La douleur était cuisante.

Une seule passe d'arme avait suffi à l'araignée pour qu'elle comprenne la différence de force de frappe entre un ténor de cette mer et elle-même. Si elle était capable de suivre les mouvements de Piso ou de ce Décima pugnace, elle était dénuée de leurs capacités destructrices pour le moment. Le constat amer ne l'avait pas empêchée de se lancer corps et âme dans la bataille, l'adrénaline lui faisant sans doute oublier une bonne partie des affres que lui réserveraient son épaule, une fois les flammes des combats passées. Une perspective qui ne l'enchantait guère ! Mais pour l'heure, la Zoan savourait sa petite victoire.

Si Leon était un combattant remarquable, il n'en demeurait pas moins humain. Ainsi, lorsqu'elle entendit les détonations tonitruantes d'un canon exceptionnel qu'elle avait déjà récemment eu le plaisir d'entendre, elle sut qu'un allié de poids venait de rentrer dans la dance. Francis s'était donc défait de la situation sur le navire ? Une nouvelle des plus prometteuses ! Les coups de feu se succédèrent, telle une mélodie macabre jouée avec un doigtée inhumain. Face à de multiples assauts coordonnés, et ce malgré ses Hakis, Léon dut faire face à un choix cruel. Entre deux maux, il choisit le moindre. En effet, le simple garrot lui laisserait son membre intact, à la différences des longs membres tranchants que lui réservait Piso. Cependant, l'engourdissement progressif de ce bras le gênerait de plus en plus et, à terme, pourrait offrir une ouverture inespérée dans sa garde ! Il suffisait simplement de maintenir la pression sur cet adversaire tenace.

Tenace et malin.

Si, de prime abord, la décision de se placer entre Piso et Elina pouvait ressembler à un faux pas, l'esprit vif de l'assassin comprit le dilemme qui lui était imposé. Limiter ses mouvements, au risque de voir sa proie s'en tirer à bon compte ? Ou bien pousser sa chance et tenter malgré tout d'attaquer, avec la possibilité de voir Piso écoper d'une blessure de sa part et, fatalement, provoquer une probable scission entre les deux maudits qui profiterait à leur cible commune ?


« Trop risqué. », conclut Elina en un instant.


Ainsi, son coup de pied fouetta l'air lamentablement, laissant tout le loisir à Léon d'esquiver sans qu'un Rankyaku ne daigne le cueillir, contrairement au plan initial de la jeune femme. Et elle tomba de Charybde en Scylla. Tout à coup, un quatrième larron déboula sans crier gare pour venir perturber l'affrontement qui aurait dû tourner à leur avantage ! Bien rapidement, l'esprit pragmatique du marine prit le dessus et l'ordre fusa, en bon officier qu'il était. Contre toute attente, l'araignée s'exécuta en un battement de cil. Loin d'elle toute idée d'obéir benoîtement à une directive d'un représentant du gouvernement mondial pour entrer dans ses bonnes grâces ! Pour autant, la demande de Piso était avisée car la plus grande menace, ici, était cet homme qui amorçait une fuite aussi osée qu'inattendue ! Aussi ne se fit elle pas prier.


« Je n'aime pas ça... », eut le temps de penser la jeune femme en se lançant à la poursuite de son véloce ennemi.


La première explosion lui arracha des sueurs froides, lorsque le souffle réchauffa son exosquelette, mais elle tint bon et continua sa traque implacable sans un coup d'oeil en arrière. En revanche, lorsque trois autres détonations puissantes éclatèrent... elle grinça des dents. L'araignée ne se retourna pourtant toujours pas, trop obnubilée par un constat alarmant : elle se faisait distancer. Loin d'être un escargot, la Zoan se targuait même de pouvoir déployer une vitesse plus que suffisante pour prendre au dépourvu la plupart de ses ennemis. Mais elle se retrouvait à la traîne, seconde après seconde, sans aucun moyen de puiser un peu plus dans ses réserves ; et pour cause : elle était déjà à son maximum ! Le sagouin allait s'échapper !

Saisissant qu'une simple poursuite échouerait sans aucun doute, l'araignée opta pour une autre tactique. User de son autre forme hybride ne ferait que la ralentir, tant elle était taillée pour le modelage de toile et non la course. Ainsi, son arsenal de techniques de soies les plus poussées demeurait inutilisable. Poussant toujours ses jambes au maximum, elle tenta malgré tout des lancers basiques dans la trajectoire présumée de son adversaire, essayant par tous les moyens de le ralentir. Son bras intact s'activa donc, tandis qu'elle économisait celui blessé pour le moment, préférant éviter de bouger ce membre douloureux avant l'affrontement qui reprendrait sans doute.


- Kinu Kansei ! scanda-t-elle.


Réfléchissant en arrière plan, elle ne se laissa pas aller au désespoir malgré ce retard flagrant qu'elle prenait dans sa course poursuite. L'arrière garde de la marine, si elle n'avait pas été dévastée, pourrait peut être le retenir un instant. Avec un peu de chance, Francis réussirait à le toucher grâce à sa précision hors paire ! Ou simplement à le ralentir quelque peu. Et quand bien même esquiverait-il toutes ces embûches... Sa cible ne pourrait pas aller bien loin, en réalité : l'ile minuscule était cernée par un océan glacé. À moins qu'il ne sorte un joker de sa manche, il se retrouverait acculé. Elle n'aurait alors qu'à finir ce qu'elle avait commencé : le réduire au silence.

La Zoan filait comme le vent.

Tout du moins l'essayait elle car, envers et contre tout, l'humain qu'elle poursuivait ne cessait de prendre le large. Tous ses efforts auraient-ils été vains ? Comme une ultime tentative sournoise, l'araignée avait voulu lui entraver les jambes pour, au moins, le ralentir, soupçonnant pertinemment qu'elle ne pourrait jamais atteindre un être aussi véloce à une telle distance sans recourir à la forme hybride adéquate. D'autant plus si cet adversaire disposait d'un Haki de l'observation ! Quelle ne fut donc pas sa surprise lorsque l'attaque porta ! Comble de l'ironie, sa propre réussite la déstabilisa un instant.

Un bref instant où tout bascula.

Le décima ouvrit d'elle ne savait trop où une sorte de passage, à l'image d'une fermeture éclair, déchirant la réalité comme il l'aurait fait d'une simple feuille de papier. En un battement de coeur, l'attaque censée clouer sur place sa cible s'était retournée contre l'envoyeur ! D'un rouler bouler maitrisé, Leon parvint à attraper le corps du tireur et à s'enfuir, non sans menacer gravement Raki et Akira par le biais de la Zoan. Il prenait même avec lui la dernière personne vivante qu'elle aurait pu interroger pour remonter sa trace ! Son sang ne fit qu'un tour.

Elle puisa un peu plus dans ses réserves et tenta, jusqu'au dernier moment, de trancher la gorge de ce monstre. En vain. La fermeture éclair se referma et, une poignée de secondes plus tard seulement, la griffe d'Elina trancha l'air en lieu et place d'une carotide. L'araignée se retrouva ainsi sur une plaine enneigée, scène d'un carnage sans nom, avec pour seule compagnie le vent, la mort... et les marines. Car d'un simple regard aux alentours, elle comprit que ses alliés avaient déjà pris la poudre d'escampette, sans doute en déterminant à l'avance l'issue de cette course poursuite. Elle fut tirée de ses réflexions par la voix du Vice Amiral maudit. Si elle crut déceler de la déception, puis - elle n'aurait su en jurer - une pointe d'empathie de la part d'un homme surnommé « l'intraitable », la suite ne lui plut guère.

Lorsqu'elle pivota vers lui, elle remarqua immédiatement sa méfiance et, bien entendu, le loup qui l'accompagnait partout. Elle tenta de le dissimuler, mais elle sentait un traquenard se préparer et se raidit un instant. Il avait beau être blessé, Piso ainsi secondé par ce pacifista et le reste de ses troupes, même mal en point, aurait tôt fait de se croire en position de force et de tenter de la capturer. De son côté, elle analysait la situation autrement : un pacifista qu'elle pensait pouvoir maitriser et une ribambelle de pauvres hères, incapables de suivre ses mouvements... autant de cibles faciles afin de forcer Piso à la faute, lorsqu'il tenterait immanquablement de sauver ses hommes, en bon meneur qu'il était. Malheureusement, elle n'était clairement plus d'humeur à jouer, malgré cette victoire en demi teinte, au vu des menaces de Léon. Car elle savait que les souhaits de vengeance d'un combattant de sa trempe n'étaient pas à prendre à la légère.

Pour autant, la Zoan ne bougea pas d'un millimètre.

Elle darda ses prunelles écarlates vers l'homme qui la toisait d'un regard d'airain, imperturbable défenseur de la justice. Malgré toute sa volonté de porter ses actions et ses réflexions à un autre niveau, d'arrêter de s'enfermer dans des routines et des mécanismes de pensée rassurants, l'araignée resta de marbre. Loin d'elle l'idée de revenir sur ses résolutions précédentes et de faire preuve de pusillanimité. Elle savait juste faire la différence entre sursaut d'ego et opportunité, entre une action courageuse et une décision téméraire. En somme, attaquer Piso ici et maintenant ne lui apporterait rien, pas après l'avoir épaulé tout du long. Car tel était son objectif depuis le début, après tout : affaiblir assez la marine pour qu'elle puisse s'enfuir, mais les voir victorieux lorsque le rideau tomberait sur le massacre d'Izaria.

Lorsque son obligé reprit la parole, la Zoan ne put s'empêcher de sourire. Malgré toute sa prudence et les précautions prises pour rester dans l'ombre le plus longtemps possible, elle avait fini par attirer le regard d'un Vice Amiral de la marine. Peut être était-il temps, après tout, de sortir de sa tanière ? Elle avait suffisamment oeuvré à batir des fondations solides pour son empire et, forte de sa nouvelle ligne de conduite, Elina répondit donc avec fermeté et panache, là où elle aurait tenté de louvoyer quelques jours auparavant. Se parant d'un sourire narquois, elle répliqua sans une once d'animosité voire, même, un brin d'amusement dans la voix  :

- Vous aurez beau ne pas le demander, vous pouvez m'appeler Jorogumo. J'imagine que c'est ainsi qu'un Vice Amiral de la marine remercie une misérable criminelle de mon acabit pour lui avoir sauvé la vie à lui et à ses hommes ? Car ne nous mentons pas, Vice Amiral, sans l'intervention de mes collègues et moi même, vous couriez à un massacre en bonne et due forme de toutes vos troupes, aujourd'hui.


Elle marqua un bref instant avant de croiser les bras, malgré tout prête au combat ou à la fuite si le besoin s'en faisait sentir. Si aujourd'hui elle ne souhaitait pas la mort de Piso, sa menace à peine déguisée la poussait à entretenir pareil dessein pour le futur... Lorsque sa présence sur cette mer ne serait plus une aide considérable pour ses plans car, après tout, n'était-il pas responsable de près de la moitié des arrestations de North Blue ? Soit autant de concurrents en moins à évincer pour l'araignée.


- Mais soit, j'apprécie cette marque de reconnaissance et, il me semble, que votre contre amirale aura apprécié autant que vous notre concours. Jusqu'à notre prochaine rencontre, portez-vous bien, Vice Amiral.
« Vous en aurez besoin. », termina-t-elle en pensée.


Sans demander son reste, l'araignée se dirigea vers le navire de Paradise d'un pas tranquille en apparence, bien qu'elle garde en réalité ses sens aux aguets. Elle préférait surveiller le marine et le loup en particulier, ce jusqu'à ce qu'elle soit en sécurité sous le couvert des bois. Alors seulement, lorsqu'elle saurait que leurs lignes de vues seraient coupés par la végétation dense, s'autoriserait-elle une pause pour reprendre son souffle et se remettre de ses émotions. Elle venait de tenir tête au maître régent de toute cette mer et, sans aucun doute, cela aurait des répercussions sur l'avenir. Mais pour l'heure, la Zoan avait encore bien des efforts à fournir avant de pouvoir rivaliser sereinement avec le maudit défenseur de Seppen Town. Pour autant, une satisfaction morbide et toute égocentrique la tenaillait depuis peu et peinerait à s'effacer : son niveau de combat était dangereusement proche de celui de Piso. Une information capitale qui, somme toute, méritait bien tous les risques pris aujourd'hui.

Laissant là ces préoccupations pour l'avenir, la maudite reprit le chemin du navire de Raki car, pour elle, la journée n'était pas encore terminée.