L'aube avait amené avec elle les atours d'une ère où les doutes se mêleraient à l'incertitude ; au dépit, à la l'égarement que des valeurs trompeuses avaient glissé sur sa peau sous les reliefs de si fervents frissons. Son échine avait su trouver, la veille, la chaleur d'un autre être, d'un amant dont les baisers n'avaient eu de cesse de chasser la crainte de voir cette vie bâtie autour d'elle s'effondrer des si faibles fondations de malice sur lesquelles elle avait été érigée – un baume bien temporaire, mais dont elle ne se lasserait jamais.

Les jours s'étaient écoulés à l'image de grains de sable enfermés dans un carcan de verre où, malgré elle, la jeune femme s'était offerte à l'inaction, à des instants qu'elle n'avait dédié à nulle autre chose qu'à s'assurer que cette pensée, cette conviction n'était nullement passagère. Un fragment d'elle s'attachait encore à ce Gouvernement, bien trop important pour qu'il ne soit simplement ignoré, rabattu sous la poussière de sa psyché ; comment aurait-il pu, lorsqu'il avait forgé son existence jusqu'au plus lointain de ses souvenirs ? De tout ce qu'elle ne se souvint jamais, ce col bleu noué sur sa nuque avait été son plus fervent compagnon, affublé sans cesse de la fierté d'un Contre-Amiral autrefois Lieutenant, à chacune de ses réussites.

Alors se tenait-elle encore là, sa colonne redressée par la droiture de la Justice comme on le lui apprit tant de fois. Ses épaules se dévoilaient aux autres, repoussées finement en arrière avec une confiance qu'elle ne portait plus en son être – ses yeux, seuls, se contentaient de scruter les courbes de la grande Marineford avec une pointe d'amertume... ou de mélancolie.

Lorsqu'une âme passa sur son flanc pour dévoiler devant elle un couloir qu'une porte de fer avait occulté, affublé d'un sourire et de mots portant tant d'engouement, Shura se laissa porter au jeu. Ces doigts qui avaient tantôt crispé missives et rapports dans leur étreinte les couvaient désormais d'une accalmie forcée, d'une douceur parue retrouvée dès l'instant où le corps gigantesque de l'allégorie de la Justice avait refermé son entrée derrière elle ; qu'elle n'entra, enfin, au sein de la plus grande base marine que ce monde gouverné de divin ait enfanté.

Elle s'y senti aussi étrangère qu'elle ne se souvint l'être un jour sur les rives d'Alabasta ; aussi égarée par sa mémoire arrachée que par ce qui se dévoilait à elle. Ses pas la guidèrent, petit à petit, le long de l'un de ces embranchements dont elle ignorait la finalité. Elle se contentait de se fier à ses sens, d'une conversation écoutée sur son flanc, de panneaux indiquant indices ou contrefaits à sa destination.

Elle ne pouvait empêcher une partie d'elle de se sentir galvanisée, emportée, même, par le simple fait de se tenir ici : si peu d'enfants du Gouvernement Mondial pouvaient arpenter ce sol comme elle ne le faisait aujourd'hui. De céleste et de sublime, Marineford incarnait l'essence même de son engagement qu'elle honorait encore malgré tout, de cette foi qu'elle s'évertuait à perpétuer.

Une ombre la stoppa toutefois dans son avancée, d'un pas arrêté dans sa course aussi durement qu'elle ne vint à réaliser une présence à ses côtés. Passé l'arche d'un nouveau couloir, un être semblait patienter, ses doigts mêlés – presque chiffonnés – par l'attente.

La courbe du regard de la jeune femme vint trouver les indications qui pavaient ces murs à la recherche d'un quelconque indice sur son emplacement, en vain, avant de ne revenir se loger sur les traits de cette inconnue. Les mèches rosacées qui couvraient son visage, penché vers le bas, ne lui permirent nullement le plaisir d'observer la profondeur des prunelles qui s'y cachaient ; mais par le simple acabit de son vêtement, elle comprit qu'il s'agissait là de l'une de ses congénères.
Des traits fins, presque contrariés qui pourtant paraissaient trancher avec cet air doucereux qui émanait d'elle. En analogie avec les sucreries portant la teinte de sa chevelure, peut-être – mais Shura se rebutait à user de telles généralités.

Un soupir s'échappa de ses lèvres, qui ne lui fut nullement destiné – un simple moyen pour la jeune femme de chasser une anxiété qui n'avait aucune raison de s'élever en elle – et de deux enjambées, elle vint se trouver à ses côtés, près de son flanc, en laissant sa voix porter l'égide de ses pensées.

Un maigre rire échappa aux lèvres de la jeune femme lorsqu'elle entendit le récif d'infortune de sa comparse, dont les désirs d'une autre avaient été l'orfèvre. Elle osa un regard vers le bureau au centre de ses malheurs, vide de toute présence depuis bien d'heures offertes au temps avant de revenir sur le minois de sa vis-à-vis.


Elle vint prendre place à ses côtés comme l'on l'avait enclin à le faire, non loin de la demoiselle sans s'en rapprocher à outrance du fait de leur rencontre on-ne-peut-plus récente – à un siège de là. Un dossier vint reposer sur ses genoux, mollement, tandis qu'elle lui accorda l'ombre d'un savant sourire.


Son rictus emplit d'allégresse fondit, quelque peu, lorsque le joug de ses propres convictions s'immisça dans ses pensées. Elle voyait en cette jeune femme l'arche d'une autre Marine, œuvrant en faveur de ce Gouvernement pour lequel elle s'efforçait de ressentir la même hargne qu'elle éprouvait autrefois à défendre les idéaux qu'il promulguait. Elle était encore là, quelque part au creux de sa poitrine battante d'incertitude ; elle qui pensait que cette opportunité rare de se rendre sur les terres mêmes ou son pouvoir était concrétisé lui permettrait de se remettre de ces torts, elle réalisait à quel point elle avait pu nourrir un vain espoir. Sa présence n'avait changé ni son esprit ni son désir de porter en cet organisme la même foi qu'elle offrait à Saint Constantin.

Peut-être que la jeune femme qui se reflétait dans ses prunelles relaterait du même sentiment ; où participerait à le raviver chez elle. Lorsqu'elle réalisa que ses traits avaient pu s'effondrer au gré de la ligne de ses pensées, la demoiselle tâcha bien vite d'y remédier, en associant l'écho de sa voix au gré d'une nouvelle conversation.


Il ne trahissait dans ses dires que le crépuscule d'une simple vérité : d'un passé offert en secret à Mnémosyne sur les berges d'Alabasta, son chemin avait suivi celui de ce Contre-Amiral depuis que sa volonté ne se soit transmise à la sienne, bien des années plus tôt, sous le prisme du Gouvernement Mondial. Elle avait été formée, entrainée comme tout autre soldat de cette Marine si chère ; mais si tantôt son âge lui faisait défaut pour de longs voyages, son inexpérience s'était chargée de lui fermer l'opportunité à ceux en ayant réchappé. Elle n'avait eu vent que des courbes de quelques terres au cœur de ces si vastes océans, ignorait encore tout de celui qui dominait les mers jusqu'à traverser le pic d'une terrible montagne.

À l'idée d'en découvrir d'autres sous ses dires qu'elle assimilait au plaisir de lire celles cernant les pages d'un livre, ses iris comme ses lèvres ne traduisaient qu'une seule chose, de concert : la pétillante volonté du savoir.