La nuit était porteuse des songes et des espoirs de chacun. Dans les ténèbres se terraient les habitants de l’ombre, ceux qui portaient en eux une noirceur si profonde qu’elle menaçait d’avaler sur son passage les innocentes vies incapables de se défendre elle-même. Erwin aurait pu être un titan, et il avait une confiance aveugle en sa puissance. Ses yeux formaient un impénétrable rempart qui entourait la maisonnée où se trouvait la De Lerhane dont il protégeait le repos. Lui-même pouvait rester des jours sans sommeiller, cette nuit-là les bras de Morphée ne s’offraient pas à lui, capricieux. Son instinct lui disait que quelque chose allait se produire, et se furent finalement plusieurs personnes qui s’approchèrent, le regard empli d’avidité.

Les rues étaient à la fois tordues et pavées de pierres froides. De rares lumières venaient éclairer la scène. Ses yeux étaient rivés sur les victimes qui venaient en créer d’autres. Eux seraient les victimes de la Lame, et quant au reste…

- On la prend en…

La voix qui commençait à s’exprimer dans l’escargophone se tue soudainement. Les six autres hommes qui se tenaient en retrait froncèrent les sourcils, et tentèrent d’appeler leur collègue une nouvelle fois. Au début, rien. Puis… berepberepberep… berepberepberepberep… Le bruit s’approchait. Alors, un corps sans tête et sans vie chuta sur le sol. Les regards se tournèrent rapidement vers l’endroit d’où il provenait, et ils observèrent un regard bleuté qui se portait sur eux, transperçant la nuit comme si deux pupilles impénétrable s’étaient formées autour d’un océan déchaîné.

Leurs êtres se figèrent, terrifiés. Le garçon tenait par les cheveux la tête de celui qu’il venait de tuer de sang-froid, sans même y réfléchir. Son sang venait peindre le sol. Finalement, il descendit, se laissant tomber dans les airs. Au moment où il toucha le sol, tous les corps avaient déjà été découpés en morceaux, ne laissant derrière eux que de petites coulures de sang. Il avait été plutôt propre cette nuit.

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- Peut-être que c’est bien le cas, déclara Erwin en s’approchant de la chambre où logeait Ishtar, ouvrant la porte après avoir toqué simplement.

Il s’était passé plusieurs heures, et les rues ainsi que les murs étaient à présent immaculées. Leur propreté déteindrait sûrement dans la marre de poussières, et les connaisseurs sauraient qu’il s’était passé quelque chose. Pourtant, rien ne pointerait du doigt Erwin dont les yeux se posaient sans un seul signe d’envie sur le corps de la De Lerhane, comme s’il ne la considérait pas comme un objet de désir mais comme une entité simplement asexuée.

- Y-a-t-il quelque chose que tu aimerais faire avant de partir de cette île ? Demanderait-il simplement avec un sourire tranquille.

Si elle n’avait pas d’envie particulière, elle pourrait commencer à ranger ses affaires. Un navire partait dans quelques heures pour rejoindre Mystoria, de laquelle un navire civil amènerait hors du Nouveau Monde les personnes qui y mettaient le prix. Bien sûr, en lui expliquant cela, il lui montrerait une bourse de berrys qui couvrirait les dépenses.

- Quoique tu choisisses, complèterait-il. Je te déconseille de voler. Actuellement, tu risquerais de te faire tout simplement attraper dans un phénomène météorologique un peu trop puissant pour t’en défaire. Tu as déjà entendu parler du Torflotte ? Une vraie plaie !

Même pour Erwin, se balader librement sur l’archipel relevait de l’inconscience. Il était assez au courant des événements qui s’y déroulaient, et unis les créatures d’Aub Beothu, une des îles, auraient pu le blesser s’il n’y avait pas été attentif. Enfin, il y avait peut-être une chance qu’il croise Rebena et cela ne pouvait que le mettre en joie. Un petit sourire naquit sur ses lèvres tandis qu’il réfléchissait à l’idée de s’approcher de cette femme puissante. Il n’était pas attiré par son physique mais bien par ce qu’elle renvoyait comme aura. Enfin, qu’importait, la situation actuelle ne prêtait pas à penser à cette femme aux cheveux roux.

- On pourrait profiter de tes capacités pour aller à Dun Muir. C’est une île composée de falaises, et inaccessible en temps normaux. Je pense pouvoir te protéger au moins de la faune.

La flore, c’était une autre histoire : il y avait un risque qu’il ne puisse rien faire si les plantes crachaient du poison. En tout cas, cela l’intéressait, et il était impatient de savoir si son interlocutrice était partante. Ses yeux se tournèrent vers la mer quand elle posa une question sur la Torflotte.

- C’est un phénomène qui consiste à relier la mer et le ciel. Une grande tornade…

Il fit un signe de tourbillon avec ses doigts, grimpants du milieu de son torse à son menton.

- … monte de la mer jusqu’au ciel où une seconde mer se crée alors. Les navires doivent prier pour s’extraire des courants marins et retomber alors. Pendant le temps qu’ils en haut, ils ont la tête à l’envers. Ce n’est pas très agréable à expérimenter.

Son doigt retomba. Il n’aimait pas cette sensation, mais il devait s’avouer avoir été chanceux la fois où il avait rencontré ce phénomène. Le navigateur était compétent et donnait des ordres plutôt censés. Sans sa manœuvre du navire, ils auraient fini gobés par la tornade et la coque du navire se serait éclatée dans les flots. Certes, il aurait sûrement survécu mais le reste du trajet aurait été désagréable. Cette pensée ne lui plaisait donc pas réellement. Il se tourna vers Ishtar et rajouta :

- Quand tu prends la mer sur le Nouveau Monde, tu peux juger qu’il va t’arriver une misère un trajet sur deux ! C’est s’adapter, le secret de la réussite ! Bien sûr, il y a aussi la chance… La chance est une compétence en soit, elle détermine beaucoup de choses dans la vie.

La plupart des héros étaient juste des personnes chanceuses dans leur malheur, d’une manière ou d’une autre. S’ils réussissaient, c’était grâce aux compétences qu’ils acquéraient au fur et à mesure du temps… Enfin, lui était un « vilain », donc ça ne comptait pas.

- Quoiqu’il en soit, qu’en dis-tu pour la petite exploration ? Tu pourras toujours partir d’ici deux jours, sur le navire suivant !

Il sourirait, le plus simplement du monde. Dans ces moments là, son visage de tueur sanguinaire ne paraissait pas sur ses traits enfantins.[/b]

Pour Erwin, le voyage était la meilleure partie de l’aventure. Quand on arrivait à un niveau où le Boss de fin, c’était nous, il n’y avait plus de réel défi dans ce monde. Enorgueilli par sa puissance, il oubliait souvent que la nature était au final le plus impitoyable des adversaires, et qu’il ne fallait pas s’étonner de tomber sur quelque chose qu’on ne pouvait vaincre avec la force pure. De la préparation était souvent requise pour aller sur Dun Muir, et avant de partir le blond avait simplement pris un certain nombre d’outils qu’il avait mis dans son sac, dont deux masques à gaz qui étaient utilisés des mines d’une île de Hadès, et qu’il avait volé à un de ses hommes. Il sortit donc les deux objets avant de mettre le pied sur l’île et précisa :

- Si on ne veut pas être pris pas le poison des plantes, il vaut mieux qu’on soit équipés.

Il passerait donc un masque à sa camarade si elle désirait. Contrôler le climat pour avoir un temps où le poison retombe rapidement au sol, ou créer une tempête qui le disperse dans l’air était aussi possible, cependant le pouvoir du fruit d’Ishtar sur la météo était encore très vague pour l’épéiste qui se contentait de la voir comme un deltaplane de très bonne qualité. Ses yeux pétillaient cependant en observant les alentours. Il aurait pu y monter seul, cependant quel plaisir de faire ce trajet sans trop de peines !

- Qu’est-ce qu’on va trouver ici ? Tout cela est diablement excitant ! Dit-il en souriant franchement.

Et tandis que son sourire gagnait son visage, deux phénomènes simultanés se produisirent. La première fut une explosion dans l’un des villages cachés dans la forêt écarlate, tandis que le second fut l’apparition d’une créature à l’apparence de salamandre géante, et au regard noir, sombre comme les ténèbres qui se logeaient au fond du cœur de chaque individu.

Elle était parsemée de fleurs qui rendaient son dos presque invisible dans la nature, et arborait une couleur entre le marron du sol et le vert de la mousse qu’on trouvait au pied des arbres. Affolée, elle semblait chercher une issue pour s’éloigner du village, comme si elle venait d’être prise la main dans le sac en train de faire quelque chose de grave. Que s’était-il passer là-bas ? Une attaque ? Une expérience qui tournait mal ? Peut-être fallait-il aller voir, mais ce serait à Ishtar de prendre cette décision, et d’ailleurs Erwin insisterait sur le fait qu’il n’avait pas d’avis sur la question.

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La petite fille regardait son laboratoire avec un air peiné. Il avait explosé, encore une fois. Personne ne s’arrêtait dans la rue pour regarder la bâtisse prendre feu. Pourtant, elle faisait attention, mais les produits trouvés sur cette île étaient particulièrement sensibles aux réactions chimiques entre eux. A l’état où elle les transformait, il y avait toujours un risque d’exploser son laboratoire. Heureusement, ce n’était que du matériel et elle pourrait reprendre ses études très vite. Un sourire illumina son visage, tandis qu’elle s’étirait vers le ciel en baillant.

- A la suite ! Tenta-t-elle de se dire pour se motiver.[/b]

La forêt était dense, grouillant à la fois de vie et de mort. Des individus qui auraient foulé ces lieux sans informations y auraient vu une nature d’une beauté extraordinaire. Colorée et à couper le souffle, intense et pétillante, il y avait ici de quoi envier les plus beaux paysages de Grand Line. Le blond avait vu un grand nombre d’îles, mais il était passionné par tout ce qu’il y avait ici. Un sourire grappilla quelques millimètres vers ses pommettes, et il se pencha vers une plante intéressante. Les connaissances d’Erwin en un seul domaine n’étaient pas exceptionnelles, mais il avait grappillé des informations de-ci, de-là, et il avait plutôt bonne mémoire.

- Datura stramonium, le Datura, une plante toxique… Certes, seulement quand consommée, mais toxique quand même. Un collègue est mort après l’avoir ingérée. C’est rare de la voir pousser dans ce climat, peut-être que c’est une autre branche.

Il était cependant presque sûr qu’il s’agissait de la même famille car une capsule d’épine à côté indiquait que des graines avaient été libérées dans la nature récemment. La tige dure et longue offrait une magnifique fleur blanche à maturation, ce qui la sauvait souvent en territoire inconnu. On pouvait l’utiliser pour empoisonner d’autres personnes… Enfin, il n’avait jamais eu à le faire. En général, il était plutôt de l’équipe de ceux qui se salissaient les mains directement. Enfin, la lame de préférence… Il se tourna Ishtar et la suivit finalement assez sereinement.

Les lieux habitaient même des petites vies comme les hérissons, qui se fondaient dans le paysage. Les pigments de la peau de ces animaux étaient peut-être dû à un système d’évolution et de sélection : s’agissait-il de créatures qui avaient eu les meilleures chances de survie et donc de procréer grâce à leur adaptabilité ? Il n’eut pas réellement le temps de s’étendre sur la question, et trouva devant lui deux personnes qui parlaient dans une langue qu’il ne comprenait pas.

La première question c’était : étaient-ils des ennemis ? Y avait-il des pratiques cannibales chez eux ? En tout cas, ils ne semblaient pas étonnés des masques à gaz, mais par respect pour eux Erwin décida d’enlever le sien. Il dévoila alors ses traits juvéniles, plus que ceux de la blonde à côté de lui, et ce fut comme s’il venait de perdre en crédibilité. Les regards se portaient alors avec plus d’insistance vers Ishtar, aînée du groupe. Attribuaient-ils autant d’importance que cela à l’âge ? Dans les tribus indigènes, il était vrai qu’il existait souvent un système d’anciens, où les âgés étaient respectés pour leur sagesse.

Il répondit malgré tout à la question qu’on leur posait, sans prendre en compte l’étonnement qu’il put lire lorsqu’il prit la parole.

- Je viens d’une île lointaine, et mon amie ici présente vient du ciel.

Il désigna d’un signe du pouce les deux paires d’ailes qui s’étendaient dans le dos de la jeune femme.

- Nous ne sommes pas là pour guérir l’un des nôtres, et nous n’avons aucune intention de vous ennuyer. Au contraire, s’il y a quelque chose qui vous pose problème en ce moment, nous pouvons peut-être vous aider, en échange d’un peu d’hospitalité.

Il ne proposait pas ses services contre rien, mais il demanda du regard à Ishtar si cela lui convenait, puis se concentrerait à nouveau sur leurs deux interlocuteurs pour se présenter :

- Je m’appelle Erwin, et voici mon amie…

Il lui ferait signe de s’introduire elle-même, pour éviter qu’il ne prenne l’ascendant dans la conversion, et lui laisserait finalement la parole pour tenter d’établir un contact sympathique avec les insulaires.

Ses yeux vaquaient entre le marsupial et son maître, se demandant quel genre de lien il avait bien pu créer avec cet animal pour qu’il soit si docile. C’était presque à se demander s’il pourrait lui aussi accomplir un jour une telle prouesse avec un animal… Enfin, il était encore jeune et il avait le temps. En ce moment, aucune mission ne bouleversait son quotidien, ce qui était plutôt plaisant. Cela voulait sûrement dire que l’Ombre était en train de réunir des informations, ou que l’Assassin s’était occupé de la mission parce qu’elle nécessitait plus de discrétion qu’il n’était capable d’en offrir. C’était son problème principal dans les retours de rapports qu’il avait : un éléphant dans un magasin de porcelaines.

Il s’avançait pourtant sur cette île avec une certaine dextérité, et offrait à ceux qui pouvaient observer la puissance par les gestes du quotidien une infime démonstration de l’atout, ou de la menace, qu’il représentait. Cependant, leurs suspicions les empêchaient sûrement d’observer les détails, et c’était là qu’être trop sur ses gardes pouvait être néfaste. Qu’auraient-ils pu faire contre lui ? En réalité, tant qu’il était avec Ishtar ils n’avaient rien à craindre. Il avait plus ou moins compris qu’elle n’aimait pas qu’on tue les autres, ce qui signifiait clairement qu’il était dans une situation précaire pour repartir s’il le faisait.

- Bonjour, Chefs, répondit le blond en s’inclinant légèrement en avant.

Comme à son habitude, quand il intégrait une société il avait un certain respect pour la hiérarchie. Ici, elle était encore plus importante à respecter qu’elle pouvait décider de les expédier dans les terres toxiques de l’île assez rapidement. Ils pourraient bien évidemment créer un scandale, ou se battre, mais cela revenait au premier problème du blond : ne pas tuer. Il ne savait pas s’il en serait ultimement capable. Depuis combien de temps n’avait-il pas combattu dans l’intention de préserver la vie ?

- Merci de nous avoir à l’œil, répondit le blond qui considérait que c’était grâce à cela qu’ils pouvaient rester ici. Si cela ne vous dérange pas, j’aimerais aller chasser. Cela fait quelques temps, et je serai peut-être rouillé mais j’aimerais bien vous aider.

Il tapota ses lames sans jamais les saisir. A sa ceinture, trois lames trônaient : une en bois, une en os de dragon et une dernière qu’il n’avait pas encore dégainée. Il voulait aussi, par ce fait, signaler qu’il était armé, pas comme une menace – ce qui pouvait être interprété ainsi – mais par lucidité.

- Vous avez besoin de quelle quantité de gibier ? Et y a t’il des espèces à ne pas chasser ? Ou des mets que vous désireriez ?

Il souriait, naturellement. Il avait déjà dépecer des bêtes : saigner la bête, retirer les organes, enlever la peau, c’était tout ce qu’il savait faire. Bien sûr, d’autres éléments étaient indispensables à rendre la viande mangeable, mais c’était le rôle des bouchers. Lui ne pouvait pas vraiment aller plus loin, et il livrait des morceaux de muscles qui étaient ensuite cuisinés. Un jour, il avait tenté de s’occuper lui-même de cela et avait fini avec une semelle de chaussure, ou du moins avec une texture similaire. Il s’améliorerait sûrement avec le temps…

Enfin, cela ne lui importait pas beaucoup, et il attendrait la réponse des chasseurs vers qui il s’était tourné. Contrairement à leurs corps musculeux, le sien semblait faible et ses habits en général assez amples étaient traitres quant à sa véritable puissance. Ils ne la remettraient peut-être pas en cause puisqu’ils étaient parvenus jusqu’ici sans avoir de blessures apparentes, cependant ils pourraient avoir l’impression que la chance avait été de son côté. Ishtar pourrait évidemment choisir de faire autre chose, ce qui obligerait les gardes à se diviser.

Autant d’explications qui perdaient le jeune homme. Ce qu’il retint cependant, c’était qu’ils devaient chasser trois espèces : une plante carnivore semi-géante, un rhinocéros-jaguar en bois et un Singe-Lézard. Il devait éviter de se tromper dans la chasse, parce qu’ils ne semblaient pas réellement commodes. Les esprits les regardaient, ce qui était bien « un truc de chaman » dans l’esprit d’Erwin. Celui-ci se contentait de sourire en écoutant simplement les remarques, tout en essayant de mémoriser le maximum d’informations. Aucune de ces espèces ne devrait lui demander particulièrement d’efforts, cependant il se doutait que ce n’était pas la peine d’aller sur une démonstration d’écart abyssale de puissance. Il se restreindrait à dix pour cent de ses capacités, pour peu qu’il soit capable de calculer.

Se retenir était un entrainement en soit ! Il se dit cela avant de tourner son regard sur la De Lerhane.

- On doit éviter de trop les abîmer. Coups nets, de préférence en évitant de briser tout ce qui peut l’être. Pour toi, attaquer la carotide sous forme hybride ou utiliser des griffes… Tu as des griffes ?

Il se posait cette question sans vraiment se la poser, et ses conseils étaient des conseils sans vraiment l’être. Il ne pouvait pas prédire la façon dont se battrait l’ange bilcane, cependant il espérait ne pas avoir à lui venir en aide. Est-ce que les chasseurs les aideraient ? Il n’en était pas si sûr que cela, et c’était pour cela qu’il devrait rester à relative proximité de son alliée. En cas de problème, il déploierait sa force, quitte à employer son Haki de l’Armement Avancé. Cela faisait un moment qu’il n’en avait pas fait usage, alors il devait doser.

- Nous veillerons à respecter vos coutumes, honorables chasseurs et habitants de ces lieux, fit Erwin en s’inclinant à nouveau légèrement.

Il observerait les bois. Une pulsation parcourut son cœur, plus rapide que les autres tandis que l’excitation de la chasse montait. Son regard de la couleur du ciel risquait de se transformer en rouge s’il devenait trop impulsif. Il inspira, et expira pour regagner son calme, avant de signifier aux insulaires :

- Nous vous suivons.

Ceux-ci s’échangèrent des regards et commencèrent la chasse. Ils étaient loin d’être en position de force contrairement à ce qu’ils pouvaient laisser paraître. L’île était un endroit dangereux, et seule leur expertise leur donnait l’avantage sur le terrain. Ils pouvaient traquer, repérer et dominer leurs proies sans pour autant détruire la nature. Certains portaient des armes au corps à corps, d’autres des arcs. Erwin ne prit pas le temps d’étudier plus leurs armes, se contentant de se demander comment ils faisaient pour survivre avec des outils aussi primitifs, bien que lui-même ait été doté de Disaster, une très ancienne épée qui utilisait un matériau solide et non moins primitif qu’était l’os.

Ses pas le guidèrent sans faillir jusqu’aux premiers lieux de chasse, près du chêne, où l’espèce endémique vivait paisiblement. Et ils étaient là pour briser cette quiétude, nourrir les femmes, les enfants et les guerriers de la chair sucrée des Juribonds.

- Comment différencie-t-on les adolescents des adultes ? Grogna Erwin en observant avec attention les animaux à la limite du végétal qui se trouvaient en bas.

Il n’arrivait pas à distinguer ces étranges animaux les uns des autres, et encore moins à dire qui étaient les femelles et qui étaient les mâles. Fallait-il déjà qu’il s’avoue vaincu ? Non, car s’il avait pu il en aurait tué deux un peu différent pour les étudier et identifier ses cibles, cependant les adolescents matures mais pas encore adultes étaient souvent difficiles à trouver dans ces troupeaux. C’était là que l’expertise des chasseurs était importante.

- C’est une créature étrange, constata Erwin avec un air simplement concentré.

Ces êtres entre le végétal et l’animal étaient fascinants. Le jeune homme se contenta de sourire devant l’apparition de sa première proie, et la description qu’on en fit. Il était incapable de ne pas voir les éléments qu’on lui mettait en plein milieu du nez. Il fallait donc qu’il fasse attention à la branche sur le museau… Quelle drôle d’idée ! Enfin, c’était la seule manière de le repérer, et il fallait éviter aussi de confondre un tel être avec quelque chose qu’il n’était pas. Sa branche ne devait, par exemple, pas être confondue avec un élément du décor. L’anneau de la branche donc…

Le blond fronça les sourcils, mais on lui indiqua rapidement quelle était sa cible. Il se dirigea donc, comme indiqué, à l’endroit où il aurait la vue la plus dégagée. Ainsi, il fut en place lorsque le sifflement retentit, et que l’animal leva la tête. De là où il était, la position était parfaite, et il trancha devant lui sans bouger. La gorge de l’animal s’ouvrit et il tomba sur le sol, sans qu’un souffle de vie ne puisse par la suite s’extirper de celle-ci. Les autres animaux, voyant certains des leurs tomber, et la hache s’enfoncer, prirent peur et s’enfuirent avec une certaine aisance, galopant dans la forêt.

- Passons à la suite, fit Erwin être allé chercher sa proie, la tenant sans difficulté sur son épaule. Il y a un autre troupeau dans la direction opposée à la fuite de ceux-là, ajouta-t-il, les sentant une cinquantaine de mètres plus loin.

Le troupeau était composé de moins d’une dizaine d’individus, mais cette fois-ci principalement des adultes. Il y en avait six, accompagnés de trois enfants. La configuration était étrange, mais Erwin analysa rapidement la raison : c’était sûrement des jeunes pousses qui avaient encore besoin du lait maternelle – ou de la sève maternelle, c’était presque des végétaux après tout. Ils restaient proches des femelles, en-dessous desquelles des mamelles étaient visibles.

- En prenant les trois mâles là-bas, fit le jeune homme. Nous aurons la commande.

Les chasseurs acquiescèrent sans relever ses analyses qu’il n’avait détaillé qu’à mi-voix. Il indiquerait alors à Ishtar, si elle le voulait, de tenter sa chance avec les Juribonds. Bientôt, Erwin mettrait à terre le second d’entre eux, tandis que les chasseurs s’occuperaient du premier. La De Lerhane aurait alors le champ libre pour mettre fin à l’existence du troisième, tandis que les autres animaux s’élanceraient dans la forêt. Après une petite prière à l’adresse de leurs esprits, le blond pourrait s’installer et demander ce qu’ils devaient faire de la viande, s’ils n’avaient pas déjà procédé à cela. Ils partaient, après tout, les mains vides. Devaient-ils revenir au village pour ensuite repartir à la chasse, ou avaient-ils une méthode de conservation ?

Quelle que soit la réponse, il aiderait du mieux qu’il pourrait, sans que les chasseurs n’aient pour l’instant fait de commentaires sur ses aptitudes bien particulières, mais pas peu communes sur le Nouveau Monde.

« Bald » et « Neamhain »… Erwin comprit ce dont il s’agissait sans qu’ils aient besoin de l’expliquer. Il avait démontré des aptitudes qu’on appelait fluide, haki ou encore mantra en fonction des endroits. Il se contenta donc d’acquiescer silencieusement sans s’en vanter : c’était bien courant sur le Nouveau Monde d’en maîtriser un des deux, un peu plus rare d’en avoir les deux, et encore plus rare d’avoir une maîtrise supérieur comme Erwin en avait. Il n’était pourtant pas spécialement fier de cela, et s’il se savait puissant il n’avait pas l’intention d’en profiter pour soumettre des personnes qui n’étaient pas ses ennemis. Bien au contraire, il leur en ferait profiter au besoin.

Erwin ne fit aucune remarque, même intérieure, sur la notion de patriarcat en place dans ce système. Il n’avait jamais connu de figure maternelle, et cela ne l’avait pas empêché de se développer, pourtant il était au courant que certaines pratiques qui semblaient archaïques dans d’autres contrées étaient encore en vogue ici. Il laisserait Ishtar porter autant de Furibond qu’elle le voulait, ne cherchant pas à s’imposer auprès d’elle. Après être revenu au village, on lui confierait la chasse des Cornfélia, ces plantes carnivores géantes à la fois toxiques et assez puissantes. Le jeune homme se contenterait d’accepter : deux en fleurs et sept ou huit pousses…

- Je pense que ça ne devrait pas me prendre trop de temps, ferait il en souriant.

Et il partirait à la chasse, en appliquant la parcimonie dont ce peuple semblait vouloir faire preuve. Il prendrait avec lui quelques matériels de protection, dans le but de ne pas mélanger sa peau avant la détoxification des plantes. Quand il arriverait devant la plus âgée d’entre elle, mesurant cinq mètre vingt de hauteur, il la contournerait. En fleurs… Non, celle-ci n’était pas en fleurs, ou du moins elle était trop grande. Il se rabattrait sur plusieurs Cornfélias plus petits qu’il prendrait comme on cueillie des champignons en automne, avant de revenir dans le village comme si de rien était, son butin avec lui.

- J’en serai honoré, ferait Erwin en s’inclinant légèrement, un sourire sur le visage. Je ne sais pas pour toi, Ishtar, ajouterait-il quand le Chef serait reparti à ses occupations. Mais j’irais bien voir un petit peu ce qu’il s’est déroulé pour qu’il y ait une telle explosion.

Soudain, le chasseur qui était resté aurait un mouvement de sursaut, puis de recul, se grattant la tête comme s’il était embêté par cette demande. Il avait fait preuve d’une certaine impassibilité depuis le début de la journée, alors qu’est-ce qui le troublait à ce point ? Même s’il avait envie de creuser, le blond se disait que ce n’était pas très poli, et voyant l’embarra il corrigerait simplement ce qu’il avait envie de dire :

- Quoique ça pourrait être dangereux, s’il y en a une seconde. Pourquoi ne pas aller nous laver les mains, et aller voir si on peut donner un coup de main en cuisine ?

Il n’était pas spécialement bon là-dedans, cependant cela sembla rassurer le chasseur qui acquiesça un peu vigoureusement. Il les invita à le suivre, et Erwin put détailler le village alentours. Ils n’avaient pas de réel système d’eau, mais ils n’étaient pas non plus démunis. Les lieux étaient relativement propres, il y avait un concept de compost qui permettait d’éviter que les déchets végétaux et animaux ne pourrissent dans les rues. Les sortes de pots de chambre ne semblaient pas non plus vidées dans les ruelles, étant donné que l’odeur dominante n’était pas l’urine mais bien celle de la nature. Il se demandait comment une telle conscientisation de la santé était possible dans un peuple aux coutumes pareilles, mais il dut se faire une raison : il fallait poser des questions s’il voulait savoir, et il était plus curieux de se tourner vers la nourriture que vers la gestion du système de déchets.

Le blond ne put s’empêcher d’admirer ce qui se déroulait en cuisine. Il sourit en s’approchant d’un jeune homme d’un an son aîné qui le regarda, peinture rupestres sur le visage, un air concentré. A la place d’une de ses jambes se trouvait un membre en bois qui le maintenait en équilibre, sûrement la raison pour laquelle il réalisait des tâches réservées aux femmes de la tribu. Les personnes dans cette situation étaient souvent dans des conditions de vie un peu reculées, mais il était rare qu’elles ne soient pas bannies ou tuées. Intégrer les handicaps de chacun était une grande force pour un peuple qui ne perdait rien de la qualité de ses membres, et il semblait parfaitement bien se débrouiller.

De temps à autres, son regard intrigué passait vers Erwin, laissant échapper un petit hoquet de surprise quand ses mains venaient réajuster la posture de son poignet, comme s’il savait que ce n’était pas la bonne façon de faire. Il avait certes l’habitude de faire, mais le contact avec d’autres personnes n’était pas quelque chose dont il avait l’habitude.

- Pourquoi tu… ?
- Oh, tu parles ma langue, s’étonna Erwin avec un sourire candide.
- J’ai appris… Beaucoup parlent un peu la langue courante.

Il tenta de se concentrer sur sa viande, mais soudain un faux mouvement la lui fit lâcher dans le feu. La main d’Erwin la rattrapa au dernier moment, plongeant dans les flammes sous le regard effaré de l’insulaire qui l’observa devenir noir d’un seul coup. Quand il souleva le morceau de viande, l’adolescent de l’île ne put s’empêcher de soupirer de soulagement après avoir repris le repas.

- C’est Neamhain…
- Oui, on appelle ça le Haki de l’Armement par chez moi.

Il acquiesça et lâcha un petit « merci » en rougissant. Il lança alors par intermittence des regards intrigués sur le jeune garçon qui continua son petit jeu de touchers, ne se rendant pas compte de la signification que cela pouvait avoir. De l’autre côté, Ishtar était en train de réaliser de la véritable cuisine, là où lui n’était de toute évidence pas dédié à la tâche. Une fois qu’il eut fini d’aider Grlatig, l’adolescent, il se dirigea avec lui pour faire une partie de la vaisselle. Il fut là beaucoup plus efficace, et accomplit le travail de trois hommes en un rien de temps, ce qui eut le don de lui attirer quelques regards satisfaits ou admiratifs qui le firent à son tour rougir.

- Tu es intéressant, fit Grlatig en regardant Erwin dans les yeux.
- Merci… Toi aussi, répondit-il avec un sourire enfantin qui arracha un rougissement sur les joues de Grlatig, avant de le laisser se retourner et se diriger vers sa hutte.

Une vieille femme profita de cet instant pour approcher le blond, le détaillant de haut en bas. Elle sembla hésitante, parlant dans sa langue avant de reprendre son intervention dans celle d’Erwin :

- Grlatig est un garçon qui a perdu parents et jambe à la chasse. Sa mère était chasseuse, bonne chasseuse. Grlatig fragile.

Elle fit un signe de quelque chose qui se brisait sous la pression, comme si elle cherchait à faire passer une pensée trop compliquée à traduire. Il devait exister dans sa langue un mot parfait pour cela, et une périphrase approximative dans celle du blond. Le sens des mots était compliqué à retrouver, c’était une source d’incompréhension entre les tribus et les gens de l’extérieur. Il acquiesça, venant de passer plus d’une heure avec un adolescent qui recherchait certaine toute forme d’affection possible. Lui-même ne le comprenait pas : il n’avait jamais compris les rapports humains, leur façon d’interagir, les codes… Parfois, il comprenait seulement que tout lui échappait, et qu’il vivait au jour le jour.

Sa mine s’assombrit peu de temps, avant que le repas ne commence et qu’il ne se retrouve entre un Grlatig très bavard sur sa vie à l’extérieur et un autre chasseur de la tribu qui n’arrêtait pas de parler dans sa langue, sans chercher à se faire comprendre, obtenant des regards noirs de l’adolescent insulaire.

Pour le blond, la nourriture et la chaleur humaine autour de lui étaient deux cadeaux dont il ne pouvait définitivement pas se passer. Il aimait la proximité de ces personnes, et avait même tendance à ne pas respecter les limites imposées par la décence. Ce qui l’avait poussé avec Ishtar à ne pas s’investir physiquement, c’était l’aura qui se dégageait d’elle et qui appelait au calme, et à la retenue. Il savait qu’il n’aurait pas eu une réponse favorable à un contact trop fréquent, et comme il cherchait intentionnellement à bien se faire voir, pour pouvoir la protéger, c’était tout naturellement que sa nature s’était mise en retrait. Lors du repas, il prit ainsi pas les épaules le jeune Grlatig qui ne put s’empêcher de glousser, se tournant vers Erwin à de nombreuses reprises.

Les paroles du chef vinrent ainsi mettre un terme à ce moment de convivialité pour le remplacer par un autre temps, plus solennel. L’insulaire qui s’était pris d’affection pour le blond tourna son regard inquiet vers ce dernier, ne sachant pas comment il allait réagir… Mais il n’y avait rien à craindre. Il avait déjà enlevé son tee-shirt, dévoilant un corps certes scarifié, malmené par les expériences de la vie, mais parfaitement dessiné et musclé. Le village put constater dans un souffle commun, presque angoissant, que ce garçon n’était pas quelqu’un à prendre à la légère. Ils n’admiraient pas le corps en lui-même, mais la puissance qui s’en dégageait. C’était ainsi que les guerriers, silencieux, eurent une même pensée : Erwin était sûrement, à l’heure actuelle, la personne la plus dangereuse de l’île.

Pourtant, il n’émanait de lui rien d’hostile, ce qui calma les inquiétudes des uns et des autres. Il acceptait de se faire enduire d’une substance qu’il ne connaissait pas, concoctée par des inconnus, ce qui signifiait qu’il leur attribuait sa confiance… Il y aurait très bien pu y avoir des toxines néfastes dans cette préparation, mais il semblait ne pas voir le mal là où il pouvait se poser. Il jeta un coup d’œil à Ishtar pour la conforter, comme s’il savait ce qu’il faisait, alors qu’en réalité non.

Les deux invités furent donc dirigés vers l’arbre central du village. Haut de plus de dix mètres, il offrait une vue imprenable sur les environs, bien que la végétation cache en réalité une majeure partie de ce qui se déroulait en bas. Ses racines sortaient de terre à certains endroits, enveloppant les maisons dans une sorte de chaleur protectrice naturelle. Le sourire d’Erwin se perdit sur les différents éléments du décor, colorés et plaisants.

On lui étala le cataplasme dont les grains se perdirent autour de ses cicatrices, sans lui provoquer le moindre mal, puis on lui intima de s’agenouiller dans le ruisseau. Peu de gens réussissaient à lui faire prendre cette position, même s’il n’y trouvait rien de condamnable.

Les prières se firent sous le regard de la tribu, et Erwin y trouva à la fois un certain réconfort et une certaine communion. S’il avait pu abandonner son rôle, aurait-il aimé vivre ici ? Il l’avait espéré, pendant un temps, mais il était aujourd’hui entièrement dévoué à sa mission, et rien ne viendrait jamais le séparer de ses convictions. Certes, défendre l’histoire des territoires était une idéologie dont il se fichait, mais pouvoir voyager et se battre sans montrer de merci à ses adversaires, c’était là une des plus appréciables parts de son métier.

Lorsqu’on lui dit de se relever, il rouvrit les yeux et aperçut dans le lointain le visage anxieux de Grlatig. Le garçon à la jambe de bois avait l’air soucieux, ce qui lui allait plutôt bien. Erwin se tourna vers Ishtar et lui offrit un sourire amical, avant de déclarer :

- Je vous remercie de nous honorer de cette cérémonie. Pendant la courte durée de notre séjour, n’hésitez pas à nous solliciter.

Il s’inclinerait à nouveau respectueusement avant que le chef ne les laisse partir. Les mères viendraient alors entourer la grande femme ailée, comme une vague qui vient se briser contre la coque d’un navire. Quant à Erwin, il se dirigerait vers son nouvel ami et lui ferait signe, tandis que ce dernier lui apporterait de quoi s’essuyer, ainsi que le tee-shirt qu’il avait laissé nonchalamment au sol. Il rougirait, sourirait et secouerait la tête dans une organisation presque étrange.

- Ton amie en a sûrement pour la nuit, déclarerait-il. Tu veux dormir chez moi ?
- Je vais demander l’autorisation au chef… Ce sera avec grand plaisir, ça fait longtemps que je n’ai pas fait de soirée pyjama.

Après avoir obtenu l’autorisation du chef et avoir averti Ishtar, Erwin se hisserait dans la tente de son nouvel ami. La paillasse au sol était composée d’une herbe présente en quantité sur l’île, et qui dégageait une odeur relaxante. Le lit avait été cousu avec soin, relevant presque du travail d’orfèvre, rembourré avec différents matériaux présents sur l’île. Après avoir veillé une partie de la nuit, se racontant des histoires tout en jouant comme deux adolescents, parlant de la vie sur l’île.

Le lendemain matin, ce serait un chasseur qui viendrait les réveiller, Grlatig sous la couverture et Erwin, le ventre à l’air, positionné au-dessus, une jambe surmontant son camarade. Il baillerait et irait voir ce qu'il y avait à faire aujourd’hui, en compagnie d’Ishtar, ne remarquant pas réellement qu’ils étaient plus proche du déjeuner que du lever.

Le garçon observa l’ange qui faisait bien presque deux fois sa taille, et se contenta de lui sourire tout en lui répondant sur un ton gai :

- Oui, bien dormi, et toi ?

Une fois la réponse obtenue il détaillerait le travail des femmes du village, tout en portant un regard sur les concoctions naturelles utilisées pour retirer les odeurs et les tâches des vêtements. Elles n’étaient pas très efficaces. Son sourire niais ne quitta pas ses traits, le laissant sur le petit nuage qu’il avait quitté quelques instants plus tôt. C’était vraiment une expérience qu’il n’avait jamais eu, un ami… Ah, qu’est-ce que ça l’amusait !

Il se posa quelques instants au bord de l’eau, jouant avec celle-ci en créant de petits tourbillons à l’intérieur. Ses mouvements étaient vifs, et rapidement on lui demanda de passer sa main dans l’eau avec les vêtements pour réaliser des gestes rapides, dans le but d’enlever quelques tâches et odeurs supplémentaires. Lorsqu’il se releva, il ne put qu’observer la personne qui était apparue dans son dos, une mine ensommeillée et des cernes aux yeux. Les mères de famille le dévisagèrent, allant même presque jusqu’à le juger pour son retard. Cependant, il était encore un adolescent, et bénéficiait de ce fait d’une sorte de jurisprudence pour ses retards.

Les lèvres d’Erwin s’étirèrent tandis qu’il se dirigea vers Brlatig, le tenant par la main, ou le tirant tout en le faisant boiter sur sa jambe de bois, pour le présenter à la blonde ailée.

- C’est Grlatig, mon nouvel ami.
- En… Enchanté, déglutit le garçon en regardant la femme de trois mètres, tout en levant sa tête vers le haut.

Ses yeux étaient pétillants, et il semblait réellement admirer la stature devant lui. Il voulut bégayer quelques paroles mais finit par tenter de se ressaisir pour être poli. D’un œil aguerri, Erwin profita de cette scène pour fixer les deux personnes qui les surveillaient, lui et Ishtar. Il avait eu le droit à un roulement entre temps, cependant il avait déjà remarqué leur présence sans soucis.

- Grlatig, tu nous conseilles de voir quoi ?
- Les artisans, leurs techniques… Ou alors les métiers à tisser ? Je participe à cette activité tout à l’heure.
- Merci du conseil, sourit le blond.

Un ami, c’était quelque chose ! On pouvait même lui demander conseil sans le payer. Il pouvait bien rester ici jusqu’à sa prochaine mission… Non, il valait mieux ne pas trop traîner. Ishtar aurait un jour besoin de revenir à la civilisation, et il devait lui permettre de quitter l’île. S’ils trainaient trop, il devrait la laisser se débrouiller seule, or le Nouveau Monde n’était pas assez clément pour cela. Il avait fait une promesse, et il comptait bien s’y tenir. Il pourrait peut-être revenir plus tard, et s’amuser avec son nouvel ami.

- Je te propose qu’on aille voir les artisans d’abord, proposa le garçon à l’ailée. On pourrait observer la manière dont ils aiguisent les pierres. Je me demande s’ils ont un système automatique de meules.

Il y avait beaucoup de techniques pour aiguiser, mais chez les forgerons certains aimaient bien utiliser des meules dans le but d’offrir un tranchant équitable sur toute la lame. Le traitement était parfois risqué, mais Erwin n’avait jamais eu besoin de réellement s’y intéresser. S’il y avait bien quelque chose que l’épéiste n’était pas, c’était forgeron. Ses vagues connaissances étaient héritées de discussions divers ou d’observations forcées, pour ses missions. Il pourrait ainsi observer certains chasseurs tanner les peaux pour en faire du cuir, ou certains menuisiers utiliser des cadavres d’animaux pour construire des planches… Bien qu’en réalité, c’était tellement improbable que ce fut ce qui retint le plus l’attention d’Erwin. Alors même qu’il envisageait d’aller voir les personnes qui maîtrisaient la création de flèches, il entendit dans son dos une petite explosion. Le village s’arrêta un instant, et comme un seul homme, sans une once d’hésitation, tous regardèrent en direction de la fumée. Ils se remirent alors au travail sans réellement y prêter attention.

Erwin écarquilla les yeux, et décida de se diriger dans la direction de la fumée. Il invita évidemment Ishtar à se joindre à lui, et lorsqu’ils arriveraient sur place, ils pourraient voir une jeune femme dans une blouse de scientifique en lambeau, les cheveux ébouriffés et brûlés aux extrémités, un regard apitoyé sur le visage.

- J’ai encore échoué ! Se plaindrait-elle. Il va falloir tout reconstruire… Encore.

Elle se tournerait alors vers les deux nouveaux arrivants, aurait un mouvement de recul après avoir pris réellement conscience de leur présence et dirait prudemment :

- Vous n’êtes pas là pour me manger, n’est-ce pas ? On m’a dit que les koulrad… les gens de l’extérieur mangeaient les petites filles.

Et elle était une petite fille. Du haut de ses treize ans, la peut-être scientifique semblait bien petite par rapport aux deux invités.

La jeune fille se retourna vers l’ailée sans la dévisager, se contentant de noter qu’elle était plus grande. Maintenant qu’elle s’était assurée de sa sécurité – sécurité en priorité ! comme disait son père autrefois – la demoiselle semblait reprendre le contrôle de ses émotions. Son sourire innocent et sa voix changeante au flux de ses émotions semblait annoncer qu’il s’agissait de quelqu’un de particulièrement honnête et niais. Elle semblait d’ailleurs plus à l’aise avec Ishtar qu’avec Erwin, comme si son instinct lui disait que la première avait moins de sang sur les mains que le second… Ce qui était entièrement vrai, et surtout diablement affolant : remarquer cela au premier regard, si c’était le cas, était assez exceptionnel.

- Je fais des expérimentations ! Mon père est… enfin, c’était un scientifique. Il n’est plus là.

Elle se tut avant de se gratter la joue, un peu gênée. Il n’est plus là, était-il mort ? Bien que la question brulait les lèvres du blond, ce dernier ne la détacha pas de son esprit et se contenta de continuer à réfléchir. Il écouta donc la suite des informations qui semblaient corroborer ses hypothèses.

- Papa avait l’habitude de travailler dans ce laboratoire, et quand il est parti, j’ai repris tout ça ! Comme c’était un étranger, il a mis du temps à se faire accepter par le village. Et puis, il était un peu bizarre avant…

« Un peu bizarre », hein ? C’était elle qui l’était. Erwin se contenta de jeter un regard vers l’intérieur du laboratoire, et la demoiselle les invita à rentrer dans la partie qui n’était pas encore totalement détruite. Elle avait aménagé un endroit spécial pour ses expériences qui risquaient de mal tourner. A ce qu’il en voyait, c’était plutôt une chimiste. Quelques vapeurs semblaient dangereuses, mais étaient en réalité des distillés de quelques plantes de l’île. Elle extrayait aussi des jus pour les habitants, grâce à un extracteur assez complexe mais diablement efficace.

Pour le blond, c’était quelque chose d’incongru : voir un tel travail au milieu de la nature, cela relevait du génie… Surtout que tout était fait avec des matériaux de l’île. Que ce soit le bâtiment ou les différents matériaux, il y avait eu une manipulation précise du minerai, de même que la création de tubes en verre… Apparemment, c’était le père de la demoiselle qui avait importé toutes ces techniques, dont certaines pouvaient sembler archaïques mais toutes étaient efficaces.

- Je suis impressionné, et tu as appris tout cela comment ?

Elle se dirigea d’un pas guilleret vers des livres. Ils étaient écrits dans la langue courante, mais certains, sur du papier un peu plus gros, étaient rédigés en langue locale. Elle semblait capable de lire les deux, même si elle ne faisait pas réellement la distinction, comme quand elle montra une partie en langue locale pour dire « Vous voyez ici, c’est le nom des plantes que vous avez ramené hier, et vous comprenez bien qu’elles sont dangereuses quand on lit leurs effets. ». C’était avec des étoiles dans les yeux qu’elle racontait cela.

De toute évidence, les techniques d’armement n’étaient pas ce que cet homme avait ramené, mais il était sûrement capable, de son vivant, de créer des objets révolutionnaires, et surtout de les adapter aux ressources de l’île. Quelques pages du livre étaient gribouillées de calculs mathématiques complexes pour calculer la densité des objets, ainsi que la dégradation de certaines particules. C’était tout un pan qu’Erwin n’osait même pas envisager d’explorer, et il se contenta d’observer la chose avec un regard très extérieur. Quand elle eut fini, elle déclara sur un ton autoritaire :

- Je dois me remettre au travail. J’ai des jus de Paciflores à distiller !

Et elle s’en retourna à sa tâche, laissant un Erwin coi devant tant de maturité.