme qui commençait à se relever un petit peu de son fauteuil. Il était encore faible, mais il n’allait pas se laisser aller. Il se rassit cependant, et quelques minutes plus tard, après avoir quitté l’ange, il se tourna vers Finn. Ils se trouvaient au milieu d’une rue passante où quelques habitants, rares, avaient repris un train de vie ignorant ce qu’il s’était déroulé sur le forum.

- Embrasse-moi.
- Hein ? Euh… Oui…

Le charpentier s’approcha et embrassa celui qui acceptait enfin les sentiments qu’il avait pour lui. C’était peut-être le plus beau jour de sa vie, se disait-il. Il sourit à Karim et plongea ses yeux dans les siens, et quand le baiser fut terminé il en donna un autre. Des regards se portaient, indifférents, sur eux. Un petit rire amusé les pointa, mais ils s’en fichaient, et la main de l’Ookami vint se passer dans le cou de son ami.

- On est en plein milieu de la rue.
- Ah… Ouais.

Le loup regarda autour de lui. Ils allaient sûrement devoir faire quelques travaux sur le port pour gagner un peu de fric et partir de cette île. Ouais, ça allait être galère. Voler un navire ? La dernière des solutions, et la plus chiante. Il allait bosser, enfin Finn allait le faire et lui il resterait les doigts de pieds en éventail. Il détestait ça, il voulait l’aider. Son regard se porta sur le brun qui souriait de manière béate.

- Je te le dirai qu’une fois.

Hein ? Finn se tourna vers l’homme-loup qui se levait difficilement. Il se tenait sur ses pieds, mais tanguait. Quand il trouva sa stabilité, le regard de la personne en face de lui tremblait d’impatience. « Il sait ce que je vais dire. » se dit-il, mais ça ne l’empêcherait pas de l’évoquer. C’était assez dur de rassembler son courage pour abandonner ici. Ainsi il attrapa les hanches de son camarade de longue date et l’attira contre lui, stabilisant ses positions. Ses lèvres se trouvaient à quelques centimètres de son visage. Il hésitait. Il ne voulait pas que ce soit la fin. Mais il avait compris, sur cette île, que les non-dits ne l’avanceraient finalement à rien :

- Tu es mon monde, Finn. Je t’aime.

Le sourire du brun resplendit tandis qu’il échangea un baiser passionné avec son compagnon. Une éternité passa tandis que les deux hommes se tenaient toujours là, sans que personne ne fasse attention à eux, encore. Finalement, Karim retourna s’asseoir patiemment, mais son regard se posa sur le brun qu’il fixait avec intensité.

- Et toi ? Tu m’le dis pas ?

Le sourire taquin du brun prit la place de son air amoureux, et tandis qu’il se retournait, il lâchait sur un ton amusé :

- La prochaine fois que tu me le diras.

Et il commença à marcher sous les grognements intempestifs de Karim.