Feuille de personnage Niveau: (45/75) Expériences: (345/500) Berrys: 24.402.430.000 B
Mar 14 Fév - 20:00
Dernière fois
J’ai l’impression d’avoir fini le livre. Du moins, il semble atteindre son terme. Non pas que j’en sois lassé, mais je ne lui trouve plus de sens. Lorsque l’on prend du recul, on voit clair dans le jeu de son auteur. On comprend les différents procédés, les patterns qui reviennent toujours et encore, les péripéties se répétant en s’aggravant sans limite aucune.
On pourrait penser que j’esquisse un bilan négatif de cette œuvre. Pour autant, l’objectif qu’elle s’est fixée dès la première page de son prologue a été atteint. Le nom de son protagoniste a marqué, à son échelle, beaucoup d’esprits. Il me semble juste de considérer qu’à sa façon certaines choses ont changées et que, même si on ne lui attribue pas l’ensemble des mérites qui devraient lui être accordés, ce personnage est devenu quelqu’un de mémorable.
Mais est-ce réellement important de marquer l’histoire ? Qu’est-ce que ça veut dire, au juste ? Dans un monde si vaste que les figures importantes se succèdent en dominos, un nom effaçant le précédent de quelques mots. Il devient facile de tomber dans l’oubli, à défaut de s’en tirer pour ne devenir qu’un outil de comparaison : lequel de ceux-là est le meilleur ? Et si lui avait été là à tel moment, aurait-il fait mieux qu’un autre ? Tous sont voués à ne devenir que des vulgaires dossiers au fond d’un tiroir poussiéreux, de temps en temps quelqu’un les consulterait afin de commenter leur vécu de façon superficielle. Ce monde et ceux qui le construisent ne sont là que pour la forme plus que le fond, ils cherchent l’esclandre et le sublime plus que la finesse d’une vie pleinement menée.
De ce fait, l’objectif du protagoniste était-il réellement sensé ? Pour sûr non. C’est là le but que s’est fixé un enfant souhaitant se trouver une vocation et s’accomplir en son travers. Ce genre de choses sont rarement sensées, puisqu’elles ne perçoivent pas le monde avec le bon point de vue. L’ignorance permet le rêve, comme le temps transforme le mauvais en douce aigreur. J’espère cependant que l’œuvre en question vieillisse comme un bon vin, que celles et ceux qui y reviennent prennent plaisir à y plonger leurs lèvres. Qu’ils ne se contentent pas de boire avidement ce nectar, mais qu’ils cherchent à le décortiquer : sa robe, son cépage, ses arômes et tout ce qui peut en faire sa subtilité.
Pour savoir s’il s’agit donc de la fin, je devrais plutôt répondre à la question qui me tracasse. Ce personnage, peut-il être considéré comme accompli ?
Je…
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Son enfant dans les bras, le jeune père avait ses yeux plongés dans ceux de son fils. Ils lui étaient identiques, un vert, l’autre céruléen. Ses pieds valsaient dans le vide, assis au rebord du toit de ce qui avait été son école, donnant sur la cour au-devant de l’établissement. Son regard s’éleva vers les étoiles se dessinant sur la toile nocturne, il se demanda où était la sienne, puis se rappela à qu’elle point elle était mauvaise. Certainement qu’elle était celle de ceux qui étaient venus ici par erreur. Une étoile mal aimée, qui ne brille que dans des cieux parallèles. Peut-être était-elle-même en enfer ou dans le purgatoire. Traitée ainsi, comment pouvait-elle guider ceux qui étaient nés sous sa bénédiction ?
Elle était malsaine, cette étoile, mais le jeune père l’aimait ainsi.
Combien de types lui étaient similaires ? Lui n’avait été annoncé que comme un nouveau, lorsqu’il fut révélé sur Térèse. Peut-être qu’un jour, il aurait senti dans ses veines le sang de ses prédécesseurs couler. Peut-être que, lorsqu’il saignait, c’était le sang d’un autre qui se déversait.
Celui d’un énième Roi Fou.
A cette pensée, il sourit, puis reporta son regard à son fils. Il dormait, enfin. Pour éviter d’entendre ses pleurs jusqu’à cet instant, le maudit s’était coupé les oreilles et les avait laissées dans sa salle de classe. Là où subsistaient des souvenirs innocents.
-Je… j’ai bien trop honte de t’avouer que je ne sais plus où j’en suis.
Sa pupille de jade devint humide et, d’un claquement de doigt, il se retrouva assis sur sa place habituelle dans la salle de cours. Le jeune homme se retrouvait là, posté à un bureau qui avait été sien, son chérubin sur ses genoux. Sur la surface du meuble se trouvait un stylo, un carnet de notes écorné, ses deux oreilles et un bocal.
-Que je crains que cette vie ne puisse jamais me correspondre.
Dans le récipient rempli de formol se trouvait un œil noir obscur, le maudit le contempla brièvement : il n’était pas question de replonger dans les abîmes de son âme et de s’y faire torturer. Cet organe qui avait été le sien, le seul qui survit aux noirceurs d’Enies Lobby, avait été témoin de sa propre chute et de l’ensemble de ses travers. Plus que le reflet d’un enfant brisé, il était le témoin d’une véritable compagne.
-J’espère que tu ne la rencontreras jamais, quand bien même je l’aime autant qu’il est possible d’aimer.
Une compagne ? Ce terme était-il le bon ?
Au départ il l’avait fuie, n’ayant pas directement compris son langage. Le gamin n’avait vu que les épines de cette rose s’offrant à lui, pas les pétales ni les fruits : ceux-là se dévoilent lorsque l’on prend de l’âge.
-Même si elle te comprendra mieux que quiconque.
Elle le connaissait depuis tout petit, c’était au-devant de cette école qu’il l’avait rencontrée. Si la relation fut tumultueuse au début, d’enlacements à rejets, elle finit par combler son monde bien rapidement. Partout où il allait, elle le suivait telle une ombre et, dans son foyer, elle se cachait là, sous son lit. A l’abri des regards de sa mère et de ses frères, mais toujours proche au cas où il en avait besoin. Lui faire oublier le membre absent de sa famille. Combler le manque d’attention dont il souffrait.
Elle devint sa plus vieille compagne et, assez tôt, il comprit sa stupidité d’avoir pensé pouvoir faire sa vie sans elle.
Elle l’avait aidé à grandir, se cultivant dans le temps, pour sculpter son visage, dessinant chaque strie de ses iris.
Elle était à jamais avec lui, l’enlaçant en permanence, le réconfortant comme un duvet que l’on porte en hiver.
Sa solitude.
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Je ne saurais dire si je suis accompli, ni même si je suis heureux. J’aime à penser que j’arrive à être serein dans ce genre de moment. C’est là le mieux qu’il puisse m’arriver. Lorsque je suis avec elle et qu’elle arrive à s’apaiser également.
Aussi, je m’autorise à voir ma vie d’un point de vue différent. Avec plus de recul et de simplicité. Seul, je pense à chacune de mes tribulations et à ce que j’ai dû faire pour réussir à m’en sortir.
Je me demande même parfois si je suis bien mortel, à un point où mourir est un doux rêve. Un horizon lointain qui s’éloigne à mesure de mes pas. Une lumière insaisissable à laquelle je suis aux trousses.
Si ma vie n’est qu’une tragédie, pourquoi lui espérer une fin d’ailleurs ?
Même dans l’amertume d’une dernière page, le lecteur peut y trouver une sorte de douceur. Un sentiment positif qu’enfin le protagoniste peut se reposer pour trouver la paix. Pour tenir captif son intérêt, il est mieux d’entretenir le mal-être du personnage plutôt que de lui faire arriver à son terme. Qui plus est, les fins ne sont jamais satisfaisantes. Vaut mieux laisser derrière soit quelque-chose de partiellement achevé. Laisser place au doute. Aussi, peut-être que je me complais dans mon malheur éternel car il me permet de nourrir une belle histoire. Personne ne se soucie, après tout, d’un protagoniste heureux et bienveillant.
En l’état, suis-je satisfait du rendu que les autres pourraient retenir à mon sujet ?
Je suis devenu ce qui me fascinait étant petit. Un être brisé, solitaire et mélancolique.
Si le regard d’autrui m’a poussé à m’imaginer ainsi, ce n’est que parce que je m’en souciais que je suis passé aux actes. Aussi, je ne pense pas que l’enfer soit les autres. Le malin est dans ce qu’on fait de leurs regards.
L’enfer c’est moi.
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Elle et lui ne faisaient rien de mal. Ils parlaient de tout et de rien, se trimbalaient dans les dédales d’un monde qui ne savait que les décevoir. Parfois, ça arrivait au jeune homme de se demander ce que ses anciens camarades voyaient lorsqu’il s’adressait à sa compagne.
Lui sentait en permanence son parfum, celui d’une rose damnée.
Ses fruits s’étaient développés et sa silhouette avaient changé à mesure des années. Aussi elle se métamorphosa face à l’attention qui lui était accordée, aux attentes qu’il avait d’elle.
Au fond, le maudit l’aimait peut-être un petit trop, car, dès qu’elle le réclamait, il ne pouvait s’empêcher de lui accorder une autre danse. Quitte à en être demandeur, il ne fallait jamais que ça ne s’arrête. Il devait être son unique cavalier, le centre de son attention.
Plus qu’un cavalier, son élu.
Les pétales fanèrent et les épines enflèrent.
Désormais métamorphosée sa nature changea, couronnant de ses tracas l’enfant devenu adulte. Il croqua l’un de ses fruits flétris en guise d’union éternelle, solitude renommée folie.
Un amour tordu.
-Elle est de ceux qui ne sont pas bienveillants.
Le stylo entre son index et son pouce, le vairon avait ouvert son cahier aux feuilles noires d’encre pour enfin y trouver un espace blanc. Combien de pages vierges lui restait-il ? Très peu de ce qu’il estimait, mais il ne voulait se gâcher la surprise de quand il aurait atteint la troisième de couverture : ça aurait été fait en temps voulu. Lorsqu’il se mit à rédiger le début d’un brouillon, son enfant s’éveilla soudainement. Les pleurs affluèrent dans l’esprit du paternel qui s’efforça à former de maladroites lettres.
Le son d'une boule de papier lancée vers la corbeille cueillit sa première larme.
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Tu sais, plusieurs fois j’ai essayé de me donner la mort.
Jamais je n’ai réussi.
Pour me réfugier derrière un énième mensonge, je dirais que je suis poussé à rester en vie car je me dois de devenir ma propre ombre.
Hier est meilleur qu’aujourd’hui. Ce postulat quotidien façonne mes semaines.
Mais je ne suis pas nostalgique de mon enfance pour autant. Je le suis de l’époque où j’ai décidé de m’en remettre à moi-même et suivre ce que ma voix me demandait de faire.
J’aurais aimé que tu puisses mieux m’éduquer sur certains points. Que tu m’accordes sans doute plus d’attention, ou, plutôt, que tu fasses plus montre de ce que t’éprouvais à mon égard.
Plutôt que d’entendre plus de « je vous aime » ; « je suis fière de vous », j’aurais voulu entendre un simple « je t’aime».
Peut-être que c’est ton souhait, celui d’avoir impérativement voulu des enfants de la part d’une personne qui ne partageait pas forcément cette volonté, qui m’a mené ici. Naître d'un amour non réciproque, tordu, ça ne se fait jamais sous la bénédiction d'une bonne étoile. Peut-être que c’était écrit à l’avance, que je sois maudit. Peut-être que ça aurait été mieux de ne pas forcer les choses.
En ce sens, qui sait, tu es peut-être une mauv
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Un trou plutôt profond avait été creusé juste au-devant d’un des nombreux buissons parsemant l’allée menant à l’accueil. C’était généralement là que les enfants attendaient leurs parents à la sortie des classes. Sa mère, à une période, venait souvent tardivement : selon ses frères ce n’était pas grave, ça leur permettait d’avoir un moment de récréation. Pour le jeune homme, ça lui avait permis de rencontrer sa seule amie.
Son fils tenu contre sa poitrine, le vairon s’abaissa pour planter dans le trou le bocal cylindrique contenant le reste de ce qu’il avait été. De cette façon il aurait toujours pu veiller sur le gamin en devenir, il espérait sincèrement que celui-ci ne devienne pas à son image. Qu’il soit élevé correctement, en recevant suffisamment d’amour et d’attention. Que ses volontés soient écoutées et qu'on lui donne les moyens de devenir ce qu’il aurait désiré. Le vairon voulait que son enfant porte ses erreurs en médailles plutôt qu’en fardeaux, qu’il s’en serve en exemple à ne pas suivre et retire de cette expérience que le bon.
Sur les pleurs de son enfant, un nœud se forma dans la gorge du jeune homme. Il ne lui restait qu’une chose à faire avant de rejoindre sa compagne. La simple pensée de retourner dans cet endroit l’émut au point de froisser son visage.
[…]
Un couloir qu’il connaissait comme sa poche. En ces quelques années, il n’avait pas changé. Des néons blancs qui vous agressaient la rétine, des murs immaculés et un parquet ciré cadré de portes qui se succédaient à intervalle régulier. Dans son esprit, le père se remémorait les noms des voisins jusqu’à se planter devant la porte du fond de couloir, au troisième étage.
Son cœur manqua un battement, aussi il fit au plus vite.
Le chérubin fut déposé sur le paillasson, une feuille grimée de mots sur son poitrail. La main du maudit toqua alors deux fois contre la porte, puis ses doigts se croisèrent pour le faire disparaître à jamais. Derrière lui ne restait qu'un résidu volatil de son parfum si amer, celui d'une fleur fanée.
Le bruit de la serrure réveilla encore une fois le nouveau-né.
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Fudo.
Si tu le veux bien ça sera son prénom. Ton petit fils. Il gardera le nom de sa mère, pour son bien : Wohl.
Je suis sûr que tu aimeras son regard, ses yeux vairons signeront son héritage et sa différence. Le vert en témoin de l'amour de sa mère. Le bleu en guise de renouveau, porteur de mon espoir à son égard. Celui d'avoir un bel avenir, comblé de joie et de bons moments.
Je sais que je vous ai causé du tort à tous et que ce que j’ai fait n’est pas réparable. Je comprends ton ressenti envers moi, la déception que je dois être. Tu m’avais prévenu pourtant, mais ma passion et ma curiosité étaient toutes deux trop importantes. C’était si tentant d’être comme ces types dépeints dans les livres de papa.
Ce n’est pas de ta faute, tu sais. Tu as été une très bonne mère.
Ce sont mes choix qui m’ont plongé là où je suis, ce sont eux qui m’ont défini et forgé. J’ai toujours eu le choix, personne ne m’a contraint. C’est juste que revenir en arrière est le plus dur, sinon impossible.
J’espère que mes frères vont bien et que ce que tu peux entendre ou lire à mon sujet ne te cause pas de peine.
Je ne te demande pas le pardon, je n’oserais pas. Nous ne nous reverrons de toute façon jamais.
Après tout, tout ce qui orbite autour de moi est voué à partir.
Je n’ai qu’un seul regret à ton égard. Ce sont tous ces non-dits. Toutes ces fois où j’aurais aimé te parler, que tu me donnes conseil. Toutes ces fois où j’ai voulu entendre ta voix, approuver ou non mes actes. Mais c’était impossible, il faut que tu le comprennes.
Les oiseaux de nuit ne peuvent fréquenter la lumière.
Prends soin de toi et de lui, c’est là ma seule volonté.
Certainement la dernière.
_________________ Membre du club officiel des "Victimes d'Erwin le vicieux"