Près du port, Coral Hill

–C’est beau, c’est beau, mais j'aime pas.
–T’es claustro, quoi.
–T’as avancé sur les négos ?

Allongés sur le toit d’un des nombreux bâtiments de Coral Hill, tout près du port duquel ils avaient été jetés, Jiva et Galéon fixaient le vide. L’île des Hommes-Poissons, la céruléenne en avait entendu pas mal parler dans sa petite cellule. Que ce soit au travers des histoires rapportées par Pico et Lao, ou d’autres détenus qui qualifiaient cet endroit de carrefour pour pirates ambitieux. Plutôt que l’archipel que cherchaient à rejoindre le duo d’ex-détenus, beaucoup de forbans considéraient cette île comme le véritable point de départ de leur aventure et quête de piraterie.

L’endroit était plutôt beau, pour un point de passage de criminels. Les toitures en coquillages, toutes de couleurs vives, contrastaient avec le gris beigeâtre de ce que Jiva estimait être de la pierre sous-marine. C’était fort sympathique à regarder, sympa de s’y déplacer et probablement d’y manger, pour autant son émerveillement était restreint par deux choses. La principale et plus importante était cette immense membrane qui englobait les lieux. Si elle venait à éclater, là, pour une raison comme une autre, c’en était certainement fini de Galéon et d’elle. Alors peut-être que la poiscaille pouvait tolérer les pressions abyssales et respirer sous l’eau, mais elle ne savait pas nager et le Toth était un chat. Et un chat ça craignait l’eau, en toute logique, c’était du moins ce qu’un gamin lui avait dit quelques mois auparavant en qualifiant son ami de matou.

–Au port, j’ai eu que des refus pour un transit. Pour l’achat d’un navire, on aurait les moyens mais je serais pas capable de l’amener à destination. Il nous faudrait un timonier, quoi, faire glisser un bateau sur les mers, pourquoi pas, gérer un voyage depuis les profondeurs : j’ai pas envie de m’y risquer.
–Un timo-quoi ?
–On peut aller demander à des locaux s’ils ont une connaissance pouvant nous aider.

Le félin s’était activé durant la matinée, suivant leur débarquement la veille, leur objectif était de trouver quelqu’un d’assez correct pour les conduire en surface. Pour Galéon, il n’était pas envisageable de tenter une infiltration ou de s’imposer par la force au premier venu : à ce point de passage précis, taper quelqu’un ou s’embrouiller avec revenait à jouer à la loterie. Vos chances de tomber sur quelqu’un de plus balèze que vous étaient plutôt aberrantes. Qui plus est, il fallait tomber sur quelqu’un d’assez expérimenté pour gérer l’enrobage de son propre navire et le trajet en question. Tout ça gratuitement bien sûr, hors de question de dépenser son argent pour un stupide transport.

Certains hommes-poissons auraient pu faire l’affaire tout du moins, mais ceux-là n’étaient absolument pas dans le spectre de la recherche. C’était ça, le deuxième point contraignant pour Jiva, ces types-là, aussi colorés et exotiques qu’ils étaient…

–Fais le toi, je parle pas à ces trucs dégueu’
–On va essayer les sirènes, ouais. Le mercenaire s’étira avant de se redresser. Tu devrais apprécier, j’en suis sûr.

District des Hommes-Poissons

–Non, pitié, pitié, pit-

Un cri tonitruant se propagea dans l’eau habillant les lieux. Au fin fond de la Joncque, zone particulièrement malfamée du quartier, le sang teinta une nouvelle fois l’atmosphère.

–Qu’est-ce que j’avais dit ? « Le prochain qui m’coupe, j’le coupe ». Pour illustrer ce discours, un homme-poulpe coulait lentement dans une trainée écarlate.

Sur le toit d’un habitacle de bois et de coraux, une silhouette ombragée et difforme pointa de son index la dague dont elle avait fait usage. C’était que pour asseoir sa position à la tête d’un gang, il fallait bien faire montre de cruauté. Les deux yeux de l’ombre brillaient en fixant sa petite troupe apeurée qui l’écoutait en contrebas de la maison délabrée.

–Du coup je reprends… j’en étais où déjà. Ah, oui ! L’Archipel Shabon-

Pulupulu... Pulupulu... Gatcha.

–Allô ? C’est bien moi. Un homme-requin décrocha son escargophone, le tirant de sa poche, avant de zieuter son leader. Euh, là, il est occupé. Mais dites-moi.

Le gastéropode murmura une nouvelle qui eut le don d’éclaircir le visage de son possesseur. Ses traits s’enjolivèrent tandis que ses lèvres s’apprêtaient à souffler de douces paroles à son boss.

–Il est prê-

La dague vint se planter entre ses deux yeux, le squale tomba raide mort. La colère du terrible chef avait enflé, on l’avait encore coupé.

–Ramenez moi mon tricorne.