Salut, moi c’est Fizz.

Tu le fixes avec un intérêt non feint, lui offrant un large sourire amical. En retour, il t’observe avec des yeux ronds en penchant légèrement la tête. Pour l’un comme pour l’autre, la rencontre est insolite. Tu en as immédiatement oublié ta mauvaise humeur.

A quelques centaines de mètres de là, le Corte-Real mouille paisiblement dans le petit port. Tu as décidé de t’en éloigner au plus vite. Si tu savais que l’île avait été sédentarisée, et même militarisée, tu ne t’attendais pas à ça ; en accostant, la grimace de dégoût affichée depuis que les imposantes murailles étaient apparues à l’horizon n’avait pas quitté tes babines. Qui peut bien accomplir une chose pareille ? L’incompréhension mène à la colère. Tu as entendu tant d’histoires sur cet endroit, et cela fait si longtemps que tu rêves d’y poser les pattes pour en découvrir les mystères… uniquement pour la voir transformée en temple de tout ce que l’humanité propose de plus triste. La Confédération Maritime Indépendante, hein ? Encore une troupe d’imbéciles qui ne cherchent qu’à soumettre toute forme de nature et de culture aux lois du commerce moderne. Quel gâchis.

Mais à présent que tu es sorti de la petite ville, y laissant l’équipage régler les corvées administratives et le réapprovisionnement, pour ce qui ne devait être qu’une simple promenade en bordure de forêt, ta frustration fond comme neige au soleil. Tes yeux pétillent d’excitation tandis que tu effectues un pas lent en direction du minuscule lapin-bélier, qui te regarde avec une pointe d’appréhension. Entre ses longues oreilles pendantes frôlant le sol pointent deux petites cornes recourbées, justifiant plus que jamais le nom de l’espèce. A moins que cela n’en fasse un lapin-bélier-bélier ? Curieux.

Tu continues de t’approcher doucement, levant une patte avant pour la tendre, paume vers le haut, en direction du petit animal. L’hésitation du rongeur est palpable, mais ta fascination et ton sourire l’emportent pour l’heure. Ton doigt est presque à sa truffe, lorsqu’un bruissement de feuilles se fait entendre non loin, suivi rapidement de l’envol d’un oiseau étrange. Le son fait sursauter la drôle de créature, qui se propulse brusquement dans la direction opposée.

Hé attends, tu vas où ? Reviens !

Et sans y réfléchir plus que ça, tu t’élances à la poursuite de ton nouvel ami qui n’a pourtant rien demandé, t’enfonçant derrière lui entre les arbres.

IIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIK

Le cri perçant et nasillard est impossible à retenir sous la surprise. Tu recules d’un pas, levant deux grands yeux humides sur cette gigantesque personne qui n’a rien à faire là. En vérité, à y regarder plus attentivement, elle n’est pas particulièrement grande, mais tout de même, elle n’avait rien à faire là. Et puis de ton point de vue, la plupart des humains le sont.

Tu rougis face à ta propre réaction, tandis que ton rythme cardiaque peine à se remettre du traumatisme subi. Tu respires lourdement, tentant de normaliser ton souffle. Sérieusement, quelle personne honnête se place ainsi en embuscade pour terroriser les braves gens ?

Et puis la demoiselle ouvre la bouche, et fait montre d’une innocence absolue. Adorable ? Certes. Ta truffe se fronce un instant, puis tu te détends. Elle ne pense certainement pas à mal. Et au cours des années, tu as su apprendre à accepter, et même apprécier les réactions de ce genre à ta rencontre. Malgré tout, tu lui en veux pour la frayeur qu’elle t’a causée. Prenant tes grands airs, levant le menton d’un air arrogant, tu piailles une réponse d’un ton faussement sec :

« Fizz » conviendra, merci.

Tu laisses flotter quelques instants avant de glousser bêtement, visiblement fier de toi. Ton attitude nobiliaire fond en une fraction de seconde. Tu affiches un large sourire, dévoilant une dentition d’un blanc éclatant qui n’a rien de menaçant malgré l’affûtement de tes crocs.

Et tu es...

Jolie ? Tatouée ? Effrayante ? Tu viens de remarquer l’apparence surprenante de ses yeux. Mais après tout, tu serais mal placé pour juger ceux au physique atypique.

Cachée dans un buisson ?

La description est au moins fidèle. Tu penches légèrement la tête, l’observant en biais, puis tu sursautes brusquement. Tu viens de te remémorer l’existence du lapin.

Allez, viens, dépêche-toi !

D’un mouvement de patte, tu invites ta nouvelle amie à te suivre, tandis que tu te propulses, à quatre pattes une fois de plus, dans la direction où le rongeur a pris la fuite. Te faufilant entre les jeunes pousses avec l’agilité assurée par ta condition de petit animal taillé pour la chasse, tu tentes de retrouver la trace de la minuscule chimère disparue dans la forêt. Tu en oublies que l’humaine derrière toi ne dispose pas des mêmes avantages offerts par la nature, ne réfléchissant donc pas à la probabilité qu’elle se montre capable de te courser dans cet environnement. Elle n’a qu’à suivre, après tout.