La vie n’a pas de prix, sauf pour un sacré paquet de gens en réalité. Les chasseurs de primes déjà, dont c’était le métier que de couper court à la vie des criminels. Les gens qui se battaient dans des cages contre de l’argent aussi, et sûrement ceux qui faisaient des paris dessus ou simplement sur les chances qu’une personne ai un accident ou non. A y réfléchir, les humains semblaient traiter la vie très légèrement la plupart du temps, comme si elle leur était dûe et que rien ne pouvait leur arriver.

La sirène avait l’obligeance de ne pas insister sur la “prison” en question, et la verte ne pouvait que lui en être reconnaissante. Elle préférait de loin laisser cette période derrière elle et se concentrer sur celle qui arrivait, à savoir le futur. Elle resta silencieuse un instant avant de hocher la tête lentement, acquiesçant à l’idée de passer à autre chose.

“ C’est… vrai? Je partais du principe qu’avec une malédiction pareille, ce serait forcément quelqu’un de très fort, mais si ça se trouve, c’est pas du tout le cas… De là à voler des malédictions, je suis pas sûre, ça me paraît compliqué…

Une des règles de base des fruits, avec le fait qu’on ne puisse plus nager, c’est que c’est un corps égal une malédiction, pas plus. J’ai toujours entendu qu’une personne qui tentait d’en avoir plus euh… pour le dire poliment, elle se dispersait avec moulte force dans ses environs si tu vois ce que je veux dire. Si tu ne vois pas, ça veut dire qu’il explose, et assez violemment apparemment.

Du coup, une malédiction qui permet de voler celles des autres… J’imagine que ce serait plus comme un placeholder? Une malédiction qui ne fait rien si ce n’est permettre de voler celle d’une seule autre personne avant de disparaître? Sinon ça ferait deux malédictions, tout ça… Enfin, si ça se trouve il y a des malédictions qui permettent d’avoir plusieurs malédictions. C’est presque un jeu en fait haha, peu importe ce que tu imagines ou presque, tu peux dire “ça pourrait être une malédiction”. On en sait tellement peu sur ce que c’est vraiment que ces trucs et leur fonctionnement qu’au final, j’ai beau chercher, je résume souvent ça à “c’est comme de la magie.””

La pirate s’arrêta un instant, réfléchissant à la question. Est ce qu’elle avait déjà été attaquée, oui, mais pour son pouvoir? C’était… non? Elle n’était pas vraiment sûre pour être honnête.

“ Je… ne… crois pas? J’ai majoritairement été laissée tranquille en réalité, sûrement parce que je n’utilise quasiment jamais ma malédiction à sa pleine puissance, alors les gens ne savent pas à quoi s’attendre. Enfin, le plus probable, c’est sûrement que comme je n’ai pas de prime, personne ne fait attention à moi.”

La jeune femme éclata de rire, consciente que pour la plupart des pirates, la prime était un badge d’honneur, une marque de leur dangerosité évaluée par le gouvernement, et qu’avouer ne pas en avoir était comme revenir à se déclarer inoffensif dans la plupart des cas. C’était quelque chose auquel elle devrait s’attaquer un jour ou l’autre pour s’imposer un peu. De toute façon, Lidy lui avait dit, si elle voulait être Corsaire, il fallait être renommé. Lucina ne serait probablement pas très contente pendant quelques temps et la bouderait sans doute un peu, mais elle était adorable même quand elle boudait avec cette petite moue un brin vexée.

“ Ah, les îles célestes, j’en ai entendu parler! Une amie m’a dit que c’était des îles “sur” les nuages. Je suis toujours pas convaincue, des nuages j’en ai touché et je vois pas comment ça peut porter des bâtiments, mais elle avait l’air de dire la vérité alors… J’avoue que je sais pas.

De là à fuir et me cacher… J’ai pas envie. C’est comme si j’étais coupable de l’aimer, et il est hors de question que je me sente coupable de ça! Je veux pouvoir l’emmener avec moi voir le monde, lui faire découvrir toutes les petites îles et merveilles qu’elle veut, être à ses côtés sans avoir honte… Quelqu’un m’a bien proposé une solution mais je ne sais pas si j’y suis encore vraiment prête.

Ceci dit, trente ans c’est encore assez jeune non? Je peux comprendre que ça fait long, mais tu as encore un bon cinquante ans devant toi, regarde le… euh… Vice-Amiral? Gratz je crois. Un gentil papy, un peu sénile, mais très sympathique. Je l’ai rencontré, il avait l’air un peu perdu par moments, mais c’est une crème, et s’il est vice-amiral, c’est qu’il peut envoyer la purée, je doute qu’on en arrive là au piston. Et il a au moins quatre-vingt ans!”

Elle l’avait déjà entendue cette histoire qu’il y avait des démons littéraux dans les fruits, et que c’est eux qui détenaient les pouvoirs ensuite transférés à ceux qui les mangeaient. Le souci, c’est que pour confirmer, ou infirmer, cette idée, il fallait d’une part avoir un fruit du démon, et ensuite le couper en morceaux pour voir s’il y avait quelque chose dedans, en partant même du principe que les démons étaient visibles? En plus de cela, est ce que détruire ainsi le fruit ne risquait pas de causer la fuite de la malédiction, d’une façon ou d’une autre?

“ Je… pense pas? Enfin, là pour le coup, mes recherches ne sont clairement pas assez avancées pour que je sache s’il y a réellement un démon dans les fruits ou si c’est juste une rumeur, mais même s’il y en avait un, je ne pense pas qu’il s’installe à un endroit précis?

Les démons que je connais ont plutôt tendance à faire signer des contrats en échange de quelque chose de précieux, souvent une vie. A moins qu’il ne s’agisse d’un genre différent de démon, c’est possible aussi… Difficile à dire malheureusement.

Mais si tu veux mon avis, si une malédiction existe qui permet d’annuler d’autres malédictions, il n’a probablement pas besoin de toucher la personne. Enfin, ça me paraîtrait bête comme condition, tu imagines, ça veut dire que si une personne peut aller assez vite, l’autre ne peut plus lui enlever ses pouvoirs? Ça fait un sacré point faible pour un pouvoir aussi puissant. Mais bon, c’est que des suppositions au final, à moins de croiser une personne comme ça et qu’il puisse lui-même expliquer comment sa malédiction fonctionne, c’est dur d’être sûr.”

Elle hocha un peu la tête à la remarque de la sirène, comme pour valider ce qu’elle disait.

“ Je pense pas que mon métier ou mon caractère les intéresse beaucoup si je venais à mettre le bazar, mais tant que je reste tranquille, je suppose que je suis une cible tout en bas de la liste. Je veux dire, concrètement je n’ai rien qui puisse vraiment intéresser le gouvernement si ce n’est ma malédiction, donc forcément, ça me rend plutôt invisible à leurs yeux. Enfin, ils savent sans doute que j’existe, mais c’est plus genre…

Il y a plus urgent que moi? Je veux dire, au milieu de tous les noms dont on entend parler, que ce soit les pirates, les criminels, les révolutionnaires… Ils ont probablement pas le temps de s’occuper d’une personne comme moi qui reste sagement dans son coin sans faire de vagues. Ça pourrait changer si je venais à me faire remarquer évidemment, mais pour le moment on me laisse en paix.”

Pour le moment oui, mais qui pouvait dire ce qui se passerait dans un futur proche? Certainement pas elle. Quant à savoir les problèmes avec la solution qu’on lui avait proposé… Elle grommela quelque chose à voix basse avant de s’expliquer clairement.

“ Je ne pense pas que la solution déplairait particulièrement à… Enfin, à ma dulcinée. Je pense même qu’elle préférerait ça à autre chose. C’est plus de mon côté que ça coince. Je crois pas que ça me gênerait vraiment, j’ai juste… des soucis avec l’autorité disons. J’aime trop ma liberté.

Pour être claire, c’est une amie qui m’a simplement parlé du poste de Corsaire. Outre le fait que je ne sois pas connue, ça encore, ça s’arrange, ça reste un poste subordonné au Gouvernement. On m’a assuré que c’est probablement l’un des postes les plus libres qui soit, mais j’imagine qu’il y a pas mal de restrictions dont on ne m’a pas parlé. Et non, pour le moment nous ne sommes pas ensemble, même si j’ai bon espoir qu’un jour ou l’autre…”

Bon espoir oui, mais ça s’arrêtait là pour le moment. Il fallait bien avouer que Lucina l’ignorait quelque peu, quand bien même la pirate recevait des nouvelles par Séléné. Pas même une petite lettre pour lui répondre, pas un appel… Est ce qu’elle était censée se mettre à faire n’importe quoi simplement pour avoir le droit d’entendre sa voix?

“ En fait, je parlais de lui surtout parce qu’il m’a confié être dans la marine depuis “peu”. Bon, j’avoue ne pas être sûre de ce que peu de temps représente pour lui, mais visiblement il a été médecin une grande partie de sa vie avant de rejoindre la marine, alors j’imagine qu’il n’est jamais trop tard pour se trouver une vocation ou une envie d’agir?

Tout ça pour dire que ton âge a au final assez peu d’importance, tant que tu trouves quelque chose à faire, fait le, dans le pire des cas tu regretteras plus tard?”

Il fallait bien avouer qu’Aconea marquait un point, au milieu de toutes les bizarreries du monde, est ce qu’une malédiction qui permettait d’annuler les autres était si étrange que ça? Exceptionnellement puissant, peut-être, mais pas vraiment étrange. Si on y réfléchissait, il y avait potentiellement autant de fruit que de pouvoirs et d’animaux, autant dire une quasi infinité, alors de là, ce qui était possible ou pas n’avait guère de sens. En fait, la frustration que lui apportait ce genre de réflexions et la non-avancée de ses vagues recherches, quand bien même faites par curiosité quand elle avait le temps plus que réellement poussées à l’extrême, lui faisait presque se dire qu’elle aurait plus de chance en rejoignant le gouvernement et en essayant d’avoir un contact avec la Division Scientifique. Ils devaient bien savoir eux, ou au moins en savoir plus qu’elle!

“ C’est gentil de t’inquiéter, mais je m’en fais pas trop. Enfin, je dirais que je suis trop insouciante et que je m’en soucierais quand ça arrivera. Dans le pire des cas, je referais ma vie, c’est pas grave. Ça m’embêterai juste de devoir laisser mon phare derrière moi.”

Ton joyeux, presque insouciant comme la verte le disait, elle ne semblait avoir aucun problème au monde, vivant simplement dans l’instant et en appréciant les petits plaisirs. C’était peut-être irresponsable, ou au moins dangereux, mais d’un autre côté, la pirate appréciait sans doute bien plus sa vie que d’autres qui se souciait constamment du lendemain. Finalement, il ne s’agissait de rien d’autre qu’une simple question de point de vue sur la vie.

Quant à l’idée des dragons célestes… C’était assez étrange de se dire qu’il y avait des types suffisamment puissants pour que le gouvernement se plie en quatre pour eux. A se demander ce qu’ils avaient bien pu faire pour en arriver là en fait. Ceci dit, l’idée d’effectivement finir comme esclave ou pire, comme jouet sexuel pour un type sorti de nul part, n’était clairement pas des plus agréables, la faisant froncer les sourcils en plus de mimiquer une crise de vomi.

“ Ouais, nan, finir dans une maison close, non merci. Ils retrouveraient mon corps mort avant d’avoir pu me toucher, à condition d’avoir réussi à m’attraper déjà. Il faut vraiment être ravagé pour en être à ce point là… Enfin, vu la tête de l’humanité, ça ne m’étonne même pas que certains en soit rendus à ça… Ça reste juste… décevant. Méprisable aussi. Le plus triste, ça reste juste que personne n’y fait rien, parce que tant que ça ne nous concerne pas, on ferme les yeux. Enfin, je dis ça, je ne fais pas mieux au final…”

C’était comme les accidents finalement, on se disait toujours que ça n’arrivait qu’aux autres, jusqu’à ce que ça frappe juste à côté de nous et qu’on y perdre un être cher. D’un autre côté, qu’est ce qu’elle était censée y faire, poser un mouchard près de Lucina, Séléné et sa propre famille? Leur interdire toute vie privée pour pouvoir être sûre qu’il ne leur arrive rien? Elle était où leur liberté dans tout ça après? Non, tout ce qu’elle pouvait faire, c’était les protéger de loin, agir avec un temps de retard, quand bien même c’était inefficace. Ça aurait été plus simple si elle avait pu rester avec sa douce, mais bon…

Elle s’indigna brièvement en entendant le motif imaginaire de prime qu’elle aurait pu avoir.

“ Hey, comment ça balancer une montagne sur un orphelinat, je sais me contrôler quand même!”

L’image de deux hommes ayant menti et s’étant retrouvé brusquement dispersé et réduit en purée par une douzaine d’arbres arrachés du sol flash devant ses yeux. Soudainement penaude, elle reprit d’une voix un peu honteuse.

“ Enfin, en général… Des fois ça dérape un peu… Mais c’est rare hein.”

Un brin plus confiante, elle continua.

“ Et oui, concrètement les corsaires sont des pirates qui travaillent pour le gouvernement en échange d’un gel de leur prime. Il faudrait que je me renseigne un peu plus sur comment ça marche, et sans doute que j’en rencontre un pour vraiment me faire une idée. Ceci dit, c’est clairement une solution, sans doute une des seules pour pouvoir être au grand jour…  Je verrais bien, j’ai déjà une idée de ce que je vais faire dans le futur, on verra si mes pas me mènent sur le chemin d’un Corsaire ou si je devrais en chasser un moi-même pour avoir des réponses à mes questions.

Pour le vieux Gratz… Honnêtement, j’aurais bien aimé avoir un grand-père comme lui, il a l’air sympathique et d’avoir plein d’histoires à raconter, je suis sûr qu’il ferait un bon papy. Les miens euh… Du côté de mon père je connais juste son nom et du côté de ma mère j’ai encore moins, elle veut pas en parler parce qu’elle dit qu’elle a honte de ce qu’elle a fait par le passé.

Et pour les champs de batailles, j’avoue que je n’ai pas vraiment hâte d’y être. J’ai beau être un peu forte, c’est juste un peu, je pense clairement pas être au niveau des gros poissons. De toute manière, je n’ai pas vraiment d’intérêt à y aller, un champ de bataille c’est un endroit pour résoudre les conflits, et j’ai tendance à ne pas m’immiscer dans les conflits, justement pour éviter de me retrouver obligée de choisir un camp ou un autre quand aucun des deux ne m’intéresse réellement. L’indépendance et la liberté, il n’y a que ça de vrai!”

Pour être exact, la verte n’ignorait pas les dangers, elle… repoussait sa prise de conscience de ceux-ci. Complètement différent bien sûr. Mais, ironiquement, la sirène faisait remarquer qu’on ne changeait pas quelqu’un comme ça, d’un claquement de doigts. Assez drôle quand on considérait que la pirate donnait des conseils précédemment. Comme quoi, personne n’était parfait, ou à l’abri d’un retour de bâton.

Ceci dit, partir du principe que ça arriverait… Ça, c’était de la paranoïa pure et dure. Encore que de ce qu’Aconea disait, les sirènes étaient plus souvent victimes de ce genre de traitement que les autres races, pour une raison qui échappait à la verte. Du coup, est-ce que c’était encore de la paranoïa si c’était avéré que ça arrivait souvent, ou juste de la prévention? Dans le pire des cas, ça ne pouvait pas faire de mal d’avoir une idée de comment agir au cas où ça arriverait, en espérant quand même que ça n’arrive pas.

“ C’est marrant comme idée… Pas le suicide hein, je veux dire, le fait qu’il y ai peu de sirènes combattantes. Concrètement, comme les homme-poissons, leurs capacités physiques devraient être relativement supérieures à celle des humains standards, du coup, il n’y a pas tellement de raison… A moins que ce soit relatif à l’environnement et que comme chez les humains, les hommes aient naturellement une musculature plus développée en général?

Enfin, ça ne devrait pas causer une aussi grosse disparité si tu dis que tu es la seule ou presque… Bizarre comme affaire, je serais curieuse de savoir d’où ça vient.

Mais je pense pas que l’argent soit vraiment le problème. Je veux dire, j’en ai, ça m’a pas changé, ma mère en a, ça l’a pas changée… Est ce que c’est pas juste le pouvoir qui monte à la tête des gens et l’argent qui en est juste un symbole? Je veux dire…”

Une pièce apparût dans sa main, venant du phare.

“ Les gens ont abandonné le troc pour pouvoir vivre plus facilement en société. Il fallait forcément quelque chose qui servirait de mesure standard d’échange. Sauf que comme ça a de la valeur et qu’on peut le transformer en ce qu’on veut, forcément, ça crée un désir chez les gens, et comme ceux qui en ont le plus peuvent faire ce qu’ils veulent, ça crée cette illusion de pouvoir. Mais si ce n’était pas l’argent, ce serait autre chose. C’est juste l’humain qui est comme ça, à vouloir toujours être au dessus de ses semblables. Alors au final, ça ou autre chose… Heureusement qu’on est pas tous comme ça hein?”

La verte éclata de rire à sa propre remarque. Certains savaient simplement profiter de la vie, indépendamment de leur richesse. Ironiquement, c’était souvent soit des gens qui n’avaient rien, soit des gens qui avaient tout sans réellement y prêter attention, rarement ceux qui étaient au milieu. Ceux-là étaient bien souvent plus occupés à tenter de sortir la tête de l’eau.

La sirène était passée sur une analyse du système des corsaires, que la médecin devait avouer n’avoir pas totalement réfléchi. Cela dit, la comparaison était bonne, c’était proche du headhunting, si ce n’est qu’on les gardait sous surveillance “juste au cas où”.

“ Sur le papier ça sonne bien oui, mais j’ai beau être naïve, je ne suis pas dupe non plus, il y a sûrement des petites lignes cachées moins désirables. Mais c’est pas grave, comme j’ai dit j’irais me renseigner directement auprès de l’un d'entre eux. J’en ai trouvé une qui a l’air sympa, en plus d’avoir besoin d’un bon câlin et d’une amie, alors on verra bien ce qu’il en ressort. Si ça se trouve elle va m’attaquer à vue, mais ce serait pas de bol quand même.”

Elle ne continua pas vraiment sur le sujet des grand-parents, constatant que des deux côtés, ça allait être difficile d’en discuter si aucune des deux ne connaissait les leurs…

Avec un petit rictus, elle corrigea cependant la sirène.

“ A l’arrière à soigner les blessés… Si j’étais uniquement médecin, ce serait sûrement le cas. Cependant… Je suis maudite. Et pas une petite. Si tu veux mon avis, quitte à passer pour une prétentieuse… Si demain, je venais à faire un grand coup, à exposer l’étendue de ma malédiction aux yeux du monde, j’aurais plus d’un ou deux coup de fil qui apparaîtrait pour me proposer de rejoindre une organisation ou une autre. Pour reprendre quelque chose que j’ai entendu, c’est un pouvoir qui ne fait pas de distinction entre une personne et une armée. C’est quelque chose qui peut remodeler un champ de bataille entier, et qu’on préfère clairement avoir avec soi que contre soi.

Pas que je compte répondre à ces coups de fils de toute manière, je dois déjà me débrouiller pour quitter mon équipage actuel, vu que je m’en suis toujours pas occupée. En même temps, quitter un équipage d’Empereur, même en ayant qu’un tout petit rôle, ça doit être compliqué, et j’ai rien trouvé à leur apporter comme cadeau qui justifie qu’ils me laissent partir sans rien dire. J’avais pensé à un fruit du démon, mais sans surprise, c’est un peu compliqué à trouver… Tu aurais une idée? Une sirène combattante exceptionnelle peut-être?”

La dernière phrase était jetée avec un sourire innocent, et clairement lancée pour taquiner Aconea… en admettant qu’elle ne prendrait pas mal ce genre de remarque.

Les questions d’éducation, c’était toujours compliqué. C’était lié à la race, à la société, à l’individu et sa famille, si bien que c’était finalement un espèce d’amas de valeurs, traditions et idéologies, sans parler de la ou les possibles religions. Au final, juger l’éducation de quelqu’un, c’était comme s’aventurer sur un fil d’araignée les yeux bandés, cinquante mètres au-dessus d’un lit de clous. Un pas ou mot de travers, et c’était la chute vers l’empalement.

“ C’est sûr que vu comme ça… Il y a juste ni bonne ni mauvaise réponse, c’est juste “comme ça” au final. Je veux dire, si on voulait changer ça, il faudrait un changement sociétal de grande ampleur, autant dire que ça risque pas d’arriver rapidement. Même avec un catalyseur, ça prendrait sûrement plusieurs générations pour normaliser les choses, donc c’est pas gagné, j’ai sûrement le temps de mourir de vieillesse avant que ça arrive.”

Elle ponctua sa phrase d’un petit rire, comme pour marquer son doute des changements que l’humanité pouvait accepter, ou même instaurer. Il n’y avait pas que du mal dans cette société, pour sûr, mais l’humain était un animal dépendant de ses habitudes. Quand on l’en écartait, ou pire, quand on l’empêchait de s’y fier, il avait tendance à montrer les dents et à se battre pour un rien, même quand il s’agissait de mauvaises habitudes.

“ Ah… C’est vrai que j’y avais pas pensé, mais si Amazon Lilly est totalement fermée sur le monde extérieur, c’est logique qu’ils utilisent pas la même monnaie, et qu’il y ait probablement aucune correspondance. Enfin, j’imagine qu’on pourrait en créer une, mais ça serait ridicule, il faudrait sûrement décomposer les pièces de chaque, faire des équivalents selon leur composition, ça me parait tordu pour vraiment pas grand chose vu que les deux sociétés se croisent jamais. Enfin, pacifiquement en tout cas. Et si ça devenait le cas, l’île serait sûrement censée se mettre à utiliser le Berry de toute façon, donc aucun intérêt.

Ceci dit, je m’inquièterais pas vraiment pour l’île des homme-poissons, entre sa position, le fait qu’aucun pirate ne veut voir l’île tomber entre les mains du gouvernement et, vraisemblablement, qu’aucun n’a vraiment envie de se voir refuser un passage futur par là… Bon, enlever une sirène, c’est quasiment du suicide. A moins d’être vraiment totalement désespéré, ça me parait vraiment un des pires plans pour s’enrichir, ça irait plus vite de cambrioler un casino ou une banque. Ce serait sûrement moins risqué aussi.”

Pour l’affaire des corsaires, c’était beaucoup plus simple que ce que la sirène semblait penser en revanche.

“ Je crois pas cacher grand chose? Volontairement en tout cas. Mais même si j’ai un contact, c’était une coincidence, j’ai pas commencé l’affaire, je reste… un peu dubitative. Comme si on m’avait présenté que les bons côtés, tu vois ce que je veux dire? Alors j’attends un peu de voir, et je doute qu’il y ait meilleure personne pour me renseigner qu’une vraie corsaire, même si je suis pas à l’abri d’une surprise. Au pire ça fera quelque chose de fait sur ma bucket list.”

L’idée de recevoir un tas de coup de fil la perturba un instant, quand bien même c’était elle qui avait mentionné que ça risquait d’arriver, comme si elle n’avait pas exactement intégré ce que cela entendait également. Des gens qui seraient probablement vexés d’un refus. Certains s’en moqueraient sûrement, considérant que cela ne méritait pas de se prendre la tête pour si peu. D’autres voudraient sûrement l’éliminer, que ce soit par pur caprice d’enfant contrarié ou pour se débarrasser d’une potentielle menace future. Une décision raisonnable, bien que très désagréable pour la concernée.

“ Je… crois pas? Enfin, je dois rejoindre une amie sur l’ile des homme-poissons, mais après ça je ne sais pas, et honnêtement, je ne suis pas sûre de vraiment être faite pour la vie d’équipage. Peut être si on m’autorisait à être un électron libre, mais l’idée de prendre des ordres de quelqu’un me… Enfin, quitte à être dans cette situation, autant être dans le gouvernement pour pouvoir voir mon amour, tu vois?

Enfin, pour être “passable”, j’imagine que ça dépends des standards et de plein d’autres trucs. On verra bien si ça te prends des années, mais j’pense être positive en disant que t’es la meilleure sirène combattante que j’ai pu croiser de ma vie!”

Bon, il fallait bien admettre que c’était la seule, mais la chose restait vraie quand même! Un compliment n’avait pas forcément besoin du contexte pour être sincère après tout.

“ Le pire ennemi de l’homme, c’est l’homme, je pense pas que ça changera de ce côté là. Comme tu dis, des égoïstes prêt à tout pour leurs petites ambitions, il y en aura toujours et je crois pas qu’on puisse y faire grand chose à part tenter de limiter les dégâts. Alors c’est sûr que dit comme ça, ça fait très pessimiste mais jusque là, on m’a pas donné beaucoup de raisons de croire le contraire non plus…

Enfin, c’est vrai que si on pouvait déjà avoir une espèce de tolérance généralisée ce serait un bon début… Pas que je sois très impactée par les choses, m’enfin bon, j’avoue que ça m’éviterais d’être prise pour une menace quand j’arrive sur une île de méta-humains qui se méfient du panneau d’une médecin itinérante sans frais…”

Ironiquement, c’était aussi une preuve de l’égoïsme humain dont elle parlait précédemment. Elle ne voulait pas la paix pour un monde sans danger, simplement pour qu’elle puisse faire son travail sans être prise pour une folle ou un danger potentiel. Le seul mérite de cet égoïsme, c’est qu’il était au moins lié à quelque chose qui profiterait à tout le monde par la suite, des soins gratuits.

D’un autre côté, la description faite par la sirène était presque déprimante, et elle parlait de cela comme si c’était un cas général, ce que la verte savait être faux. C’était, sans aucun doute, le genre d’avis de certains, qui pouvaient parfois s’avérer être la majorité de ceux qui ouvraient leurs bouches ou qui agissaient pour leur propres intérêts, mais pas de tous. Pour être exact, la maudite n’avait en fait pas souvenir d’avoir réellement croisé quelqu’un d’ouvertement raciste, même si elle ne comptait pas s’en plaindre. Ceci dit, elle se sentie légèrement obligée de le faire remarquer, comme pour rappeler que se méfier c’était bien, mais que quand même, ça restait une minorité.

“Après, les gens comme ça, ça reste rare… Heureusement d’ailleurs. Si c’était global, on serait pas rendus…”

La pirate grimaca cependant ouvertement en entendant le genre de vie que menaient les amazones. Être enfermée sur une île pendant toute une vie et n’en sortir que pour aller tirer un coup et revenir enceinte, c’était… berk. D’habitude, elle avait tendance à essayer d’être ouverte d’esprit, mais ça, c’était un peu trop à son goût.

“ Je vais pas te mentir, ça a pas l’air… Enfin… J’essaye d’être positive, mais là, je vois pas comment elles font. Rester coincée sur une île toute ta vie, sauf pour qu’un bonhomme te passe dessus, c’est vraiment… Oui, non, je suis pas convaincue quoi. Je fais de mon mieux pour pas juger, mais là c’est compliqué. Enfin, j’imagine qu’elles voient les choses différemment… J’espère pour elles…”

Elle laissa couler le sujet d’un assaut potentiel sur l’île des homme poissons spécifiquement pour capturer des sirènes, à ses yeux tout était dit, et elle pouvait même assurer être certaine ou presque que cela n’arriverait pas. Quant au poste de Corsaire… Les deux femmes étaient visiblement d’accord, il valait mieux se renseigner et en discuter plutôt que de sauter dedans à pieds joints. Ça ne concernait pas qu’elle au final, ça pouvait également toucher Lucina ou Lidy, quand bien même elle comptait garder leurs identités secrètes. Enfin, plutôt leur affiliation que leur identité.

“ Moui, fonder un équipage, c’est plus de travail que je suis prête à en fournir pour le moment. Ça peut changer comme tu le dis, mais… eh. Le contact humain, je le supporte à petite dose disons. Si je devais voir des gens tout les jours, je pense que je finirais par en jeter quelques uns à la mer. Mais je pense qu’il y a autant de types d’équipages que d’intentions. Si ça se trouve, il y a des équipages qui ne pensent qu’à tester toutes les nourritures du monde, d'autres qui cherchent simplement à devenir riches peu importe la méthode et que sais-je encore.”

La médecin éclata de rire en constatant que son tour de passe-passe avait été découvert sans aucune forme de difficulté.

“ Oui, complètement. Mais ça veut quand même dire que tu es la meilleure que je connaisse! Enfin, je comprends l’intérêt de l’humilité, mais si tu veux mon avis, fais attention quand même. Il y a une ligne fine entre rester humble et se rabaisser, et celle entre la discipline et le surménage, donc conseil de docteur, pense à ta santé AVANT de penser à ton entraînement. Les étirements avant et après l’effort, c’est important aussi.”

Bon, le coup du martèlement de crâne, ce n’était pas terrible, même si c’était pour une bonne cause. C’était le genre de chose où on se retrouvait ensuite avec des enfants convaincus de ce qu’on leur avait enseigné et qui rejetait catégoriquement toute autre approche. C’était quoi déjà, L’enfer est pavé de bonnes intentions? Pas tout à fait exact, mais l’idée était un peu la même au final…

D’un autre côté, c’était vrai aussi qu’on pouvait dire ce qu’on voulait, les clichés et préjugés, ça permettait au moins d’avoir une idée d’à quoi ressemblait quelque chose, même s’il fallait aussi être conscient que c’était des gros traits et qu’il fallait s’en débarrasser au plus vite pour ne pas tomber dans… et bien, le racisme. C’était une drôle de boucle finalement.

“ Mh. C’est un peu compliqué à expliquer si tu as pas de rapport à l’argent mais… Comme tout se monnaie ou presque, les gens sont naturellement méfiants quand on leur propose quelque chose de gratuit. C’est un peu comme… Tiens, quand je t’ai servi un verre, tu m’as proposé de le rembourser. Parce qu’on part toujours du principe que rien est gratuit, ou que si c’est le cas, il y a anguille sous roche.

Maintenant tu prends ce concept, et tu le mets sur le cran maximal, parce que si en plus c’est un médecin qui fait ça, quelque chose qui touche à ta santé et potentiellement ta vie, c’est encore plus suspicieux. J’ai pas eu de vrais ennuis, mais assez souvent les locaux m’ignorent et s’inventent des choses, et ça dure jusqu’à ce soit un accident arrive et je suis forcée d’aider, auquel cas ils finissent par comprendre que je suis là pour aider soit… Ils ont quelqu’un d’assez désespéré ou confiant pour venir me voir et en général, ça fait office de signal pour les autres. C’est toujours le premier pas le plus difficile, ensuite ça roule tout seul jusqu’à ce que je m’en aille.”

C’était quand même drôle de voir qu’avec du recul, même la sirène trouvait la façon de vivre des amazones un peu… bizarre? Extrême? Le seul terme réellement approprié était sûrement juste “différente”, et comme Aconea le disait, prétendre avoir une solution pour chambouler l’île, ça tenait un peu de la délusion, d’autant plus pour des gens qui, à ce point, étaient essentiellement des étrangères. Si les Kujas voulaient vraiment sortir de leur autarcie, elles pouvaient bien le faire d’elles même.

“ Ça… m’étonnerait pas quand on y pense. En fait, je vois facilement la chose aller dans les deux sens, soit une espèce de peur panique de la soudaine liberté avec pour unique désir de revenir à un environnement familier, soit un amour éperdu pour cette absence de limites imposées qui fait qu’elles sont euh… portées disparues comme tu dis. Ceci dit, c’est sûr que les hautes placées doivent pas avoir très envie d’en parler… On dirait une espèce de pile de mensonges en suspens, et le moment où il y en a un qui va sauter… Il y a des chances que tout s’écroule. Bon courage à elles pour quand ça va arriver.”

Et en fait, c’est assez drôle quand on y réfléchissait, même la sirène avait voulu rejoindre l’équipage pirate pour partir plus que vraiment pour servir. Comme quoi, au fond d’elle-même, elle savait probablement que sortir se faire engrosser avant de revenir poursuivre la lignée, ce n’était pas vraiment comme ça qu’elle imaginait sa vie. Ce qui était moins drôle, c’était les séquelles de dépréciation de la sirène, pour lesquelles la maudite ne pouvait malheureusement rien faire.

“Tant que tu es consciente que techniquement, l’exercice c’est de la déchirure musculaire que ton corps soigne, et que par conséquent le repos est aussi important que l’exercice lui même… J’ai déjà eu à soigner un homme qui s’entraînait sept jours sur sept sans repos, je peux te garantir que sa réaction quand j’ai dû lui expliquer qu’il était bon pour huit mois au repos et que son bras gauche subirait des séquelles à vie était… voilà. Il n’a pas beaucoup apprécié.

Donc toujours, la santé en priorité. Sinon je te garantis que si tu m’appelles pour une blessure du genre, tu vas m'entendre râler…”

Elle tourna la tête en entendant le bruit de son escargophone, probablement trop éloigné pour que la sirène puisse le remarquer. Le petit coussin sur lequel traînait le gastéropode, sobrement nommé Gary, se souleva avant de descendre le phare, son bruit résonnant jusqu’à se déposer dans la main de la maudite, qui s’excusa auprès de son invitée.

“ Tu m’excuses, je dois le prendre.”

Elle décrocha presque immédiatement, une voix d’homme résonnant directement.

“ C’est bien la docteur Dharma?”

“ Moi-même.”

“Super.On m’a dit que vous deviez arriver sur l’île des homme-poissons sous peu, c’est toujours le cas?”

“ Je suis au dessus oui, je suis encore à la surface mais je n’allais pas tarder à descendre.”

“Écoutez, j’ai une urgence, jeune homme, inconscient, marques de coups et blessures, je l’ai ramené chez moi parce que je pouvais pas le laisser comme ça dans la rue, je sais pas quoi faire, vous… vous pouvez vous presser? Sans vouloir vous commander?”

La jeune femme resta silencieuse un instant, son regard allant de l’escargophone à Aconea pour revenir à l’escargophone avant de hausser les épaules.

“ Laissez moi deux minutes pour ranger et je commence la plongée, j’arrive aussi vite que possible. Donnez moi juste l’adresse, que j’arrive directement.”

“ 131 sur la route au croisement entre l’avenue principale et la rue des abysses, dans la partie basse de l’île.”

“ Bien reçu.”

Elle raccrocha avant de se tourner un peu piteusement vers Aconea.

“ Désolée, je vais faire une bien mauvaise hôte mais… Je crois que je vais devoir te demander de filer, j’ai une urgence médicale à gérer du coup…”

Bien sûr, la sirène pouvait refuser et l’accompagner, mais ce serait probablement contre-productif pour tout le monde. Si l’ancienne amazone filait, l’amoureuse la saluerait amicalement avant de tout ranger d’un claquement de doigt, soupirant un grand coup… et plongeant dans les abysses.