Je me réinstallai dans mon lit d’hôpital, replaçant mon dos dans mes coussins en soupirant de soulagement. Entre mes mains, j’avais les notes que j’avais prises lors de mon entretien téléphonique avec la Vice-Amirale Kisa Mojoni, puis avec l’agent du CP1 qui m’avait contactée en réponse à ma demande. Les réponses que j’avais reçues étaient positives et, surtout, je venais d’apprendre ma nomination au poste de Colonel de la Marine. Une cause de réjouissances à n’en pas douter.

« Je serais peut-être plus contente si cette promotion ne m’avait pas coûté si cher… »

Murmurais-je pour moi-même en repensant à la famille Cruz ainsi qu’à leurs hommes. Maussade, et culpabilisant toujours, je déposai mes notes sur la table de chevet pour mieux me rouler en petite boule dans mon lit, me réfugiant sous ma couverture pour fermer les yeux. J’allais devoir en discuter avec Sakuga aussi, de mes projets. Je voulais m’éloigner des champs de bataille pour un temps, faire quelque chose de plus humble et simplement apprendre à mieux gérer ces situations. D’autant plus que, maintenant que j’avais été promue, il n’était qu’une question de temps avant que la vie d’autres soldats soient mises entre mes mains.

« Peut-être que j’aurais dû refuser… »

Une question qui ne trouva pas de réponse puisque mes draps n’étaient pas dotés de la parole. Ou même d’une conscience qui leur aurait permis de comprendre mes mots. Fermant les yeux, je décidai de chercher le sommeil pour étouffer toutes mes pensées, sans grand succès. Je n’avais pas eu de nouvelles de Ghetis non plus. Il participait à l’attaque, sur une autre île, je savais au moins cela. Ce que j’ignorais encore c’était dans quel état il était rentré. Enfin, il devait forcément aller bien, n’est-ce pas ? Ça se saurait si un Amiral de la Marine était mort en fonction, surtout dans une attaque visant à démanteler la Triade. Ce n’était plus qu’une question de patience et rien d’autre. Il devait être trop occupé pour m’appeler ou pour venir me voir, devant gérer les retombées de la mission, tant positives que négatives. Et moi ? Je ne pensais qu’à ma poire, à mes propres projets futurs. À m’isoler de l’équipage qui m’avait accueillie avec bienveillance. Mais quelles alternatives avais-je ? Ma dernière conversation sérieuse avec Sakuga s’était si mal terminée que je me demandais presque pourquoi il avait accepté de faire équipe avec moi durant l’attaque. Pire, j’avais bien sali sa réputation auprès d’une Vice-Amiral quelques heures plus tôt à peine. À ce rythme il allait me détester avant la fin du mois et je n’aurais pas d’équipage vers lequel retourner, quoi que je décide de faire.

PAAAN !! Je me redressai rapidement dans mon lit, ma tête aux cheveux ébouriffés émergeant de sous ma couverture pour découvrir qui venait d’enfoncer violemment la porte de ma chambre. J’étais en pyjama, ayant décidé qu’il était hors de question que je reste en jaquette d’hôpital, et l’on pouvait encore voir quelques bleus ainsi qu’une poignée de pansements ça et là, couvrant mes souvenirs les plus concrets de mon affrontement avec Dihark. Enfin, revenons-en plutôt à ma porte et à la silhouette blonde et ailée qui venait de faire son entrée en lançant une blague merdique et provocatrice. La chambre de… de fangirl de….

« Mais tais-toi les gens pourraient t’entendre !! »

Ponctué d’un oreiller volant en sa direction, lancé à la pleine puissance de mes bras encore un peu affaiblis. Évidemment mes joues avaient viré au rouge, pour ne pas dire à l’écarlate, et je me serais bien recachée dans mes draps si ça n’avait pas été impoli. Et si je n’avais pas eu besoin de parler avec Sakuga, surtout.

« D’où que tu te permets d’enfoncer ma porte de toute façon ? J’espère que t’es venu me porter un bouquet de fleurs au moins. »

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Gagné ! En plein visage ! 10 POINTS POUR PENELOPE !! Ahem, désolé. Il me faisait des remontrances, disant que j’étais l’ingrate en lui offrant un accueil pareil, mais je ne me sentais pas mal du tout. Il l’avait totalement cherché et, à dire vrai, je crois bien qu’il aurait été plus inquiet qu’autre chose si je n’avais pas au moins eu la fougue de lui lancer quelque chose à la tête. Quant à savoir comment allait sa Lieutenante préférée…

« Pour toi c’est Colonelle, monsieur le Contre-Amiral. Félicitations. »

Avais-je commencé sur un ton hautain pour mieux terminer dans une voix plus amicale et sincère. Le manteau lui allait bien, mais en même temps il était si classe que j’ignorais s’il était possible de ne pas bien le porter. Remarque il avait sans doute dû faire des trous dedans, pour les ailes, et ça c’était un vrai drame. Enfin, l’important c’est que le blond ne se fit pas prier pour s’installer, tirant un siège près de mon lit et fouillant dans ses poches. J’allongeai le nez telle la grosse curieuse que j’étais, mon regard s’illuminant à l’apparition de biscuits. La photo aussi était jolie, et je lui accordai mon attention comme je me devais de le faire, mais disons les choses comme elles sont : ça se mangeait moins bien et j’en avais marre de la nourriture de l’hôpital, même à Marineford.

« Ils sont excellents, merci. Et je suis contente que tu ais pris du temps pour toi. Tu le mérites. »

Oui, j’aurais aussi pu l’enguirlander pour être parti faire une mission en solo alors que nous venions tout juste de revenir d’une opération de grande envergure, mais je ne le sentais pas. Je n’avais pas l’impression d’avoir ce droit après ma conversation téléphonique et les choses qui me tournaient en tête. Ça n’aurait pas été juste pour Sakuga, sans compter que nous n’étions pas dans l’état de l’accompagner de toute façon. Tant mieux s’il avait pu s’occuper, et se reposer, tout en communiant une nouvelle fois avec les croyances qui le motivaient tant et lui avaient permis de se réaliser pleinement. J’aurais d’ailleurs préféré en entendre plus à propos de sa petite aventure, mais n’eu pas cette chance. L’ange me demandait plutôt comment j’avais trouvé le champ de bataille… Mon regard se fit plus terne et je n’arrivai plus à croiser les iris d’azur de mon capitaine.

« C’était… Je crois… »

Je déglutis, peinant plus que je ne l’aurais cru à ordonner mes pensées en paroles claires. Pourtant j’avais réussi à m’exprimer avec éloquence pour la Vice-Amirale alors pourquoi avais-je autant de mal à présent ? Sans doute parce que c’était Sakuga. Ce n’était pas pareil. Je replaçai une mèche rose derrière mon oreille, regardant ce qu’il restait de mon biscuit sans toutefois oser en prendre une autre bouchée.

« Les Cruz… Peut-être qu’au fond j’avais tort… »

Peut-être que je n’aurais pas dû venir. Peut-être que je n’étais pas prête. Peut-être qu’ils seraient encore en vie si je ne m’étais pas crue apte à relayer les stratégies de Kayn. Je devais lui dire, je le savais. Du coin des yeux, je regardai mes notes, sur ma table de chevet. Le numéro de mon contact au CP1 qui y était gribouillé de travers, les mots de la Vice-Amirale que j’avais retranscrit en omettant les déterminants et les pronoms. Ce n’était qu’une question de temps avant qu’il me demande ce que je comptais faire ou, pire encore, qu’il remarque la feuille et en prenne connaissance lui-même. Alors pourquoi n’arrivais-je simplement pas à me confier à Sakuga ?  

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Penelope. Je relevai vers lui un regard étonné, peu habituée à ce qu’il m’appelle par mon prénom complet. Le seul qui faisait ça, d’habitude… Oui, bon, on sait. Le blond commença à me raconter une histoire qui ne relevait pas de la fiction, me rappelant plutôt notre fameuse conversation nocturne au dénouement mitigé. Il me rappela que, ce soir là, nos positions étaient inversées. C’est lui qui voulait partir seul pour protéger les siens, pour nous protéger, moi incluse. Ce que je ressentais, cette culpabilité pour avoir donné l’ordre fatidique, c’est exactement ce qu’il avait voulu m’éviter et qu’avais-je dit ? Je suis médecin, Sakuga. Mais ce n’était pas vraiment pareil, n’est-ce pas ? Je le voyais bien maintenant, après les faits.

Le blond était toutefois loin d’en avoir terminé avec moi, me rappelant ce que le médecin de bord avait dit, ce que moi j’avais dit. Je préfère être là. Pour la seconde fois je baissai la tête avec honte, le regard fuyant. Pourquoi pensais-je avoir tort puisque j’avais fait exactement tout ce que j’avais dit que je ferais ? Pourquoi mon esprit percevait-il comme un échec la réalisation de tout ce que j’avais moi-même évoqué ? Bien évidemment que Sakuga avait raison sur toute la ligne. Ça en serait presque frustrant en un sens. Enfin, pas qu’il ait raison, juste que j’aie besoin qu’il me dise tout ça plutôt que d’être capable de le réaliser moi-même. C’est que je trouvais de nouvelles façons d’être stupide tous les jours moi, visiblement, et ça ne faisait pas de bien à ma confiance en moi déjà abismale.

« Oui, ils méritent d’être en paix. Je ne les oublierai jamais. »

J’aurais bien voulu ajouter quelque chose à propos du Saint-Gouvernement comme le disait Sakuga, mais me retins. En un sens ça aurait été déplacé, vu que je n’adhérais pas moi-même à cette foi. Tout de même, c’était un choc de l’entendre me dire qu’ils étaient morts pour ce en quoi ils croyaient plutôt que de rester bêtement sur leur île. Si je croyais vraiment en tout ce que je lui avais dit alors moi aussi je devrais être fière d’eux, je devrais simplement être en paix avec mes décisions et emmerder tous ceux qui pourraient chercher à me les reprocher. Comme Ghetis… Je soupirai.

« Tiens, tu devrais regarder ça. »

J’avais récupéré ma feuille de notes pour la lui donner. Pas la meilleure des transitions, j’en conviens, mais que pouvais-je dire de plus ? Il avait déjà tout dit et je n’avais rien à y opposer, forcément. Il me remettait en plein visage tout ce en quoi moi j’avais cru, tout ce que j’avais clamé haut et fort pour le forcer à me considérer comme une égale plutôt qu’un fardeau à protéger. M’opposer à lui maintenant serait illogique et complètement débile.

« Malgré tout, je crois que j’ai encore beaucoup à apprendre et je compte bien me donner l’occasion de le faire. Je veux mettre toutes les chances de mon côté pour éviter que ça se reproduise. »

Sur la feuille, il pourrait lire nombre de choses. Enfin, s’il arrivait à déchiffrer ma plume de médecin, mais j’avais confiance. Unité médicale mobile. Même rôle + support. Médecins, Infirmiers, CP1. Matelot, Navigateur, Cuisinier. Officialiser auprès de Marineford. Contacter CP1 pour collaboration possible. Je déglutis en repensant à tout ce qui était écrit là, sachant pertinemment qu’il y avait là des instructions pour un projet d’équipage et pas que pour un bête stage chez le Cipher Pol 1. Valait mieux lui offrir un peu plus de contexte, histoire de ne pas causer de malentendu.

« J’aimerais en apprendre plus sur la gestion d’hommes en temps de guerre ainsi que sur l’aspect logistique de tout ça. Et… je me suis dit que je serais peut-être plus utile, et mieux adaptée, à un travail qui soit… »

Loin des premières lignes ? Qui ne vienne pas avec autant de responsabilités ? Qui me permette de sauver des vies plutôt que de les condamner ? Toutes ces réponses, oui, mais je me contentai de me mordre la lèvre inférieure. Je n’avais pas le cœur à dire ces choses à haute voix, pas après le monologue éloquent que m’avait fait l’ange pour me ramener à mes propres convictions.

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J’attendais sa réaction tout autant que je le craignais à dire vrai. Si j’avais simplement pu faire pause sur ce moment et ne jamais le relancer, j’y aurais vraiment réfléchi. Quelle ne fut pas ma surprise lorsqu’il me tendit simplement un carnet en me demandant de lire ce qui s’y trouvait. Je m’exécutai évidemment, n’ayant pas vraiment d’autres alternatives valables. Ma réaction était sans doute prévisible pour quiconque me connaissant un peu.

« Trop bien cet hôpital ! »

Et ce n’était pas le seul projet qui avait attiré mon attention alors que je parcourais les feuilles avec excitation. Une réhabilitation de village ! La libération d’une autre île ainsi que des moyens de la protéger ! Était-ce vraiment si inattendu de la part de l’ange par contre ? Lui semblait croire que oui, avouant d’emblée qu’il avait l’air d’un débile pas foutu de commander des troupes. Une fois de plus je me sentis petite et c’est attentivement que j’écoutai la suite, sans me départir du carnet au cas où j’aurais la chance de continuer à le parcourir un peu plus tard. Le blond évoqua les trois branches distinctes de Unite et, bien sûr, je fus honteuse de ne pas m’y être intéressée plus que ça jusqu’à présent. Je ne savais même pas que notre organisation faisait des levées de fond tiens !

Le paladin remit alors les choses dans sa propre perspective en tant que capitaine responsable des projets de tous et chacun. Il reconnaissant que certains étaient plus utiles loin du champ de bataille qu’au milieu de celui-ci, mais n’allait pas me laisser m’en tirer aussi facilement. Était-il vraiment judicieux de m’éloigner du champ de bataille alors que, pourtant, je venais justement d’y exceller ? Battre une Supernova n’était pas une mince affaire après tout, c’était presque aussi impressionnant que d’avoir réussi à traduire les ordres de Kayn. D’ailleurs je me demandais comment lui se sentait vu que la décision était venue de là après tout… Mouais, il gérait sans doute bien mieux que moi. Comme le disait si bien Sakuga : l’opération Triade avait été ma toute première mission d’une telle envergure et, toutes choses étant considérées, je m’étais plutôt bien débrouillée. Le recul était nécessaire, oui, mais pour le coup j’avais l’impression qu’il me sous-estimait dans ce registre. Certes j’étais une personne très émotive que l’on pouvait lire comme un livre ouvert, mais pas que.

« Plus que du recul, ce dont j’ai besoin c’est de l’expérience. Je n’étais pas prête à lancer ces ordres et, maintenant que je suis Colonel, je vais être appelée à en lancer bien d’autres encore qui auront des retombées tout aussi importantes. Ce serait irresponsable de ma part de ne pas chercher à suivre une formation pour m’aider à combler mes lacunes. C’est pour cela que je tiens malgré tout à aller réaliser ce stage auprès du CP1, je crois réellement en avoir besoin… Un peu comme toi et ta propre mission en solitaire pour faire le point, surtout si ensuite je dois composer avec un Capitaine qui préfère croiser le fer plutôt que de diriger ses propres troupes. Il faut bien que quelqu’un soit préparé à veiller sur toi après tout. »

Conclus-je avec un sourire peut-être un peu mélancolique, mais sincère. Je baissai les yeux sur son carnet et, prenant une décision sur le coup, décidai de le faire disparaître dans mes couvertures tel un écureuil qui cache ses réserves pour l’hiver à venir.

« Et ça je le garde, j’ai l’impression qu’il y a encore bien des merveilles qui se cachent entre ces pages et je m’en voudrais de rater une occasion de les découvrir. Mais ne t’inquiète pas, je te le rendrai à mon retour de mission avec le CP1, promis ! »

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Loin d’essayer de me décourager, c’est même tout l’inverse que fit l’ange. Il semblait heureux de cette décision, m’encourageant à prendre mon envol pour mieux revenir avec des connaissances en plus après mon séjour auprès des agents d’élite du CP1. Pour cela, je serais éternellement reconnaissante. Mieux encore, le blond accepta gracieusement de me céder son journal et je fus surprise d’apprendre qu’il avait le même depuis son départ des îles célestes. C’était impressionnant quand même pour une personne comme moi qui n’arrêtait pas de perdre des carnets ou d’en changer sitôt que j’en trouvais un à la couverture plus jolie.

« J’y ferai attention comme à la prunelle de mes yeux. Et personne d’autre que moi ne le lira. »

Une promesse que je comptais bien tenir vu que c’était la moindre des choses. C’était, après tout, moi qui avais choisi de le garder quelques temps par curiosité non seulement pour les plans du Keigo, mais aussi dans un espoir de mieux le comprendre. Tout ceci étant dit, la mention des portes d’Unite lui rappela autre chose et c’est avec impatience que je le regardai griffonner sur une autre feuille de papier. Cette fois, c’était des rangs de Unite dont il était question, son propre poste étant évidemment celui d’Ange Gardien. Et puisqu’on en parlait, il semblait que je sois sur le point de recevoir ma seconde promotion en l’espace de quelques heures à peine. Moi, avoir accès à toutes les ressources d’Unite ?! J’allais ouvrir la bouche, demander des explications et m’opposer à un tel retournement de situation, mais le blond n’en avait pas terminé. Il me parlait d’Archanges et de Principautés, s’attardant sur l’une de ces dernières en particulier. La Principauté de la Clairvoyance. De toutes les vertues qu’il aurait pu me refiler, pourquoi celle-là ? Je déglutis à ses explications, croyant pendant un bref instant qu’il s’était peut-être trompé de chambre ou quelque chose comme ça. Mia c’est deux portes à côté Cap’tain, j’crois que vous parlez à la mauvaise personne ! Mais non, il avait l’air très sur de lui pour le coup. Moi avoir réussi à éclairer l’équipage ? À faire disparaître les doutes de mon Capitaine ?

« Tu rigoles là j’espère ? Enfin, je veux dire… »

Je déglutis, la tentation de simplement lui dire qu’il était tombé sur la tête était très forte, mais je me refusais à lui obéir. C’était tout un honneur que Sakuga me faisait là et je me devais d’y répondre avec le respect qu’une telle opportunité représentait. Ce n’était pas le moment de le traiter comme un petit frère, plus vieux certes, avec qui j’aimais bien échanger des boutades.

« Je disais donc, Contre-Amiral Keigo, ce serait vraiment un honneur d’accepter cette offre, mais je ne crois pas mériter ce poste. En l’état actuel des choses en tout cas, je ne crois pas être de si bon conseil que ça, ni même apporter la clairvoyance aux gens qui m’entourent… je veux dire… Enfin voilà quoi. Ce soir-là j’ai juste eu de la chance de me trouver là à ce moment-là, mais en soit ça aurait pu être n’importe qui d’autre. Je n’ai rien fait d’exceptionnel, surtout pas au point de mériter un poste qui a l’air si important et si… prestigieux ? Gratifiant ? Je sais pas… »  

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Si je doutais des motivations du Keigo jusque là, elles se profilaient avec de plus en plus de clarté. Ironique, sans doute, vu le poste que je venais tout juste de rejeter. Un badge d’honneur qui n’aurait fait qu’inviter la complaisance de mon point de vue puisque, lorsque l’on se croit clairvoyant, c’est là qu’on devient le plus aveugle. Au fond je pouvais sans doute lui concéder ce point : mon esprit d’analyse et mon sens de l’organisation étaient tout sauf des faiblesses. Je m’en voulais presque de remarquer le thème sous-jacent des paroles de Sakuga. J’aurais préféré m’arrêter au premier degré, être toute contente qu’il m’encourage à aller m’améliorer pour mieux revenir ensuite et occuper le poste de Principauté. Lorsqu’il alla jusqu’à me faire une énième proposition en y mettant les formes d’une grande demande qui évoquait une proposition en mariage, je crû que mon cœur allait craquer si fort que l’on pourrait l’entendre.

« Sakuga… »

Il était si enthousiaste, si motivé. Ça aurait fait plaisir de le voir comme ça, normalement. C’était le blond solaire et friand d’aventure que je connaissais. Je me sentais coupable à l’idée de lui gâcher sa joie, d’être trop franche avec lui, mais en un sens je le lui devais bien. Si je ne pouvais pas être honnête avec celui que je considérais comme l’un de mes plus proches amis alors avec qui ? C’est avec un brin d’appréhension que je me permis de lui prendre la main la plus proche de moi entre les miennes pour lui parler aussi douceur et bienveillance.

« Je suis vraiment chanceuse de t’avoir rencontré, ça je le penserai toute ma vie et je voudrai toujours que tu sois dans ma vie, c’est une certitude. Quoi qu’il se passe, je te verrai toujours comme mon Capitaine et comme celui qui m’a sauvé la vie sur Ironfall, de plus d’une façon d’ailleurs. Je suis incroyablement flattée que tu m’ais en si haute estime et que tu sois prêt à me retenir en m’offrant titres et promesses d’aventures, mais ce n’est pas ce dont j’ai besoin et nous le savons tous les deux. »

Je lui offris un sourire triste, libérant sa main avant de terminer ce que j’avais à dire.

« Si je continue à te suivre, à faire de tes objectifs les miens, alors en quoi aurais-je changé ? Pourquoi ai-je mis autant de temps à quitter Ironfall ? Parce que j’attendais la permission de quelqu’un d’autre, la décision de quelqu’un d’autre. J’ai toujours fait ce que l’on attendait de moi, je me suis toujours reposée sur la décision des autres, sur la vision qu’ont les autres de moi. Ce serait tellement facile de continuer à faire pareil. D’être simplement rassurée parce que tu me vois comme quelqu’un d’important, de me sentir validée et gratifiée parce que tu crois que je suis clairvoyante. Ce serait si facile de m’accrocher à toi et de me dire que tant que tu as besoin de moi dans ton équipage, alors c’est que j’ai de la valeur en tant que personne. Qu’il n’y a que chez les autres que je peux retrouver ce sentiment de valoir quelque chose plutôt qu’en moi-même et que dans mes propres projets. Ce serait tellement facile de te dire oui sur toute la ligne et de retourner dans les rangs, de rester une suiveuse. Ce serait tellement sécurisant, mais c’est bien là tout le problème. Tu ne m’as pas sauvée pour que je refasse les mêmes erreurs. Tu ne m’as pas offert une seconde chance de vivre pour que j’accepte de suivre aveuglément les autres plutôt que de naviguer le monde… par moi-même… Je dois trouver…. Ma propre voie… ? »

Pourquoi…. Mon lit…. Pourquoi il tangue ? Je baissai les mains pour m’appuyer au matelas, pour me stabiliser, mais le mouvement sembla prendre des années. Pourquoi était-il si loin ? Pourquoi je pouvais-je pas l’atteindre ? Et mes mains… ? Est-ce que c’était vraiment les miennes ? Je ne le savais pas, je ne les sentais plus. Je pouvais les voir, les observer de loin, je savais qu’elles existaient et que, en théorie, elles étaient attachées à mon corps. Qu’est-ce qui se passe ? Je voulu ouvrir la bouche, demander à Sakuga s’il se sentait bizarre aussi, mais je n’arrivais pas à ouvrir les lèvres. Comment est-ce que mon esprit pouvait tourner si vite alors que, pourtant, j’étais totalement déconnectée de mon corps au point de ne plus pouvoir articuler le moindre son ?







Mauris massa.



Les mains de Penelope se posèrent contre ses tempes, dans ses cheveux, appliquant une pression pour garder les pans de son crâne en place. Son regard dans le vide, elle tremblait et sa peau était devenue cireuse, malade. La sueur perlait partout sur son corps, sa température corporelle augmentait.

C’est quoi ? Qui parle ? Ça vient d’où ? Pourquoi je ne vois plus rien, mes yeux sont ouverts ! Je suis dans ma chambre d’hôpital, avec Sakuga. Pourquoi je ne le vois plus ? Je ne sens plus rien !! Où est mon corps ? Est-ce que je suis encore dedans ? Pourquoi j’arrive à réfléchir, mais pas à parler ? Qu’est-ce qui se passe ? Je veux que ça s’arrête. Je veux que ça s’arrête !!

JE VEUX QUE ÇA S’ARRÊTE !!!

Sans signe avant-coureur, la rose se frappa la cuisse d’un poing faible, mou. Elle entendit le bruit au loin, comme étouffé. Comme si elle était complètement immergée sous l’eau. Mais elle ne l’avait pas senti contre sa jambe. Elle l’avait vu, pourtant, mais ne sentait rien. Elle était encore trop loin. Trop égarée. Divaguant en des dialogues d’inconnus à la langue extraterrestre. Ils tournaient dans sa tête, encore et encore.








Le second coup qu’elle porta à sa jambe était plus déterminé, plus fort, mais encore insuffisant. Ses yeux pleuraient, mais la pauvre Ainsley n’en avait pas conscience de ça non plus. Bientôt, c’est avec toute la détresse du monde qu’elle se frappait, encore et encore, jusqu’à ce que le bruit se distingue parmi les voix. Pourquoi ne pouvait-elle pas le sentir ? Frappait-elle vraiment sa propre jambe ou était-ce celle de quelqu’un d’autre ? Aucune idée et, franchement, son état ne lui permettait plus de réfléchir correctement. Sans doute est-ce pour cela que son poing fut parcouru d’un tremblement et que, cette fois, le coup fut beaucoup, beaucoup plus fort que les autres.






Ce craquement-là, je l’entendis très très bien. Je revins tout d’un coup à la vie, bataillant comme une forcenée qui tente d’échapper à la noyade. Toute ma jambe, des orteils jusqu’à la hanche, me faisait atrocement mal. Je… Est-ce que je venais de me briser le fémur ? Je m’effondrai sur le côté, toujours dans mon lit, mes mains appuyant contre ma cuisse comme si cela permettrait de réduire la douleur. J’étais en nage, mais j’étais vivante. J’étais là. Je ressentais mon pouls dans tout mon corps, vibrant en battements saccadés alors que ma respiration se faisait par bouffées d’air paniquées. Je l’avais échappé belle. À quoi ? Je ne le savais pas, mais j’y avais échappé. Yeux clos, je pleurais de soulagement comme de souffrance.

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La douleur était omniprésente et les larmes n’en finissaient plus. Au moins je n’étais pas seule et, bientôt, je sentis des bras m’enlacer. Mon premier instinct fut de penser à celui qui était omniprésent dans mon cœur, mais je me corrigeai rapidement. La sensation des bras de Sakuga autour de moi n’avait rien à voir. Il était bien plus petit, bien plus svelte et plus léger. Plus retenu aussi. J’ouvris doucement les yeux, pleurant toujours à chaudes larmes et espérant que mon nez n’allait pas couler sur sa jolie veste. Ce serait bien le comble… Lui ne semblait toutefois pas se soucier de ces considérations, m’accueillant plutôt comme si je venais de faire ma grande entrée dans un groupe vip. Il parlait d’une ascension et je n’étais pas certaine de bien comprendre, mais j’étais encore trop dans les vapes pour poser des questions.

Je m’agrippai à ses vêtements par réflexe, serrant le tissu entre mes doigts comme si cela pouvait atténuer un peu de la douleur que je ressentais dans ma jambe. Briser le temps pour le rattraper, lui et Ghetis ? Ces mots me faisaient plus plaisir que je n’aurais voulu l’admettre. N’était-ce pas exactement ce que je voulais, en quelques sortes ? Être leur égale plutôt que d’être éternellement celle qui se faisait protéger et qui devait s’améliorer ? Par contre, il fallait l’admettre, c’est difficile d’avoir un beau moment d’émotivité quand on souffre le martyr.

« C’est vraiment gentil, Sakuga… Maintenant tu veux bien fouiller dans le tiroir là-bas et m’amener tous les anti-douleurs que tu trouves ? Je sais pas comment briser le temps, mais je crois que je viens de me briser la putain de jambe… »

Cette idée aussi de me frapper moi-même avec le pouvoir du Gura Gura no mi. Je me comptais encore chanceuse de ne pas m’être arraché la jambe, ça aurait été un peu plus dramatique quand même, mais la douleur n’en était pas moins insupportable.

« Ou au moins appelle l’infirmière, je sais pas… Fais chier…. J’suis trop conne moi… Et après il me dit que je suis clairvoyante ! »

Au moins cette dernière observation m’avait arraché un petit rire à mes propres dépend, mais ce n’était pas plus mal. Valait encore mieux rigoler de ma connerie que de dramatiser la situation. Puis il fallait aussi voir le bon côté des choses : au moins je m’étais brisé le fémur dans un hôpital. Les secours arriveraient beaucoup plus rapidement ici que perdu au beau milieu de nulle part. Puis je pourrais toujours dire que j’avais gagné cette blessure en combat contre une Supernova, ce serait tout de suite beaucoup moins gênant. 

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