Il avait vogué de Banaro à Boyn, puis de Boyn à Alabasta en à peine quelques jours. Après s’être séparé de Paradise dans le but de consolider leur réseau d’informations sur Grand Line, le maudit s’était contenté de montrer patte blanche à la ville portuaire. Il n’était ni primé, ni connu d’une quelconque manière. Petit chasseur de primes de proximité, il s’agissait d’une bonne chose de sa part d’être capable de passer les barrières du Gouvernement sans se faire remarquer. Bien sûr, un jour il serait en proie à devenir un criminel, et ce jour-là il regretterait sûrement la liberté de mouvements dont il jouissait actuellement. Cependant, créer un réseau d’informations était la seule priorité qu’il avait pour l’instant. Il devait non seulement faire cela, mais aussi former des espions.

Une certaine obsession ne le quittait cependant pas. Il abhorrait les prédicateurs du Constantiniste et ses suivants, il les haïssait comme un ennemi ultime contre qui il devait se battre. Sa colère envers eux était peut-être illégitime, cependant elle lui permettait de garder un objectif en tête à tout moment, et cela lui permettait de vivre. Ainsi, il fit dans un premier temps le tour des églises de l’île pour y voir les différentes figures qui représentaient ici les Constantinistes. Peut-être qu’il pourrait réussir à sauver quelques personnes de cette fausse foi.

- Admirez à quel point un nouvel homme est né !

Un de perdu, se dit Itazura en le regardant avec un air assez détaché. Pourtant, rien de mieux qu’un nouveau converti pour s’introduire dans le Constantinisme de l’île. Une idée vint en tête au jeune homme, et il décida de s’approcher de Sakuga, portant le masque de la curiosité tandis que ses yeux pétillaient à l’idée de parler avec un véritable égaré. Il était bien sûr perdu dans cette foi, sans foi ni loi, dans ce mouvement impertinent qui prétendait que le Gouvernement Mondial était l’incarnation de Dieu sur ce bas monde. L’idée d’en apprendre plus était irrésistible, même s’il fallait qu’il s’y infiltre.

- Bonjour, fit Itazura avec un air intéressé. Je m’excuse, je n’ai pu m’empêcher de vous entendre tandis que vous sortiez de l’église… Auriez-vous la gentillesse de me dire ce que cela fait d’être converti ?

Il n’avait pas la mémoire de l’affiche de la prime de cet étranger, et il n’était donc pas capable de l’associer à un mouvement criminel. Son faux sourire était normalement particulièrement bien simulé, puisqu’il avait passé ces dernières années à jouer des rôles et à masquer ses émotions, cependant il avait surtout envie d’en savoir un peu plus. Il demanderait sûrement des détails : qui avait conduit sa cérémonie, comment avait-il fait pour en arriver là, peut-être un parcours atypique et surtout, comment faire pour se convertir au constantinisme.

Bien sûr, à un moment de leur conversation, il faudrait qu’il se présente. Il n’en était pas encore là, il était mué par la curiosité face à ce jeune blondinet.

- Je vous propose d'aller à une terrasse pour discuter, si vous voulez, proposerait Itazura en invitant ainsi la personne en face de lui à baisser sa garde devant le drôle d'individu qu'il était.

- Deux ! Sourit le Mischief quand le serveur vint prendre la commande.

Le jus de cactus était une boisson basique riche en eau et au goût de fibre amer, en règle générale. Celui-ci avait une saveur acidulée, grâce à un mélange de citron et de mélisse, une herbe qui poussait sous serre dans un village voisin. Le garçon fixa pendant de nombreuses minutes Sakuga qui parlait, et surtout pendant quelques secondes l’avis de recherche sur la table qui ne provoqua absolument pas son émoi. Il l’avait déjà vu passer, mais il n’y avait pas prêté attention, sûrement parce que la prime ne dépassait pas les vingt millions de berrys et qu’il avait tendance à ne pas y faire attention.

- Ce n’est pas dérisoire, corrigea Itazura avec un sourire sur les lèvres. Que vous ayez trouvé votre voie est important. Je m’appelle Chief par ailleurs.

Il ne se présentait jamais sous son nom en entier, non pas par pudeur mais parce qu’il avait peu de sens de dire qu’il s’appelait « Itazura D. Mischief ». Certains l’appelaient encore Itazura, mais ils n’étaient pas très nombreux et il préférait qu’ils ne se propagent pas. Cela lui évitait de se souvenir de son ancienne, et contrairement à Sakuga, il n’y était pas attaché. Il mit un moment avant de toucher son jus de cactus, détaillant les traits de la petite prime qui voguait sur la tête du garçon.

- Sacré changement, sourit-il. Et vous êtes entré dans la marine ? Ajouta-t-il en faisant référence à l’uniforme qu’il portait sur ses épaules.

Il en avait entendu parler, une rumeur tout au plus : certains primés étaient en train de trouver la rédemption auprès de certaines figures de la marine, et on disait qu’ils allaient bientôt pouvoir prouver leur valeur. En tout cas, l’annulation de quelques primes n’était pas passée inaperçue chez certains chasseurs de primes qui avaient commencé à protester, mais lui ne faisait ce métier que par nécessité pour masquer ses activités un peu plus crapuleuses. Il lui était déjà arrivé de livrer un marine ou deux à des hors-la-lois après tout, et cela en toute impunité.

Fort heureusement, il était possible qu’il prenne le temps de faire des recherches plus tard. Les repentis étaient donc liés au constantinisme… Cela promettait de donner quelque chose d’intéressant dans le futur, et il n’aurait qu’à surveiller leurs mouvements de loin.

- Je veux bien que vous me disiez en quoi la religion vous a permis de vous repentir. Cela m’intéresse à plus d’un égard. Il est parfois difficile d’accuser le poids de ses pêchés seul, ferait il en baissant la tête et en touillant sa boisson froide, laissant penser qu’il avait quelque chose à se reprocher lui aussi.

De cette manière, il pourrait sûrement créer un lieu d’empathie avec cet homme. C’était un petit pari, qui n’était même pas risqué. En effet, ils allaient pouvoir continuer leur discussion sur un terrain confortable pour Sakuga Keigo. Chief se demanda s’il avait fait un sans-faute jusqu’ici… En tout cas, il comptait bien marquer des points. Mieux il serait intégré à la vie religieuse de l’île, plus il pourrait se camoufler et obtenir des renseignements facilement. Cette idée lui plaisait grandement.

Il avait donc tué des civils ? Cela étant dit, Itazura avait seulement tué des soldats, jamais d’innocents, même s’il devait avouer que la pensée l’avait parfois traversé. Egorger des personnes ne l’avait jamais peiné le moins du monde, et dans la liste de ceux qu’il avait tué il y avait sûrement des personnages qui possédaient un statut de presque-innocents, dont les crimes étaient si petits qu’ils ne pouvaient pas être appelés des crimes.

Quand il évoqua les noms de Raki Goshuushou et Akira Suzuran, Chief ne put s’empêcher de se dire que c’était décidément un bien drôle de destin qui le rapprochait de la personne en face de lui. Avait-il pris sa place dans Paradise ? Non, Psycho Circus et Paradise étaient deux entités différentes. Le capitaine était finalement l’inconnu au bataillon. Chacun possédait certes un passé… Enfin, il ne pouvait pas montrer d’animosité envers Sakuga, cela aurait été embêtant pour la suite.

- Votre île a été sauvée par le Constantinisme ? Vous êtes d'où ? Questionna Itazura après avoir écouté ce que la personne en face de lui avait à dire.

S’il avait dérapé un tout petit peu, on aurait pu sentir une immense colère à l’intérieur de ce garçon. Il détestait cette idée même qu’ils se soient encore mêlés des affaires d’une île. Lorsqu’ils étaient venus sur la sienne, ils n’avaient causé qu’une multitude de malheur et avaient failli le faire exécuter. Non, ils n’étaient décidément pas les saints qu’ils avaient l’air d’être et toute cette hypocrisie était une mascarade pour prendre le contrôle de ce qu’ils voulaient être un monde à leur image. Certaines personnes étaient sûrement bonnes, comme partout ailleurs, mais les Constantinistes devaient quand même tous périr.

- J’imagine que vous devez être quelqu’un de particulièrement fort alors ! Si ça vous dit, on pourra faire un petit match d’entraînement, je me débrouille pas mal.

Il avait envie de voir la puissance de cet homme, et il ne s’attendait certainement pas à une défaite cuisante. Au contraire, même s’il savait que Raki et Akira le surclassaient, il était certain qu’un homme qui s’était perdu en chemin devait avoir à peu près son niveau de combat.

- Je connais quelques préceptes, mais j’aimerais les entendre de votre bouche pour savoir si je ne me fourvoie pas.

Il lui fallait un peu de temps pour se calmer. S’il exposait les principes qu’il connaissait, alors ce serait simplement un constantiniste de plus. Il avait lu leurs foutus bouquins, et s’il n’était pas érudit en la matière il connaissait plus ou moins ce qui faisait office de tables de lois. Les lui rappeler permettrait sûrement de cimenter la haine qu’il avait pour cette religion. « La religion est responsable de tous les maux. », tel était son crédo.

« Bilca », c’était bien la première fois qu’Itazura en entendait parler. Il n’était pas versé dans les îles de Grand Line, et encore moins dans celles de la célèbre Mer Blanche, que Ghetis Archer avait popularisé par ses transports touristiques près de l’île de Jaya. Et c’était ce même homme, à présent Amiral de la Marine, qui était responsable de la mutation de Bilca en territoire gouvernemental. De toute évidence, c’était uniquement des salades, et il y avait anguille sous roche. Quel sorte de mal avait-il introduit dans cette société ? C’était tout simplement insupportable de voir tous ces peuples insidieusement réduits en esclavage par le Gouvernement Mondial. Il aurait aimé pouvoir les libérer, et leur offrir la vraie liberté, cependant son objectif était encore trop éloigné de la réalité dans laquelle il se trouvait, faible et incompétent.

Puis, il écouta sagement les préceptes. Attentif, il ne loupa pas l’endoctrinement qu’avait subi Sakuga. Pouvait-il l’en sortir ? Non, ancré à ce point-là, il valait mieux le tuer directement. Ou faire éclater la lumière sur le fait que cette religion était plus une idéologie arbitraire, une vue de l’esprit qui n’avait pas de fondements. Il sirotait donc son jus de cactus, et put même en commander un second et le terminer. Une fois que le blond termina son intervention, il répondrait sur un ton sérieux et intéressé :

- Voilà un certain nombre de préceptes, ferait le garçon avec un sourire sur les lèvres. Le Constantinisme couvre vraiment tous les terrains, ajouta-t-il plus pour lui que pour son interlocuteur. Est-ce que vous voudriez bien me mener auprès d’un prêtre ? J’aimerais pouvoir discuter avec l’un d’entre eux pour me permettre d’adhérer un peu plus à votre religion.

Il était en train de demander d’une certaine manière s’il pouvait se convertir, cependant il n’eut pas le temps d’obtenir une réponse construite puisqu’une altercation se déroula un peu plus loin en ville. Il faillit tiquer de la langue mais se retint pour éviter d’être trop suspecter. Ses yeux se tournèrent en direction de la scène sans s’y intéresser grandement. Il n’était pas un défenseur de la justice, et il oublia même que le marine en face de lui l’était pendant un court instant. Cependant, il prit le temps de juger la situation et conclut qu’il lui fallait suivre Sakuga, histoire de rester dans ses bonnes grâces. L’idée même de le voir lui permettrait au moins de se préparer à l’affronter plus tard.

Il se leva, finit d’un coup le reste de son jus et laissa quelques berrys sur la table avant de suivre le marine. La ville était faite sur un terrain de terre dans le désert, et elle avait était construite de manière assez stable. En creusant, on pourrait certainement y trouver les ruines d’anciennes civilisations qui avaient précédé cette ère. Pour une personne comme Chief, c’était impossible cependant d’envisager ce que pouvait être cette civilisation. Il se basait presque toujours sur ce qu’il connaissait, et s’il tirait des conclusions il ne pouvait le faire qu’à partir d’éléments tangibles ou évoqués par d’autres personnes. Tisser des liens… Ah, il était en train de tisser un lien pour le futur. Si cette personne grandissait, il serait peut-être plus à même de réaliser la chute du Constantinisme en l’utilisant…

Enfin, du moins, c’était ce qu’il espérait.

« Meredith Helmaroc » ? Rien qu’elle ? C’était une puissante Vice-Amirale, et c’était d’autant plus inquiétant qu’elle avait sûrement un rôle important dans la diffusion du Constantinisme. Il eut du mal à garder sa contenance, heureusement que l’action ne tarda pas à arriver. Ils arrivèrent devant la femme et Sakuga promit de lui rapporter son sac. « En même temps, si tu ne le tenais pas comme une cruche », avait envie de dire le jeune homme, mais il se retint. Il n’était pas là pour rappeler les règles du  jeu à cette bonne dame pour qui il n’avait, de toute évidence, aucune empathie.

Elle sembla réceptive à la mention du Constantinisme et les lèvres de la dame se délièrent, affichant un sourire qui n’avait rien de rassurant dans la situation. Il décida donc de suivre son camarade d’infortune… Et fut tout simplement bluffé par sa vitesse. Elle s’apparentait à celle de Raki, peut-être même un peu supérieure puisqu’il utilisait une forme de soru, une technique capable d’accélérer les mouvements de son utilisateur de manière assez exponentielle. C’était… Non, il ne pouvait pas rattraper le Keigo, même s’il voyait que ce dernier faisait un effort pour qu’il l’ait toujours à vue. Quelle honte !

Oui, il était bien plus rapide, et le résultat du match d’entraînement ne fit aucun doutes, d’autant plus qu’Itazura tenait à ne pas dévoiler son fruit du démon au cas il devrait s’échapper plus tard dans la journée. Mieux valait garder un atout dans sa manche, que cela soit négatif pour ses relations actuelles ou pas… En tout cas, il ne prévoyait pas de le jouer dans l’immédiat.

- N’en… sois pas… si sûr ! Dirait-il, essoufflé, continuant malgré tout la poursuite à plein régime.

C’était bien sûr une plaisanterie concernant le résultat du match. Sakuga pourrait comprendre peut-être par là une partie de la nature de Chief, un petit joueur qui aimait bien taquiner les autres. Ils arrivèrent au niveau des docks, et il haleta péniblement, observant la personne en face de lui qui semblait aller parfaitement bien. Finalement, il releva le torse et regarda son interlocuteur avant de se craquer les doigts.

- Ne pas tuer, ça devrait être dans mes cordes. Je suis plutôt street fight, alors je te laisse les plus gros bonnets ici, préciserait-il comme si la justification était nécessaire.

Il était passé au tutoiement, sans le remarquer. Son regard était animé par l’envie de voir le niveau des personnes qui se trouvaient là. S’il se faisait bien voir, il pourrait revenir sans le marine pour les soumettre et obtenir leur soutien inconditionnel, s’il en restait bien sûr. Enfin, sinon ils seraient remplacés par les hommes de Paradise qui viendraient prendre le contrôle du trafic de Nanohana.

- Ne perdons pas de temps, ferait l’homme maudit en invitant l’épéiste à se diriger en premier sur la scène.

Il avait l’intention d’en découdre là-bas, ce qui serait sûrement le premier pas de la reconnaissance de l’église de cette ville sur l’individu qu’il était. S’il pouvait faire mine de se convertir, cela lui rapporterait beaucoup… Beaucoup plus qu’un simple cartel de pickpockets de bas étage.

Voulait-il lui apprendre le Soru ? Non, cette idée était saugrenue, et elle ne l’intéressait de toutes les manières pas. Si cette technique avait des avantages, elle penchait malheureusement dans un côté très pervers puisqu’il ne s’agissait pas de téléportation mais de déplacement instantané. Autant dire qu’il y avait un risque à chacune de ses utilisations de finir embroché sur une pique, ce qui était d’autant plus effrayant qu’on ne voyait rien venir. De toutes les manières, il ne put pas suivre le mouvement de l’ange des yeux. Il se frotta la tête et soupira en reprenant son mouvement, se disant qu’il ne resterait peut-être plus rien à son arrivée, « et que c’était mieux comme ça. ».

Finalement, il arriva sur la scène dans la direction de ceux qui tentaient de s’enfuir. Trois hommes au gabarit plutôt impressionnant étaient en train de prendre la poudre d’escampette, ayant échappé aux assauts de Sakuga grâce à une incommensurable chance : ils n’étaient pas sur son trajet. Parmi ceux qui restaient encore debout, quelques cris, des grognements, et principalement une odeur de panique se dégageait. Enfin, pour peu que la panique ait une odeur. Le zoan vit arriver sur lui les hommes qui lui firent signe de se pousser et de s’enfuir. Il soupira lourdement et attrapa le premier par le poignet avant de l’envoyer au sol par-dessus son épaule. L’ennemi ne comprit pas ce qui lui arrivait, son propre poids brisant les pierres sur lesquelles il tomba dans une forme de brouhaha.

- Tu es avec lui ? Enfoiré…
- Faut fuir, avant que… !

Le second avait eu le bon réflexe, celui de vouloir fuir. Cependant, son visage rencontra bientôt le poing de Chief qui lui cassa le nez, avant de le balayer au sol. Son crâne tomba en premier sur les pierres, et il s’évanouit tout simplement. Quant au dernier homme, son regard était passé de farouchement en colère, à passablement incertain. Ce fut à ce moment-là que Sakuga intervint, ayant mis à terre une tripotée de hors-la-lois qui faisaient dire à Itazura qu’il n’avait pas intérêt à s’en faire un ennemi dans l’immédiat.

- Ca progresse, t’inquiètes ! Beugla-t-il à quelques dizaines de mètres de l’ange.

Le dernier prit cela pour une provocation, et s’élança vers le garçon. Il tenait dans sa main un couteau, et visa directement le torse dans le but de blesser fatalement son adversaire. D’un coup du plat de la main, Chief interrompit l’action et le couteau tomba au sol. Il saisit d’une main l’homme par le cou, et d’une autre il envoya un coup dans l’estomac de l’opposant. Il en fallut quelques-uns supplémentaires avant qu’il ne cède à l’inconscient.

- Et bien, le gras ça protège, lâcha-t-il en secouant sa main, ayant eu un peu mal dans le processus.

Il tourna le regard en direction de Sakuga et se dirigea vers lui en soupirant. Il n’y avait pas vraiment quelqu’un d’intéressant ici… Oh, oh, oh, mais qu’apercevait-il ? Son sourire s’illumina tandis qu’il découvrit le visage d’une des victimes de Sakuga, masqué par une capuche. C’était un des prêtres constantinistes. Une opportunité en or était en train de se présenter : certains hommes de fois venaient trouver dans les bas quartiers des plaisirs qu’ils ne pouvaient trouver ailleurs. Celui-ci était clairement un consommateur de drogues, à en croire ses pupilles.

Il se tourna en direction de l’épéiste et traîna l’homme par le col, lui faisant nonchalamment nettoyer les pavés avec sa robe cachée sous la cape qu’il venait d’enlever.

- C’est pas un de tes nouveaux copains de Nanohana ?

En effet, s’il avait retenu quelque chose c’était bien qu’il faisait partie des prêtres qui lisaient l’Evangile dans la rue, et qui rameutait les foules pour leur église chérie.

L’incalculable temps que prit Sakuga pour déblatérer sur sa foi fut tant de minutes que Chief ne récupèrerait jamais. Il eut presque envie de l’interrompre, mais son objectif lui revenait sans cesse en tête tandis que le pauvre prêtre semblait trop sonné pour comprendre réellement ce qu’il lui arrivait. Après tout, le Keigo n’y était pas allé de main morte. Sa prime avait sûrement été sous-estimée à l’époque, ce qui le rendait particulièrement dangereux puisqu’on avait tendance aussi à le voir comme un faiblard, selon l’avis de recherche qu’il avait vu plus tôt. Chief aurait pu parier que s’il s’opposait à lui, quelle que soit la configuration, il perdrait. Il n’aurait peut-être même pas la chance de lui porter un coup. L’idée même de l’entraînement ne lui reviendrait pas à l’esprit de sitôt.

- Sacré discours, fit il comme s’il était impressionné.

Mais les regards autour de lui disaient autre chose. Certains, ceux qui vacillaient entre l’ombre et la lumière, semblaient plus proches de suivre ses conseils. Cependant, il n’émanait pas encore de ce Constantiniste une aura suffisante pour soulever les troupes, pour émouvoir au plus profond. La rédemption parlait aux criminels qui voulaient changer de vie, pas à ceux comme Itazura qui se croyaient ou se savaient dans le juste, dans une vision du monde qui leur correspondait.

Ici, dans des quartiers malfamés où beaucoup d’enfants pauvres venaient se perdre pour ne jamais en sortir, il avait cependant une audience relativement attentive, condamnant le crime et apportant un jugement miséricordieux. Il décida cependant de les laisser vaquer pour la plupart, à l’exception du prêtre et de l’adolescent, dont le second allait devoir rapporter son sac à la dame et s’excuser. Etait-ce suffisant ? La marine avait-elle oublié le Décret Décima ? Oui, certainement. Les préceptes constantinistes étaient venus les remplacer, même s’ils étaient en réalité en place depuis plus longtemps que l’ancien Monarque, dirigeant des Décimas, mort sur Merveille de la main de la Sainte Mort, Sergueï Ivanovitch. Rien que ce nom laissait des frissons s’étirer dans l’échine de Chief.

- Allons-y, je suis curieux de voir l’église, et pas la peine de me payer quoique ce soit.

Il était honnête, là. Il n’avait pas envie de recevoir l’aumône de son ennemi. Au contraire, il préférait jouer sur ce tableau et obtenir une faveur, si cela était possible, aussi minime soit-elle pour porter le Constantiniste vers sa propre fin. Pourtant, il n’était actuellement en état de réfléchir à cela, il était trop intéressé par ce que l’église avait à lui montrer. En effet, que pouvait-il bien voir dans un lieu comme celui-ci ? En tout cas, il accompagnerait le groupe et prendrait le prêtre sur son épaule pendant tout le trajet, l’ayant au préalable ligoté avec une corde qu’il avait pris dans un seau qui se trouvait à proximité de la scène.

L’homme n’était d’ailleurs pas des plus coopératifs, sûrement de peur des représailles. Quand ils arrivèrent devant la dame, celle-ci remercia à de multiples reprises Sakuga, et frappa avec son sac sur l’adolescent tout en lui faisant la morale. Ah, ce type de personnes insignifiantes pour l’existence d’autrui importunait Chief rien que par sa vue. Il la débectait le plus simplement du monde, il détestait ces grandes figures peu éloquentes qui vomissaient leurs paroles vides de sens sur des personnes dont elles ne comprenaient pas le mode de vie. Ce qui rendrait Sakuga convainquant, c’était qu’il savait ce dont il parlait. Certes, il ne pourrait pas toucher tout le monde, mais il semblait en avoir confiance. Il « sauverait » selon son système de valeurs ceux qui avaient besoin d’être sauvés, et quant aux autres ? Ah, les autres, cette belle tâche sur l’équation de la foi.

Suivant le blond, Itazura se contenterait d’observer les alentours et délivrerait le prêtre le moment venu.

L’architecture d’une église ne faisait pas l’autre. Les codes employés ici étaient ceux de la ville en elle-même, ce qui permettait aux habitants de ne pas voyager trop loin pour accomplir leur foi. La beauté du lieu était riche : d’épaisses colonnes soutenaient une voûte couleur sable. Des vitraux épuraient la lumière du soleil et marquaient, au centre de l’édifice religieux, différents motifs abstraits grâce à un enchantement de couleurs. On pouvait noter des séries de bancs qui étaient positionnés face à un hôtel, et de chaque côté de la pièce différents présentoirs où étaient disposés cierges, statues représentatives de Saint-Constantin, symboles du Gouvernement Mondial ainsi que petits livrets pour organiser les cérémonies, reliant les chants porteurs du Constantinisme.

Des personnes étaient déjà installées sur les bancs, ou s’étaient agenouillées devant l’autel principal sur lequel siégeait une coupe faite d’or, qui était présentée à chaque messe. La beauté du lieu était à la foi éphémère et impossible à opposer. Même Itazura pouvait voir pourquoi des personnes appréciaient venir dans ce lieu où régnaient à la fois le calme et l’aura que renvoyait la religion.

Il voyait pourtant l’autel comme un lieu sacrificiel, et ces âmes errantes comme celles qui allaient boire les mensonges de ce Gouvernement Mondial. Une vieille dame seule pleurait dans un coin de la pièce, priant avec son alliance dans la main. Le maudit eut un air peiné à l’égard de cette personne. Les larmes étaient après tout le langage silencieux du deuil, et elle respectait à son tour cette façon de ne pas élever la voix et les suppliques dans ce lieu de culte.

Pourtant, le prêtre s’approcha d’elle, et commença à la réconforter. Elle tomba dans ses bras, lui, le faucheur d’âme qui utilisait la peine des esseulés. C’était pitoyable, et pourtant en cet instant il aurait du mal à lui donner tort. Il n’y voyait qu’une opportunité, pourquoi ne pas la saisir ? Finalement, les paroles de Sakuga devinrent comme une piqûre de rappel. Il avait bien une mission, lui aussi.

- Je pense avoir une mission, ou je me suis donné une mission. La foi m’aidera sûrement à la mener à bout.

Mais de foi il ne restera pas à ce bout. Le garçon n’eut pas le temps de continuer sa phrase, car le prêtre s’approcha des deux hommes. Il regarda ce qu’Itazura transportait sur son épaule, et fronça les sourcils intensément. Il ne s’affola pas grâce à l’uniforme de marine que portait le blond, même s’il fallait avouer qu’il n’était pas rassuré.

- On vous ramène un collègue… débauché, disons, annonça Chief en posant l’homme saucissonné au sol.
- Ce sont des menteurs ! Hurla le prêtre, attirant l’attention des prieurs.
- Peut-on faire ça dans un autre endroit ? S’inquiéta le prêtre, indiquant l’un des lieux de discussions privées.

Ils pourraient donc s’y diriger, et Chief laisserait son collègue exprimer la situation et la régler. Il attendrait qu’ils aient conclu cette affaire pour regarder le prêtre avec une forme d’intensité qui n’avait rien à envier à celle des croyants. La simulait-il ou ressentait-il une émotion différente ? En tout cas, cela perturba l’ecclésiastique dont les lèvres devinrent sèches et les joues rouges, comme si ce type de considérations lui était encore peu familier. Il voulait agir en bon représentant de sa paroisse, après tout, et il faudrait sûrement un peu d’aide pour désamorcé la situation, comme si le maudit n’osait pas dire ce qu’il avait sur le bout des lèvres.

Notre Père sur la Terre Sainte
Que ton nom soit sanctifié
Que ton règne perdure
Que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel
Donne-nous aujourd’hui notre pain de ce jour
Et pardonne-nous nos offenses
Comme nous pardonnons aussi
A ceux qui nous ont offensés
Et ne nous soumets pas à la tentation
Et délivre-nous du mal
Car c’est à toi qu’appartiennent
Le règne, la puissance et la gloire
Pour les siècles et les siècles

Amen
La prière résonnait dans les oreilles des croyants au sein de l’église. Quelques heures plus tôt, Chief avait vu Sakuga Keigo partir et lui avait souhaité bon vent. Il avait atteint le summum de son utilité. Peut-être qu’un jour ils se rencontreraient à nouveau et échangeraient sur la foi, ou s’affronteraient en déchainant leur puissance. Chief n’était cependant pas encore au niveau, il devait s’assurer d’être suffisamment fort pour survivre à une confrontation, ou peut-être même le vaincre. Cette idée le faisait sourire, et il portait cette potentielle satisfaction dans son esprit.

Quelques minutes s’écoulèrent tandis qu’il était assis sur les bancs de l’église, et que le prêtre terminait sa messe avant de se tourner vers lui, s’approchant après avoir essuyé son front avec un mouchoir. Il renifla légèrement et, tremblant, approcha ses mains de celles d’Itazura, les saisissant comme pour attirer son attention en les joignant devant lui.

- Garçon, vous avez la chance de pouvoir assister à ces cérémonies, et de louer le Seigneur Constantin. Voulez-vous entendre la prière que je réserve à la purification des péchés ?
- Mon Père, oui, fit il en souriant gentiment, sentant l’haleine du prêtre qui s’approchait de manière trop intime.

Je demande aux Apôtres, aux Forces de la Lumière, avec l’aide des Dragons Célestes et de tous les demi-dieux supérieurs et bienveillants concernés, de joindre leurs efforts et leur puissance afin qu’il soit maintenant procédé au nettoyage total, purification et remise en état complète de son corps physique, ses corps énergétiques, son Aura et de tous les plans de son être…

La prière continuait ainsi sur une demi-douzaine de minutes, et il s’approchait de l’autel, sortant un encensoir qu’il allumait, dégageant une odeur de sauge. Le garçon fronça les sourcils, se demandant comme une telle herbe avait pu arriver ici. Il fut cependant d’autant plus surpris que l’église ne semblait pas s’enfumer malgré la quantité anormale de produit brûlé, sûrement à cause d’une modernisation des édifices qui permettaient une bonne aération sans perte de chaleur. C’était loin d’être le problème en journée à Alabasta, cependant d’autres églises avaient dû rencontrer des problèmes lors des messes hivernales.

Observant ainsi quelques dizaines de minutes les événements qui se déroulaient ici, et les tentatives de purification de son âme, Chief fit mine d’accepter les prières, et quelques temps plus tard il fut effectué une sorte de baptême, ou ce qu’il comprit comme étant un baptême de proximité pour lui permettre de venir dans l’église librement et d’être accepté par la communauté d’Alubarna.

- Je vous remercie, mon père.
- Je prierai pour vous, fit ce dernier en s’inclinant avant de repartir à ces activités.

Le jeune homme soupira et sortit un livret qui se trouvait non loin. Certains chants étaient dans une ancienne langue qu’il ne comprenait pas, cependant d’autres étaient en langage courant.

Je crois en le Saint-Gouvernement, le Père tout-puissant,
Créateur du ciel et de la terre,
Et en Constantin, son Fils Unique, notre Seigneur
Qui a été conçu du Saint Esprit
A souffert sous la bassesse des criminels.
Je crois en l’Esprit Saint, à la sainte Eglise constantiniste, à la communion des Apôtres,
A la rémission des péchés, à la transcendance de la chair et à la vie éternelle.

Amen