L’araignée ne bougeait plus, vaincue par les assauts de Shimura et de Salem. Les deux avaient eu les bons réflexes au bon moment, et avaient empêché la créature de finir sa digestion, si tant est qu’elle l’ait réellement commencé. Lorsqu’ils finiraient par aller visiter les deux renfoncements, ils découvriraient deux caveaux qui autrefois avaient sûrement été réservés à la crème des épéistes enfermés ici. Dans le caveau le plus haut se trouvaient principalement des armes rouillées sans grande valeur monétaire. L’eau avait abîmé la plupart d’entre elles, et on trouvait à regret quelques sépultures détruites au fil du temps. La famille qui possédait ce caveau avait dû offrir au monde un certain nombre d’épéistes. Parmi les denrées offertes par le caveau se trouvait cependant une épée en mauvais état. Sa qualité aujourd’hui médiocre laissait planer le doute sur son importance d’autre fois, mais le manche était couvert d’inscriptions illisibles et d’un symbole reconnaissable dans le petit monde des épéistes : une famille de Shimotsuki Town, les Adja, qui possédaient un dojo sur l’île. Certes, le réconfort d’obtenir ce triste trésor ne serait sûrement pas grand, mais il ne coûtait rien d’essayer d’apporter l’épée à quelqu’un pour qu’il en fasse l’expertise, ou d’essayer de la rendre à son propriétaire.

Dans le second caveau, Salem trouva pour environ un million de Berrys de ressources. Il commencerait à remplir un sac en toile qu’il trouva à proximité, anciennement utilisé pour transporter des fleurs. Alors qu’ils quitteraient les lieux pour se diriger vers les sous-sols, ils pourraient tous deux entendre les plaintes d’un vieil homme en bas.

La descente serait facile. Les toiles d’araignées ne poursuivaient pas leur chemin jusque plus bas. On entendait au loin le murmure de désespoir d’une âme en peine, désœuvrée par la vie. Salem avançait avec beaucoup plus de précautions qu’avant, s’imaginant qu’il y avait dans cet ultime étage la personne qu’ils recherchaient. Sans un bruit, il continua donc sa route.

Ils étaient arrivés au dernier sous-sol.

Sur le mur du fond, une image rémanente semblait apparaître. Le visage déformé, clignotant d’une femme aux allures humaines s’était érigée. Les deux hommes pourraient constater qu’elle émettait une voix grésillant. Elle était vivante ? S’agissait-il d’un fantôme ? En s’approchant de plus près, ils pourraient constater la vérité, la seule vérité qui comptait.

Il y avait au centre de la pièce trois tombes : deux d’entre elles étaient fermées tandis que la troisième était ouverte, bien que vide du squelette qui aurait pu y être. Il s’agissait de la tombe d’Alexandra, ainsi que de ses deux derniers descendants. A côté de la tombe ouverte, un escarméra relié à un projecteur projetait l’image rémanente au mur. Le projecteur, une sorte d’escargot un peu plus grand que les autres, avait l’une de ses deux paupières qui ne tenait plus en place. Et au milieu de tout cela, fixant l’image avec l’œil fatigué, il était là.


Sigürd Bonovitch, "à l’œil vif"
Primé à 3.500.000 B.
Sirgürd Bonovitch ne rayonnait pas comme à ses plus beaux jours. L’épéiste avait abandonné tout son attirail, et regardait dans une sorte de détresse absolue l’image au mur. Cela faisait une semaine qu’il était arrivé dans le donjon, et deux jours que ses denrées s’étaient épuisées. Il n’avait pas eu la force de remonter à la surface depuis et ne semblait pas représenter une quelconque menace pour les deux chasseurs de primes blessés. Ses épaules basses étaient le signe ultime de son abandon. Ses yeux étaient rouges, bouffis par le temps. Si Shimura voulait lui couper la tête, il s’agissait d’une proie facile, idéale, mais il ne récupérerait alors jamais les informations qu’il voulait.

Lorsqu’il remarquerait finalement les deux personnes qui approchaient, il se tournerait vers eux sans aucune animosité. Il n’en avait pas le courage, et pas l’envie. Ses lèvres trembleraient, non de peur mais d’une sorte de fatigue qui le guettait depuis des années, depuis qu’on lui avait enlevé son « hija », sa fille chérie, dernière descendante d’Alexandra qu’il avait eue avec sa femme, elle-même cloisonnée à ses côtés. Cependant, le corps de sa fille n’avait jamais été retrouvé.

- Qui êtes-vous, et que voulez-vous d’un homme à qui la vie a déjà tout prit ? Dirait-il sans envisager une seconde de demander la merci, n’attendant que la mort pour rejoindre celles qui l’avaient autrefois comblé de bonheur.

Sigürd Bonovitch, "à l’œil vif"
Primé à 3.500.000 B.
Sans s’intéresser nullement à sa situation, les deux chasseurs de prime avaient pris soin d’encercler cet homme qui était aujourd’hui sans défense. Il ferma les yeux, prêt à faire le grand saut à n’importe quel instant. La voix du garçon lui rappela cependant un mot « Yubashiri ». Si ce sabre avait été porté un temps par Drake Kotori, il reparut quelques mois plus tôt sur Shimotsuki Town. Il y avait une rumeur qui circulait chez les sabreurs, et le vieillard la savait fondée. On disait qu’un homme de peu de vertus se pavanait avec cette arme. Il était l’une des raisons qui le poussait à considérer que ce monde perdait progressivement de l’intérêt.

- Yubashiri appartient à un dénommé « Greed », qui vit sur Shimotsuki Town. C’est tout ce que je sais.

« Mais c’est déjà beaucoup » se dit Salem qui se voyait déjà devoir arracher une dent ou deux à ce bonhomme pour obtenir les informations. Il se contenta de hausser les épaules tandis que le vieillard regardait une dernière fois le portrait de sa femme, disparue depuis longtemps. Elle était morte de la main de personnes peu scrupuleuses, et il espérait un jour avoir l’occasion de la venger.

- Je ne me battrai pas. Toutes mes forces sont parties. Livrez à moi à la marine, faîtes comme bon vous semble. Le vieillard que je suis est tout à vous.

L’escargot projecteur s’éteignit, lui aussi fatigué. Les mains de Salem viendraient saisir le sabreur. Celui-ci pourrait être emmené à la base marine la plus proche qui leur donnerait la récompense. Pour l’instant, ils n’étaient pas encore partis. S’il demandait plus d’informations sur « Greed », Shimura pourrait savoir ceci : ce n’était un sabreur, et il voyait en l’argent le pouvoir d’asservir le monde, il était à la fois obnubilé par les possessions terrestres et attiré irrémédiablement par la beauté des jeunes femmes. Il corrompait l’essence même des sabreurs. Quant aux rapières, il pourrait informer qu’il existait aussi des rapières en dehors de D’Artagnan qui appartenait aux 12. Il n’en savait pas vraiment plus, mais c’était aussi une possibilité de s’informer un peu plus sur Shimotsuki Town.